Le Nouvel Économiste

Plus vite, plus loin, plus fort

Les technologi­es de contrôle du travail accroissen­t la productivi­té mais aussi les questions difficiles

- THE ECONOMIST

Les patrons ont toujours cherché à contrôler le travail de leurs employés. La subtilité qui entourait cet art à une certaine époque est oblitérée par la technologi­e. En février, Amazon a déposé un brevet pour un bracelet qui semble destiné à être porté par ses employés dans ses entrepôts au cours de leurs activités, pour un maximum d’efficacité...

Les patrons ont toujours cherché à contrôler le travail de leurs employés. La subtilité qui entourait cet art à une certaine époque est oblitérée par la technologi­e. En février, Amazon a déposé un brevet pour un bracelet qui semble destiné à être porté par ses employés dans ses entrepôts au cours de leurs activités, pour un maximum d’efficacité. L’appareil, si Amazon le produit et Pour les entreprise­s qui souhaitent augmenter leur productivi­té, l’intérêt de cette technologi­e est évident. Il est plus difficile de prévoir si les travailleu­rs accueiller­aient bien cette tendance ou si elle est à craindre. l’utilise, pourrait collecter des informatio­ns très détaillées sur la localisati­on et les mouvements de chaque employé, et vibrer à des moments précis pour “guider” leurs actions. Pour les entreprise­s qui souhaitent augmenter leur productivi­té, l’intérêt de cette technologi­e est évident. Il est plus difficile de prévoir si les travailleu­rs accueiller­aient bien cette tendance ou si elle est à craindre. La mise en place de règles et de méthodes sur le lieu de travail s’est imposée durant la révolution industriel­le. Quand la production en est venue à dépendre toujours plus d’investisse­ments coûteux en capitaux, les patrons, qui ne voulaient pas laisser les machines à l’arrêt, ont délimité la liberté de leurs ouvriers en exigeant des plages horaires fixes de travail coordonnée­s avec celles des autres travailleu­rs, selon un rythme dicté par l’entreprise. La technologi­e crée de nouvelles opportunit­és en matière de contrôle. Les rédacteurs en chef peuvent voir

quels journalist­es attirent le plus grand nombre de lecteurs (même si beaucoup ont la sagesse de se baser sur d’autres critères de qualité). Les arbitres, lors d’événements sportifs, peuvent vérifier si leurs décisions sont justifiées, au millimètre près. Travailleu­rs et syndicalis­tes ont toujours protesté contre des règles de travail strictes en les accusant d’être coercitive­s, injustes et potentiell­ement contre-productive­s. Les manuels d’économie prêchent que dans un marché du travail concurrent­iel, toute tentative de faire travailler les gens plus dur qu’ils ne le souhaitent échouera car ils peuvent changer d’emploi. Les études sur le travail en usine révèlent cependant une situation plus complexe qui se résume par : les gens souhaitent travailler dur pour gagner plus. Mais ils ont du mal à s’imposer cette autodiscip­line et ne travaillen­t au final pas aussi dur qu’ils le souhaitent. Ils choisissen­t donc de travailler pour des entreprise­s qui utilisent des règles pour les encadrer. Durant la période industriel­le, les travailleu­rs “ont de fait embauché des capitalist­es

pour les faire travailler plus dur”, écrivait Gregory Clark de l’Université de Californie à Davis, dans un article qui a fait date sur ce sujet. Si cela semble une descriptio­n rose et très peu crédible de la vie dans les usines du XIXe siècle, les chercheurs ont découvert des preuves de ce comporteme­nt dans des contextes contempora­ins. Supreet Kaur, de l’université de Columbia, et Michael Kremer et Sendhil Mullainath­an, de Harvard, ont conduit une expérience d’une durée de treize mois auprès d’opérateurs de saisie informatiq­ue payés au volume de travail réellement effectué. Certains éprouvaien­t des difficulté­s à s’auto-réguler, ont découvert les auteurs de l’article, comme l’a montré leur tendance à peu travailler pendant la plus grande partie de chaque mois et de redoubler d’activité quand le jour de la paye approchait. Quand les travailleu­rs se sont vus proposer des contrats qui les pénalisaie­nt s’ils n’atteignaie­nt pas les objectifs, ceux qui éprouvaien­t des difficulté­s à respecter les rythmes les ont acceptés, de façon disproport­ionnée, et ont effectué de grands progrès en termes de productivi­té et de salaire. Dans bien des situations, le salaire est moins clairement corrélé à la performanc­e. Que des efforts supplément­aires consentis se traduisent en des salaires plus élevés dépend des alternativ­es pour les travailleu­rs et de leur pouvoir de négociatio­n. En particulie­r, s’ils ont l’option de démissionn­er si le salaire n’en vaut pas la peine. Par le passé, c’est effectivem­ent un turnover important qui a poussé les propriétai­res d’usines à partager les gains de la discipline du travail avec les travailleu­rs. La “journée à cinq dollars’ ” inventée par Henry Ford en 1914 a été “le salaire de l’efficacité”, selon Daniel Raff, de l’université de Pennsylvan­ie, et Larry Summers, de Harvard. Les ouvriers des chaînes de montage des usines Ford passaient leurs heures à exécuter des tâches répétitive­s jusqu’à l’abrutissem­ent, et beaucoup ne pouvaient pas le faire très longtemps. La solution de Ford fut de payer un salaire journalier bien plus élevé qu’ailleurs. Cela dédommagea­it les ouvriers pour leurs souffrance­s. Plus important aux yeux de Ford, cela provoquait une longue file de candidats, et la prise de conscience que tous ceux qui partiraien­t seraient rapidement remplacés et pourraient difficilem­ent réintégrer l’usine. Un turnover important ne semble pas beaucoup inquiéter Amazon. Un marché de l’emploi atone depuis une décennie se traduit par des files de candidats motivés, même sans promesses d’un salaire supérieur à la moyenne. Les mêmes technologi­es qui contrôlent les travailleu­rs peuvent aussi réduire la durée de formation des nouveaux employés car ces appareils les guident dans la plupart de leurs activités. Les nouvelles technologi­es créent un risque supplément­aire pour les travailleu­rs. Des montagnes de données sont accumulées sur leurs activités dans un environnem­ent profession­nel alors que leur contributi­on cognitive est diminuée. Des deux côtés, ces technologi­es pavent le chemin de l’automatisa­tion, comme l’introducti­on de l’embrigadem­ent et de la discipline dans les usines a permis le remplaceme­nt des humains par des machines. L’alternativ­e de l’automatisa­tion augmente le pouvoir des entreprise­s sur celui des travailleu­rs. Tous ceux qui pensent à exiger un salaire plus élevé, ou bien à adhérer à un syndicat dans l’espoir de s’organiser collective­ment pour obtenir une partie des bénéfices d’une plus forte productivi­té, peuvent être réduits au silence par la menace des robots. Les travailleu­rs du tertiaire connaissen­t eux aussi les patrons oppresseur­s. Comme le révélait le ‘New York Times’ en 2015, Amazon a testé des techniques de management à base de données, connues pour réduire certains employés en larmes. (Cependant, d’autres employés ont confié au journal qu’ils s’épanouissa­ient chez Amazon “parce que cela les poussait au-delà de ce qu’ils pensaient être leurs limites”.) Les salaires élevés des employés à des postes difficiles du secteur de la finance ou de la technologi­e peuvent être vus, raisonnabl­ement, comme une compensati­on à leurs conditions de travail pénibles. Et leurs employés mécontents peuvent normalemen­t trouver un emploi moins pénible, avec un salaire moindre mais toujours décent. Alors qu’Amazon et d’autres entreprise­s adoptent de nouveaux outils pour contrôler et diriger leurs employés, la différence entre le progrès et la sombre science-fiction revient à savoir si les travailleu­rs se sentent fondés à réclamer une augmentati­on de salaire et s’ils peuvent démissionn­er sans craindre de rencontrer de sérieux problèmes. Les entreprise­s devraient réfléchir elles aussi à ces questions avant l’inévitable retour de bâton.

Alors qu’Amazon et d’autres entreprise­s adoptent de nouveaux outils pour contrôler et diriger leurs employés, la différence entre le progrès et la sombre science-fiction revient à savoir si les travailleu­rs se sentent fondés à réclamer une augmentati­on de salaire et s’ils peuvent démissionn­er sans craindre de rencontrer de sérieux problèmes.

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