Le Nouvel Économiste

“RÉORIENTER L’ÉPARGNE”

députée LRM de la 6 ème circonscri­ption de l’Essonne

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL LAMY

Il faut que l’épargne des Français redevienne utile”

En moins de six mois, la députée LRM (La République en marche) de la nouvelle majorité présidenti­elle s’est imposée par son charisme et son sens de l’à-propos sur les sujets les plus techniques. Immédiatem­ent taxée de “libérale” par les affidés de l’ancien monde, la députée Montchalin n’en a cure. Non seulement elle entend voter des lois, mais elle compte bien veiller à ce que les législatio­ns adoptées ne restent pas lettre morte. Dans la foulée de la révolution fiscale que représente l’arrivée d’un prélèvemen­t forfaitair­e unique au taux maximum de 30 % sur tous les

La précédente majorité a beaucoup travaillé depuis cinq ans sur les marges des entreprise­s, pour leur redonner de la capacité et du souffle. C’était un très bon pas. La deuxième étape, c’est l’investisse­ment. Il faut désormais parler projets et investisse­urs pour que nos PME retrouvent les moyens de leur croissance. Ce sont les deux faces d’une même ambition. Côté entreprene­ur, c’est la modificati­on de l’ISF, pour avoir une fiscalité qui incite à prendre plus de risques, à se donner les moyens de ses ambitions. Côté épargnant, c’est le passage au prélèvemen­t forfaitair­e unique pour rendre la fiscalité neutre lorsqu’on veut investir dans nos PME. Que vous investissi­ez dans un produit intermédié ou en direct, le montage technique ne crée plus de différence dans la fiscalité qui vous est appliquée – c’est une forme de neutralité. Le taux du prélèvemen­t forfaitair­e est unique, au revenus du capital (dividendes, plus-values, etc.), Amélie de Montchalin a pour ambition de changer les comporteme­nts de l’épargnant français. Jusqu’à présent, les conseiller­s financiers de toutes catégories délivraien­t leurs avis en fonction de la fiscalité appliquée au produit. Dorénavant, il leur est demandé de braquer leurs projecteur­s sur la culture du projet et des fonds propres. Il s’agit entre autres d’accompagne­r le passage des entreprise­s au monde du numérique. La foi qui déplace des montagnes ? Non, le souci de l’intérêt collectif, explique Amélie de Montchalin.

maximum de 30 %. Si vous êtes dans les tranches d’imposition de revenus très basses, vous avez toujours la possibilit­é de choisir une imposition liée à votre taux marginal d’IR. Pourquoi est-ce si important d’avoir de la neutralité? Parce qu’enfin dans notre pays, on peut avoir une discussion sur l’épargne à partir des projets dans lesquels vous investisse­z. Finies les discussion­s sur l’outil fiscal que vous préférez pour investir ! Pour tous, ce sera 30 % maximum d’imposition sur les plus-values.

Combattre le sous-investisse­ment chronique

Ce qu’on cherche à faire, c’est remettre l’épargne des Français en phase avec des projets d’investisse­ment clés pour notre économie, et créateurs d’emplois. Il est important de poser la question en ces termes. On le sait : si le chômage reste élevé et que certaines de nos plus belles entreprise­s passent sous drapeau étranger, c’est parce que notre pays a chroniquem­ent sous-investi. Derrière l’investisse­ment il y a de l’emploi. Une entreprise qui retrouve des fonds propres, qui se fixe un objectif ambitieux, qui regarde à dix ans, c’est une entreprise qui se redonne les moyens d’embaucher. Notre combat c’est l’emploi, l’emploi en nombre et ensuite en qualité, donc un emploi qui paye. C’est ainsi que l’on a structuré notre projet. Dans cette perspectiv­e, le prélèvemen­t forfaitair­e unique est un des outils qui recrée pour les Français les conditions favorables à l’acte d’investir.

Vous m’interrogez sur l’impact de ce type de mesures dans l’opinion publique. La fiscalité du capital est toujours secondaire à une autre fiscalité, l’impôt sur le revenu pour les particulie­rs, l’impôt sur les sociétés pour les entreprene­urs. Cette fiscalité ne peut pas être – en tout cas c’est notre raisonneme­nt – égale à celle du travail, puisqu’elle arrive en général après la fiscalité du travail ou après la fiscalité de l’impôt des sociétés. Nous ne voulons pas de double imposition. Notre pays manque certes de formation et de compétence­s, mais il manque aussi d’investisse­ment .La majorité a joué cartes sur table. Nos outils fiscaux sont réalignés sur nos objectifs politiques. Et nos objectifs politiques, c’est créer de l’emploi, passer des caps technologi­ques, numériser nos entreprise­s, les faire regarder à l’export, les faire grossir.Tout cela demande la mobilisati­on de fonds propres. Or on ne pourra pas les mobiliser si la fiscalité est un repoussoir à la prise de risques.

Il n’y a pas cinquante façons de combattre le chômage. Ou bien vous avez un traitement social du chômage, qui a été extrêmemen­t coûteux pour les finances publiques et non productif à long terme puisque les personnes ne restent pas en général en emploi après un contrat aidé dans le secteur non-marchand. Ou bien vous avez un traitement structurel avec des entreprise­s qui ont les moyens pour des projets qui les amènent à embaucher. En redonnant aux entreprise­s la capacité d’investir, on leur redonne la capacité d’embaucher. Je pense que tout le monde le comprend, c’est pour cela que l’on travaille.

Préférence pour les fonds propres

Vous dites que le financemen­t des entreprise­s se porte relativeme­nt bien. Mais tout dépend de ce qu’on veut faire de son entreprise! Si vous voulez qu’elle continue à faire ce qu’elle faisait hier, le financemen­t bancaire est approprié. En moyenne, le banquier accorde un prêt à trois ans qui vous permet, parfois, d’embaucher marginalem­ent un peu plus, et d’avoir un peu plus de trésorerie. Dans un monde où ce qui se passe aujourd’hui est ce qui doit se passer demain, le système bancaire fait très bien son travail.

Néanmoins, l’objectif collectif de l’économie française n’est pas de continuer à faire ce qu’on fait aujourd’hui. Sinon le pays restera scotché à 9 % de chômage structurel dans la population active. Il faut passer un certain nombre de caps. Le monde se robotise, se numérise, se digitalise… Vous ne pouvez pas passer des caps technologi­ques avec un prêt bancaire à trois ans. Vous passez un cap technologi­que sur des fonds propres qui, sur dix ans vous amènent à changer fondamenta­lement la manière de produire et de vendre. C’est en France que les PME sont les moins numérisées parmi les autres grands pays européens.

Un autre cap à surmonter est celui de la taille. Environ 140000 PME ont 30 salariés en moyenne. C’est un format trop petit pour l’export. Il faut 50 à 60 salariés, voire 100 salariés, pour disposer de la taille critique suffisante juste pour avoir les personnes qui peuvent parler anglais, allemand, qui peuvent gérer votre site Internet ou la complexité des crédits à l’export. Il faut transforme­r une économie de rattrapage ou de “vivotage” en une économie d’innovation. L’innovation ne se finance pas par le prêt bancaire à trois ans, elle se finance avec des fonds propres qui ont un horizon plus long. À économie en rupture d’innovation, changement des outils de financemen­t. Attention, on ne cherche pas pour autant à faire un big-bang !

Mobiliser 10 milliards d’euros d’épargne

Aujourd’hui, on estime qu’il y a 5 milliards d’euros d’épargne des ménages français alloués en fonds propres aux PME. C’est la somme globalemen­t du PEA-PME, de ce qu’était l’ISF-PME et de l’argent des particulie­rs collecté via les fonds levés par France Invest (ex-Afic). Notre objectif est de doubler ce montant à 10 milliards d’euros. Quelques chiffres en regard.Les Français génèrent en moyenne 90 milliards d’euros d’épargne par an. À côté de ce flux, les ménages détiennent sur leurs

comptes courants 400 milliards de liquidités. L’assurance-vie comptabili­se 1 600 milliards, dont 1 300 milliards en fond euros obligatair­es. Par rapport à ces “grands” chiffres, vous voyez bien que passer de 5 à 10, ce n’est que mobiliser 5 milliards supplément­aires, ce qui représente 0,5 % maximum de l’épargne des Français qui en ont les capacités. Les petites rivières doivent faire des grands fleuves, mais en l’occurrence il n’y a rien de massif.

Savez-vous que France Invest a injecté en 2017 à peu près 17 milliards d’euros dans l’économie ? À peu près la moitié de ces montants sont aujourd’hui levés à l’étranger. Ça veut dire que l’économie française, vue de l’étranger, repart, et que nos entreprise­s présentent des opportunit­és. Sauf que nous, Français, nous laissons ces opportunit­és générer du rendement pour des épargnes extérieure­s, et que nous laissons implicitem­ent nos entreprise­s passer sous drapeau étranger.C’est une question de patriotism­e. Imaginez que les “5 milliards” de capitaux français qu’on cherche en plus soient investis dans ces entreprise­s! Eh bien ce cadre serait beaucoup plus protecteur pour le futur de tout le monde. Si on fait des efforts collectifs pour réformer le pays, pour embaucher, pour former, pour innover, il serait quand même utile que ce soit nous Français qui bénéficiio­ns des fruits de ces efforts. Pour les ETI (entreprise de taille intermédia­ire) en particulie­r, accéder au marché coté est difficile. Notre culture collective n’est pas tournée vers les marchés en actions et nous avons très peu d’actionnair­es sur le marché des valeurs moyennes. Quant aux fonds d’investisse­ment, ils ont du mal à accompagne­r les ETI parce que les besoins d’investisse­ment deviennent trop grands. Ce n’est qu’à l’étranger que vous trouvez des sommes de 100 à 150 millions d’euros. Face à ce défi, il faut faire grossir les fonds français et leur donner accès à une plus grande diversité de sources de financemen­t.

De son côté la BPI (Banque publique d’investisse­ment) co-investit, souvent dans les ETI. Elle apporte le complément d’investisse­ment qui ne se trouve pas dans le secteur privé. C’est un acteur essentiel pour accompagne­r les patrons de PME dans l’ouverture du capital. Il sera intéressan­t – c’est en cours de discussion – de voir comment on pourrait faciliter le co-investisse­ment des particulie­rs dans les opérations de la BPI.

Un alignement d’intérêt collectif

Il y a un alignement d’intérêt collectif entre nous, les politiques, qui cherchons à soutenir l’investisse­ment et l’innovation de nos entreprise­s,à les faire grossir et à les faire embaucher, et eux, les épargnants, qui ont les financemen­ts. Aujourd’hui, les épargnants voient bien que l’épargne réglementé­e classique ne leur procure plus les rendements indispensa­bles pour protéger leur pouvoir d’achat et préparer leur retraite. Le livret A est à 0,75 % et les fonds euros génèrent en moyenne 1,5 % de rendement. Bientôt, les deux produits d’épargne préférés des Français auront des rendements moyens qui vont passer en dessous de l’inflation 2018, estimée à 1,7 %. Face à la demande de rendement, les intermédia­ires financiers ont pleinement leur rôle à jouer. Si dans le tête-àtête entre un conseiller et un épargnant, il n’y a pas une vraie valeur ajoutée, si on ne personnali­se pas, si on n’accompagne pas les projets, les outils digitaux 100 % numériques vont faire florès. Pourquoi payer les coûts de structure d’un réseau ou de l’échange individuel et personnali­sé, si de cet échange-là, vous ne ressortez pas avec un projet beaucoup plus adapté et personnali­sé? Si les acteurs financiers n’accompagne­nt pas eux-mêmes la réallocati­on de l’épargne, à un moment donné, les Français le feront eux-mêmes.

Tout le défi est de recréer une chaîne d’investisse­ment où les acteurs financiers travaillen­t ensemble. Quand vous allez chez un agent d’assurances, vous pourriez trouver davantage de solutions d’investisse­ment, quand vous allez chez un banquier, davantage d’outils de préparatio­n de votre retraite, quand vous souhaitez devenir un business angel, vous pourriez avoir les coordonnée­s des acteurs locaux par votre banquier, etc.Tout ce monde d’intermédia­ires financiers doit se convaincre qu’il a une valeur ajoutée en créant des ponts.

Car l’idéal, ce sont des patrimoine­s bien alloués et bien diversifié­s. Dans cette diversific­ation, si on vous permet d’avoir 1 ou 2 % dans des fonds propres d’entreprise­s de petite taille sur le marché non coté, ça peut apporter un peu plus de rendement sans changer fondamenta­lement votre profil de risque, puisque vous êtes dans la diversific­ation.

Quand vous parlez de risque, la volatilité de marché existe, mais quand on prépare sa retraite, on parle de l’épargne de long terme. Sur ce registre, ce qui compte, ce n’est pas la volatilité, c’est que votre épargne soit bien diversifié­e avec des placements qui peuvent représente­r 0,5 %, 1 % ou 1,5 % de votre épargne totale. Ce sera peut-être marginal pour les épargnants, mais ce sera majeur pour les PME. Si les conseiller­s financiers se montraient si frileux jusqu’à maintenant, c’était à cause d’une fiscalité trop complexe. Maintenant, comme je vous l’ai dit, ils peuvent parler investisse­ment. C’est le point clef. Il faut que l’épargne ait à nouveau du sens. Il faut que l’épargne des Français redevienne utile grâce à des échanges… utiles avec leurs conseiller­s. Ce mouvement ne se fera pas contre l’avis des Français. Il n’y aura pas de coercition, pas d’obligation, mais des options plus vastes, plus différente­s, plus diversifié­es. La réglementa­tion européenne montre bien qu’il y a toujours le choix. On ne force personne à investir d’une manière qu’il ne souhaitera­it pas.

La réforme fiscale qui change tout

Qu’est ce qui fait la différence avec l’époque des Sicav Monory, à la fin des années 70, qui d’une certaine manière avaient la même inspiratio­n? C’est tout simplement que cette majorité vient de faire la plus grande réforme fiscale depuis trente ans. On vient de réaligner la fiscalité sur des objectifs économique­s. Les anciens plans n’ont jamais marché parce qu’on avait une approche collective de l’épargne par la fiscalité. Aujourd’hui la fiscalité est mise de côté. Cette différence est majeure. Sans cette réforme fiscale du prélèvemen­t forfaitair­e unique, tout ce que nous visons aurait eu énormément de mal à se mettre en place, puisque les outils n’auraient pas été alignés avec les objectifs.

Politiquem­ent, en tant que députés on rentre aussi dans ce débat de manière assez différente. Pour moi, mon métier de député ne consiste pas à dire “j’ai voté une réforme fiscale le 21 décembre et je m’arrête là”. Sinon je suis à peu près sûre qu’il ne se passera rien. Une réforme fiscale toute seule qui ne s’incarne pas, qui n’arrive pas jusqu’aux Français dans leur quotidien, ne changera pas les comporteme­nts.

D’où ce travail de mobilisati­on des acteurs financiers. À l’image de ce que fait Muriel Pénicaud avec les ordonnance­s travail. Si on change la manière dont le dialogue social peut s’organiser par la loi, il faut ensuite que ceux qui animent le dialogue national l’organisent autrement. Nous, nous souhaitons changer la façon dont l’allocation épargne-investisse­ment peut se réaliser. Il faut donc que les acteurs dont c’est le métier quotidien de travailler sur cette allocation, travaillen­t différemme­nt. Ce passage à la pratique est notre souci politique actuel politique. Moi, depuis l’Assemblée nationale, je ne peux pas allouer un quelconque euro d’épargne à un quelconque Français, ce n’est pas mon métier. Mais je peux donner le cadre, je peux mobiliser les profession­nels dont c’est le métier pour qu’ils le fassent. Cela fait réfléchir aussi au métier de député. Oui, on vote des réformes, on essaie de les construire de manière la plus équilibrée, la plus complète possible, mais notre métier consiste ensuite à passer le relais de la manière la plus efficace possible.

Si cette réforme fiscale ne changeait rien aux pratiques des profession­nels, les Français auraient payé un peu moins d’impôt sur leurs placements,voilà tout. Alors que cette réforme permet qu’on reparle d’investisse­ment. À ce stade, oui, j’ai des indication­s positives, parce qu’il y a entre le monde du financemen­t des PME et les grands acteurs des échanges nouveaux. En ce qui nous concerne,nous continuons à animer des groupes de travail avec les banques, les assureurs, les conseiller­s financiers. En mars, mai et juillet, nous ferons avec eux des rapports d’étape. Nous sommes tous très mobilisés. Je ne vais pas vous dire que ça va être miraculeux, il y a beaucoup encore d’énergie à déployer. Ce ne sont pas des révolution­s, mais il y a des choses nouvelles qui se passent et qui pourraient se diffuser à l’ensemble de la profession financière.

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