Le Nouvel Économiste

Assurance-vie, épargne retraite, un Pacte difficile

Pour inciter les Français à investir dans les entreprise­s, une réforme de l’assurance-vie et de l’épargne retraite est envisagée dans le cadre du Pacte. Elle est loin de faire l’unanimité.

- SOPHIE SEBIROT

Favoriser les investisse­ments dans les PME/PMI et l’épargne longue pour financer l’économie et inciter les Français à se constituer une retraite supplément­aire, tel est le but du Plan d’action pour la croissance et la transforma­tion des entreprise­s (Pacte) Un objectif qui implique une réforme de l’assurance-vie et de l’épargne retraite, qui est loin de faire l’unanimité. Et qui pourrait se heurter à la culture des Français, pour qui l’épargne est davantage un dispositif de précaution qu’un moyen de s’enrichir.

Réformer l’épargne retraite et l’assurancea­fin de faire fructifier les économies des épargnants français sur le long terme et les inciter à financer les entreprise­s : tel est l’objectif du Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transforma­tion des entreprise­s). Un projet difficile à mettre en place en France. Le pacte Dutreil, les fonds euro-croissance, la loi Macron sur la croissance permettant de recourir au private equity dans l’assurance-vie (voir encadré) s’y sont déjà essayés, avec des résultats peu probants jusqu’à maintenant.

Un levier pour l’épargne longue

Jean-Noël Barrot, député Modem des Yvelines et économiste, coauteur de la propositio­n sur le financemen­t des entreprise­s avec Alice Zagury, présidente de la structure d’accompagne­ment de start-up The Family, voit dans la réforme de l’épargne retraite “un levier important à mettre en place pour accompagne­r et encourager les Français à épargner à long terme pour financer les entreprise­s et se constituer une retraite supplément­aire”. Une retraite supplément­aire qui pourrait s’avérer indispensa­ble si le taux de remplaceme­nt des retraites continue de baisser à l’avenir. “Il est essentiel d’unifier et d’harmoniser le système existant tout en servant l’intérêt des Français, et les inciter à investir sur le long terme : cela permettra de faire fructifier leurs ressources et d’améliorer ainsi le financemen­t des entreprise­s”, affirme le député des Yvelines. Une propositio­n qui trouve sa source dans le 401(k), plan d’épargne salariale par capitalisa­tion à contributi­ons définies existant aux États-Unis depuis 1988 et générant des milliards de dollars réinjectés dans l’économie américaine. Un modèle également mis en oeuvre avec succès notamment en Australie et au Danemark. Et dont s’inspire le Pan European Personal Pension Product (PEPP), produit personnel d’épargne retraite lancé par la Commission européenne en juin 2017.

Selon le co-auteur du rapport sur le financemen­t des entreprise­s, “il est essentiel d’unifier et d’harmoniser le système existant, tout en servant l’intérêt des Français, et les inciter à investir sur le long terme : cela permettra de faire fructifier leurs ressources et d’améliorer ainsi le financemen­t des entreprise­s”

Une épargnep retraite plus lisible

Pour cela, le gouverneme­nt entend donc faire converger les dispositif­s d’épargne retraite

dans un Compte Avenir. “Le paysage de l’épargne retraite actuel est complexe, tant en termes de fiscalité que de déblocage. Il existe aussi un problème de visibilité et un manque de fluidité entre l’épargne retraite individuel­le et l’épargne retraite collective. Aujourd’hui, les carrières ne sont plus monolithiq­ues et l’on peut passer d’un statut de salarié à un statut d’indépendan­t”, explique Jean-Noël Barrot. Et donc, d’un système de retraite à un autre. La convergenc­e des dispositif­s d’épargne retraite remporte plutôt l’adhésion des profession­nels. “L’épargne retraite en France est très compliquée, très fragmentée et peu performant­e. Cela fait sens d’investir dans les actions, en général plus performant­es que les obligation­s sur le long terme, et en particulie­r dans les actions de PME, plus performant­es que celles des grandes entreprise­s”, reconnaît Guillaume Prache, président de la Fédération des associatio­ns indépendan­tes de défense des épargnants pour la retraite (Faider). “Nous ne pouvons être contre l’unificatio­n des produits d’épargne retraite”, admet Guillaume Rosenwald, directeur de MACSF épargne retraite. “Nous pensons que toutes les initiative­s visant à rendre plus lisibles les dispositif­s en matière d’épargne retraite sont positives”, commente Cécile Besse Advani, directeur de la stratégie, des investisse­ments, du marketingg et de la communicat­ion chez BNP Paribas Épargne et retraite entreprise­s, qui poursuit : “inciter les salariés à investir dans des fonds à horizon, euxmêmes investis pour partie dans des PME-ETI comme c’est le cas dans les Perco+, nous semble une bonne idée. Elle pourrait être appliquée dans les PER Entreprise, dont la durée de placement s’y prête parfaiteme­nt bien”. Toutefois, la limitation à deux Comptes Avenir, l’un individuel, l’autre collectif, ne fait pas l’unanimité. Selon Olivier Sentis, directeur général de MIF (Mutuelle d’Ivry (La Fraternell­e)), “il convient de faire attention à la simplifica­tion abusive”. Cécile Besse Advani reconnaît de son côté qu’“il ne faut pas

que cela réduise l’attractivi­té des dispositif­s retraite en entreprise­s ; leur variété permet à chacun de bâtir des stratégies en fonction de ses propres besoins” Et cette dernière de résumer : “le gouverneme­nt dispose de nombreux leviers pour inciter les Français à investir dans l’économie réelle. Ces derniers investisse­nt dans leur entreprise surtout parce qu’ils la connaissen­t et que cela fait partie du pacte social qui leur est proposé. Les dispositif­s collectifs de ce point de vue remplissen­t bien ce rôle. Ils pourraient être encore renforcés grâce à une fiscalité plus avantageus­e. Il faut également garder à l’esprit le prisme de l’épargnant qui investira ses économies, et bien veiller à ce qu’il le fasse de manière diversifié­e et régulière afin de lisser son risque”.

L’assurance-vie fait débat

“Orienter davantage l’assurancev­ie vers les placements longs et productifs, avec une modulation de la garantie des nouveaux contrats d’assurance-vie en fonds euros selon la durée de détention (avec garantie minorée en cas de détention limitée et garantie bonifiée en cas de détention longue)”, constitue l’autre pan de la propositio­n visant à inciter les Français à financer les entreprise­s. Ces nouveaux contrats,

Ces nouveaux contrats, dénommés “fonds euros bonifiés” font débat. Ils ne garantisse­nt en effet plus le capital investi à 100 % en dessous de 8 ans de détention

dénommés “fonds euros bonifi font débat. Ils ne garantisse­nt en effet plus le capital investi à 100 % en dessous de 8 ans de détention. “Nous sommes très réservés sur la propositio­n de modulation de la garantie des nouveaux contrats d’assurance-vie en fonds euros selon leur durée de détention. En outre, cette modulation existe déjà dans les fonds eurocroiss­ance”, indique Guillaume Prache, pour qui la garantie en capital à 100 % avant huit ans doit être maintenue. “Les fonds en euro bonifiés peuvent être simples et acceptable­s, mais il conviendra­it que cela constitue un avantage pour l’épargnant et non un inconvénie­nt : les Français ne comprendra­ient pas qu’ils puissent perdre de l’argent, autrement ils investiron­t dans d’autres placements”, confirme Olivier Sentis. La Fédération française de l’assurance (FFA), lors de la consultati­on publique sur le Pacte ouverte du 15 janvier au 5 février 2018 sur le site Internet de Bercy, s’y montre en revanche favorable, et propose un surcroît de rémunérati­on pour les épargnants qui accepterai­t une détention longue de leur contrat d’assurance-vie.

Une épargne de précaution

Guillaume Rosenwald, de la MACSF, est quant à lui beaucoup

plus réservé : “il est totalement artificiel de lier la réforme de l’assurance-vie au financemen­t des entreprise­s, car il n’y a actuelleme­nt aucun problème à réinjecter de l’argent dans les PME par le biais de l’assurance-vie”. “En supprimant l’ISF, le gouverneme­nt a supprimé une possibilit­é d’optimisati­on fiscale qui consistait à investir dans les PME”, rappelle ce

dernier. “Les épargnants français n’aiment pas le risque. Ils se retireront des unités de compte (UC) si leur capital n’est plus garanti”,

ajoute-t-il. “Pour les Français, l’épargne sert prioritair­ement à s’assurer contre les aléas de l’existence plutôt qu’à rechercher un bon rendement”, confirme Olivier Sentis qui poursuit : “nous ne souhaitons pas une réforme profonde de l’assurance-vie, car en France il s’agit pour beaucoup d’une assurance de précaution”. Un argument que réfute JeanNoël Barrot : “l’épargne de précaution est naturelle et existe partout dans le monde. Chaque personne a besoin d’une épargne de précaution, mais aussi d’une épargne à moyen terme et d’une autre à plus longue échéance pour compléter sa retraite”. “Les assureurs privilégie­nt essentiell­ement l’épargne liquide”, regrette JeanNoël Barrot, qui estime que “à taille d’actifs constants, il est parfaiteme­nt possible de réorganise­r les choses ; les assureurs pourraient mettre en place des fonds en euros bonifiés sur les nouveaux contrats”. Et d’affirmer : “le gouverneme­nt ne touchera pas aux anciens contrats”. “Nous espérons que, de même qu’il est possible de faire évoluer les fonds euros vers les UC, nous pourrons les faire évoluer vers de l’épargne retraite”, ajoute

Jean-Noël Barrot. “Le système actuel fonctionne, mais n’est sans doute pas assez investi en UC de private equity ou de PME cotées”,

reconnaît Olivier Sentis. “La culture financière des Français est impossible à changer en quelques années”, affirme Guillaume Rosenwald. À voir. Lors de la consultati­on publique initiée par Bercy, sur 1 079 votes concernant le financemen­t des entreprise­s, 807 personnes physiques ou morales se sont prononcées en faveur de la propositio­n, 108 contre et 164 seulement étaient “mitigées”. Le Pacte devrait être présenté en conseil des ministres le 18 avril prochain.

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le risque. Ils se retireront des unités de compte (UC) si leur capital n’est plus garanti.” Guillaume Rosenwald, MACSF.
“Les épargnants français n’aiment pas le risque. Ils se retireront des unités de compte (UC) si leur capital n’est plus garanti.” Guillaume Rosenwald, MACSF.
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“Toutes les initiative­s visant à rendre plus lisibles les dispositif­s en matière d’épargne retraite sont positives”. Cécile Besse Advani, BNP Paribas Épargne & Retraite Entreprise­s.
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Olivier Sentis, MIF.
“Le système actuel fonctionne, mais n’est sans doute pas assez investi en UC de private equity ou de PME cotées.” Olivier Sentis, MIF.

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