Assurance-vie, épargne retraite, un Pacte difficile
Pour inciter les Français à investir dans les entreprises, une réforme de l’assurance-vie et de l’épargne retraite est envisagée dans le cadre du Pacte. Elle est loin de faire l’unanimité.
Favoriser les investissements dans les PME/PMI et l’épargne longue pour financer l’économie et inciter les Français à se constituer une retraite supplémentaire, tel est le but du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) Un objectif qui implique une réforme de l’assurance-vie et de l’épargne retraite, qui est loin de faire l’unanimité. Et qui pourrait se heurter à la culture des Français, pour qui l’épargne est davantage un dispositif de précaution qu’un moyen de s’enrichir.
Réformer l’épargne retraite et l’assuranceafin de faire fructifier les économies des épargnants français sur le long terme et les inciter à financer les entreprises : tel est l’objectif du Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Un projet difficile à mettre en place en France. Le pacte Dutreil, les fonds euro-croissance, la loi Macron sur la croissance permettant de recourir au private equity dans l’assurance-vie (voir encadré) s’y sont déjà essayés, avec des résultats peu probants jusqu’à maintenant.
Un levier pour l’épargne longue
Jean-Noël Barrot, député Modem des Yvelines et économiste, coauteur de la proposition sur le financement des entreprises avec Alice Zagury, présidente de la structure d’accompagnement de start-up The Family, voit dans la réforme de l’épargne retraite “un levier important à mettre en place pour accompagner et encourager les Français à épargner à long terme pour financer les entreprises et se constituer une retraite supplémentaire”. Une retraite supplémentaire qui pourrait s’avérer indispensable si le taux de remplacement des retraites continue de baisser à l’avenir. “Il est essentiel d’unifier et d’harmoniser le système existant tout en servant l’intérêt des Français, et les inciter à investir sur le long terme : cela permettra de faire fructifier leurs ressources et d’améliorer ainsi le financement des entreprises”, affirme le député des Yvelines. Une proposition qui trouve sa source dans le 401(k), plan d’épargne salariale par capitalisation à contributions définies existant aux États-Unis depuis 1988 et générant des milliards de dollars réinjectés dans l’économie américaine. Un modèle également mis en oeuvre avec succès notamment en Australie et au Danemark. Et dont s’inspire le Pan European Personal Pension Product (PEPP), produit personnel d’épargne retraite lancé par la Commission européenne en juin 2017.
Selon le co-auteur du rapport sur le financement des entreprises, “il est essentiel d’unifier et d’harmoniser le système existant, tout en servant l’intérêt des Français, et les inciter à investir sur le long terme : cela permettra de faire fructifier leurs ressources et d’améliorer ainsi le financement des entreprises”
Une épargnep retraite plus lisible
Pour cela, le gouvernement entend donc faire converger les dispositifs d’épargne retraite
dans un Compte Avenir. “Le paysage de l’épargne retraite actuel est complexe, tant en termes de fiscalité que de déblocage. Il existe aussi un problème de visibilité et un manque de fluidité entre l’épargne retraite individuelle et l’épargne retraite collective. Aujourd’hui, les carrières ne sont plus monolithiques et l’on peut passer d’un statut de salarié à un statut d’indépendant”, explique Jean-Noël Barrot. Et donc, d’un système de retraite à un autre. La convergence des dispositifs d’épargne retraite remporte plutôt l’adhésion des professionnels. “L’épargne retraite en France est très compliquée, très fragmentée et peu performante. Cela fait sens d’investir dans les actions, en général plus performantes que les obligations sur le long terme, et en particulier dans les actions de PME, plus performantes que celles des grandes entreprises”, reconnaît Guillaume Prache, président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (Faider). “Nous ne pouvons être contre l’unification des produits d’épargne retraite”, admet Guillaume Rosenwald, directeur de MACSF épargne retraite. “Nous pensons que toutes les initiatives visant à rendre plus lisibles les dispositifs en matière d’épargne retraite sont positives”, commente Cécile Besse Advani, directeur de la stratégie, des investissements, du marketingg et de la communication chez BNP Paribas Épargne et retraite entreprises, qui poursuit : “inciter les salariés à investir dans des fonds à horizon, euxmêmes investis pour partie dans des PME-ETI comme c’est le cas dans les Perco+, nous semble une bonne idée. Elle pourrait être appliquée dans les PER Entreprise, dont la durée de placement s’y prête parfaitement bien”. Toutefois, la limitation à deux Comptes Avenir, l’un individuel, l’autre collectif, ne fait pas l’unanimité. Selon Olivier Sentis, directeur général de MIF (Mutuelle d’Ivry (La Fraternelle)), “il convient de faire attention à la simplification abusive”. Cécile Besse Advani reconnaît de son côté qu’“il ne faut pas
que cela réduise l’attractivité des dispositifs retraite en entreprises ; leur variété permet à chacun de bâtir des stratégies en fonction de ses propres besoins” Et cette dernière de résumer : “le gouvernement dispose de nombreux leviers pour inciter les Français à investir dans l’économie réelle. Ces derniers investissent dans leur entreprise surtout parce qu’ils la connaissent et que cela fait partie du pacte social qui leur est proposé. Les dispositifs collectifs de ce point de vue remplissent bien ce rôle. Ils pourraient être encore renforcés grâce à une fiscalité plus avantageuse. Il faut également garder à l’esprit le prisme de l’épargnant qui investira ses économies, et bien veiller à ce qu’il le fasse de manière diversifiée et régulière afin de lisser son risque”.
L’assurance-vie fait débat
“Orienter davantage l’assurancevie vers les placements longs et productifs, avec une modulation de la garantie des nouveaux contrats d’assurance-vie en fonds euros selon la durée de détention (avec garantie minorée en cas de détention limitée et garantie bonifiée en cas de détention longue)”, constitue l’autre pan de la proposition visant à inciter les Français à financer les entreprises. Ces nouveaux contrats,
Ces nouveaux contrats, dénommés “fonds euros bonifiés” font débat. Ils ne garantissent en effet plus le capital investi à 100 % en dessous de 8 ans de détention
dénommés “fonds euros bonifi font débat. Ils ne garantissent en effet plus le capital investi à 100 % en dessous de 8 ans de détention. “Nous sommes très réservés sur la proposition de modulation de la garantie des nouveaux contrats d’assurance-vie en fonds euros selon leur durée de détention. En outre, cette modulation existe déjà dans les fonds eurocroissance”, indique Guillaume Prache, pour qui la garantie en capital à 100 % avant huit ans doit être maintenue. “Les fonds en euro bonifiés peuvent être simples et acceptables, mais il conviendrait que cela constitue un avantage pour l’épargnant et non un inconvénient : les Français ne comprendraient pas qu’ils puissent perdre de l’argent, autrement ils investiront dans d’autres placements”, confirme Olivier Sentis. La Fédération française de l’assurance (FFA), lors de la consultation publique sur le Pacte ouverte du 15 janvier au 5 février 2018 sur le site Internet de Bercy, s’y montre en revanche favorable, et propose un surcroît de rémunération pour les épargnants qui accepterait une détention longue de leur contrat d’assurance-vie.
Une épargne de précaution
Guillaume Rosenwald, de la MACSF, est quant à lui beaucoup
plus réservé : “il est totalement artificiel de lier la réforme de l’assurance-vie au financement des entreprises, car il n’y a actuellement aucun problème à réinjecter de l’argent dans les PME par le biais de l’assurance-vie”. “En supprimant l’ISF, le gouvernement a supprimé une possibilité d’optimisation fiscale qui consistait à investir dans les PME”, rappelle ce
dernier. “Les épargnants français n’aiment pas le risque. Ils se retireront des unités de compte (UC) si leur capital n’est plus garanti”,
ajoute-t-il. “Pour les Français, l’épargne sert prioritairement à s’assurer contre les aléas de l’existence plutôt qu’à rechercher un bon rendement”, confirme Olivier Sentis qui poursuit : “nous ne souhaitons pas une réforme profonde de l’assurance-vie, car en France il s’agit pour beaucoup d’une assurance de précaution”. Un argument que réfute JeanNoël Barrot : “l’épargne de précaution est naturelle et existe partout dans le monde. Chaque personne a besoin d’une épargne de précaution, mais aussi d’une épargne à moyen terme et d’une autre à plus longue échéance pour compléter sa retraite”. “Les assureurs privilégient essentiellement l’épargne liquide”, regrette JeanNoël Barrot, qui estime que “à taille d’actifs constants, il est parfaitement possible de réorganiser les choses ; les assureurs pourraient mettre en place des fonds en euros bonifiés sur les nouveaux contrats”. Et d’affirmer : “le gouvernement ne touchera pas aux anciens contrats”. “Nous espérons que, de même qu’il est possible de faire évoluer les fonds euros vers les UC, nous pourrons les faire évoluer vers de l’épargne retraite”, ajoute
Jean-Noël Barrot. “Le système actuel fonctionne, mais n’est sans doute pas assez investi en UC de private equity ou de PME cotées”,
reconnaît Olivier Sentis. “La culture financière des Français est impossible à changer en quelques années”, affirme Guillaume Rosenwald. À voir. Lors de la consultation publique initiée par Bercy, sur 1 079 votes concernant le financement des entreprises, 807 personnes physiques ou morales se sont prononcées en faveur de la proposition, 108 contre et 164 seulement étaient “mitigées”. Le Pacte devrait être présenté en conseil des ministres le 18 avril prochain.