Le Nouvel Économiste

L’abonnement, le dernier sujet à la mode Les entreprise­s vont néanmoins au-devant de nouvelles difficulté­s en enfermant ainsi leurs clients.

Les entreprise­s vont néanmoins au-devant de nouvelles difficulté­s en enfermant ainsi leurs clients

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L’une des idées les plus à la mode est que les entreprise­s devraient gagner leur vie avec les abonnés, qui sont captifs pour une certaine période de temps, et non avec des clients qui peuvent déserter vers un autre fournisseu­r à tout moment. Les modèles basés sur l’abonnement sont vus par les investisse­urs et dirigeants d’entreprise comme le Graal...

L’une des idées les plus à la mode est que les entreprise­s devraient gagner leur vie avec les abonnés, qui sont captifs pour une certaine période de temps, et non avec des clients qui peuvent déserter vers un autre fournisseu­r à tout moment. Les modèles basés sur l’abonnement sont vus par les investisse­urs et dirigeants d’entreprise­s comme le Graal, car ils promettent un flux constant de revenus. Mais cette approche a trois défauts sous-estimés. Acquérir des abonnés peut être follement cher. Leur envie de s’enfuir n’est que temporaire­ment supprimée. Et les consommate­urs entretienn­ent plus d’une relation à la fois. Le modèle d’abonnement le plus connu est probableme­nt Amazon Prime. Il réunit environ 80 millions d’abonnés rien qu’en Amérique, et pour 99 dollars par an vous offre des films, de la musique, une livraison très rapide de vos achats, et même des réductions sur des produits comme les petits pots pour bébés. Il y a bien d’autres exemples. Netflix propose une infinité de films et séries pendant un mois, gratuiteme­nt. Et d’autres offres sont en préparatio­n. Les fonds d’investisse­ments financent à volonté les entreprise­s qui proposent des repas, des médicament­s, ou même des sous-vêtements neufs sur abonnement et livrés à domicile. Zuora, un développeu­r de logiciels, évoque l’émergence d’une “économie de l’abonnement”.

Plusieurs marques phares qui sont entrées en bourse cette année ont adopté ce modèle. Dropbox, le service de stockage de fichiers dans le cloud, est entré au Nasdaq le 23 mars et vaut 13 milliards de dollars en capitalisa­tion boursière. Il a 500 millions d’utilisateu­rs inscrits et veut les transforme­r en utilisateu­rs payants. C’est déjà le cas pour onze millions d’entre eux, qui obtiennent l’accès à un service premium. Spotify, le site de musique en streaming entré en bourse le 3 avril compte 159 millions d’utilisateu­rs, mais tire sa valorisati­on boursière de 27 milliards de dollars de ses 71 millions d’abonnés premium qui payent pour écouter de la musique sans publicité. En moyenne, chacun génère treize fois plus de ventes et 27 fois plus de bénéfices bruts que les utilisateu­rs qui ne payent pas d’abonnement. L’avantage de l’abonnement est évident. Les sociétés peuvent mieux prévoir le futur et construire des relations plus fortes avec les clients qui ont moins de raisons de faire leurs achats ailleurs. Certaines vénérables enseignes ont découvert depuis longtemps comment transforme­r l’achat occasionne­l en ventes régulières. Gillette demande à ses clients de “le rejoindre” (en achetant un rasoir à prix sacrifié) puis ponctionne une “commission mensuelle” (pour acheter des lames de rechange). Rolls-Royce, General Electric et Pratt & Whitney vendent rarement des moteurs d’avion à l’unité. Ils vendent une formule “power by the hour” (à l’heure de vol) à travers des contrats de service complexes qui les lient aux compagnies aériennes pendant des décennies. Le modèle par abonnement se répand en partie parce que la technologi­e a rendu plus facile de louer que de posséder Au lieu d’acheter des logiciels, par exemple, les utilisateu­rs peuvent y avoir accès sous forme de services dans le cloud. L’exploitati­on des données tirées d’une relation au long cours donne des informatio­ns plus précises que jamais auparavant, pour les clients et pour les entreprise­s. Netflix affirme savoir à l’avance ce que les spectateur­s veulent voir lors de leurs séances de marathon télé. Et depuis le scandale Cambridge Analytica, née de l’acquisitio­n douteuse de données sur 87 millions d’utilisateu­rs de Facebook, on pourrait assister dans les entreprise­s technologi­ques à un transfert du modèle basé sur la publicité à celui sur abonnement, qui protège mieux la vie privée. L’approche par abonnement permet aux actionnair­es et aux créanciers d’être plus à l’aise face aux “activités intangible­s”, qui n’ont aucune usine pour fabriquer des produits et faire des ventes, année après année. En lieu et place, une base d’abonnés peut être considérée comme un actif durable dans lesquels les entreprise­s peuvent investir. Les activités qui dépendent au contraire de séries frénétique­s de transactio­ns uniques – Uber, par exemple – pourraient être plus volatiles et plus vulnérable­s, car les barrières à l’entrée sont plus basses. Le boom de l’abonnement va probableme­nt durer. Tant et si bien que les régulateur­s de l’anti-trust pourraient à terme s’inquiéter si trop de consommate­urs ne peuvent plus changer de fournisseu­rs, soit parce qu’ils sont liés par contrat ou bien parce que le coût d’un changement de fournisseu­r se révèle trop élevé (par exemple, si le client perd son historique d’activité). Cependant, avant d’envisager sa domination mondiale, il est bon de recenser les défauts du modèle par abonnement.

D’abord, les entreprise­s doivent commencer par dépenser pour recruter de nouveaux abonnés, soit en maintenant leur prix bas de façon artificiel­le, soit en dépensant énormément en marketing. Examinez une demi-douzaine de sociétés pratiquant le modèle d’abonnement : Amazon Prime (sans prendre en compte ses services d’hébergemen­t dans le cloud), Blue Apron, Dropbox, Hulu, Netflix et Spotify. Ensuite, comparez leur maigre cashflow agrégé de l’an dernier au montant qu’elles devraient gagner pour atteindre les 10 % de rendement sur capitaux. Le déficit total s’élève à 14 milliards de dollars – ou 4 milliards si l’on exclut Amazon Prime. C’est un indicateur des dépenses effectuées pour attirer et retenir les abonnés. À terme, ces entreprise­s vontpeutp être devoir augmenter leurs prix pour améliorer leur rentabilit­é, ou proposer une gamme plus large de services en marchant sur les platesband­es d’autres activités par abonnement. Toutes ces entreprise­s utilisent des modèles statistiqu­es pour essayer de s’assurer que la “valeur à vie” d’un client dépasse le coût de son acquisitio­n, mais c’est toujours un jeu de devinettes. Le second problème est que les abonnés sont affreuseme­nt infidèles. À la date anniversai­re du contrat, certains se tournent vers un autre fournisseu­r. Netflix est censé perdre moins de 1 % de ses clients par mois par ce phénomène, appelé “churn” (perte d’abonnés) ; le taux est aligné sur celui d’entreprise­s établies qui pratiquent l’abonnement, comme les opérateurs de téléphonie mobile. Pour la musique sur Spotify, le chiffre est plus inquiétant : 5 %. Pour certains services de livraison de repas, il est d’un mortel 10 %. Le taux de désabonnem­ent pourrait augmenter encore pour toutes ces entreprise­s, à mesure que la concurrenc­e s’intensifie ou qu’elles augmentent leurs prix.

Ménage à trente-trois

Le dernier défaut est l’absence d’exclusivit­é. Les consommate­urs adorent papillonne­r : les “clubs de fidélité” comptent quatre milliards de membres en Amérique, car les clients s’inscrivent sur de très nombreux programmes de fidélité de compagnies aériennes et d’hôtels. La saturation pourrait aussi guetter le monde de l’abonnement numérique. Les 118 millions de foyers américains totalisent aujourd’hui plus de 200 millions d’abonnement­s à des médias en streaming, à des sites de e-commerce et autres services en ligne. La valorisati­on boursière élevée des entreprise­s auxquelles ils s’abonnent fait que le total devrait atteindre 350 millions d’ici à 2027. Des offres de presse en ligne aux services de guidage routier et aux start-up qui vendent des services en ligne de sécurisati­on du domicile, l’Amérique est en première ligne d’un boom géant de sociétés par abonnement. Un signe avant-coureur de difficulté­s à venir est qu’il n’y a pas assez d’Américains pour satisfaire toute l’offre.

Toutes ces entreprise­s utilisent des modèles statistiqu­es pour essayer de s’assurer que la “valeur à vie” d’un client dépasse le coût de son acquisitio­n, mais c’est toujours un jeu de devinettes. L’Amérique est en première ligne d’un boom géant des sociétés par abonnement. Un signe avant-coureur de difficulté­s à venir est qu’il n’y a pas assez d’Américains pour satisfaire toute l’offre.

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Le modèle d’abonnement d'Amazon, Amazon Prime réunit environ 80 millions d’abonnés rien qu’en Amérique

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