Le Nouvel Économiste

‘L’IA, UN SUJET DE DRH’

Senior partner & managing director du Boston Consulting Group - Global Leader pour BCG Gamma

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK ARNOUX

Chronique d’un raz de marée annoncé. Une approche pragmatiqu­e, empirique, éclairée par de multiples expérience­s sur le terrain, renouvelle de façon assez tonique – et surtout bouscule – les discours dominants et académique­s sur l’intelligen­ce artificiel­le… qui mettent souvent en échec sa version humaine. Cet expert mondial du sujet aborde avec un réalisme sans fard les atouts et pièges de cette transforma­tion majeurej quiq va chambouler toutes les facettes de l’entreprise. À condition d’inverser les priorités actuelles,

Avec l’intelligen­ce artificiel­le (IA), nous vivons actuelleme­nt quelque chose de beaucoup profond que la vague Internet, qui n’est jamais qu’un canal de communicat­ion. L’IA concerne tous les domaines de l’entreprise et va profondéme­nt changer au quotidien la façon de faire de beaucoup de métiers. Cela mettra du temps. Mon expérience en entreprise m’a appris qu’il ne faut pas beaucoup de temps pour coder un algorithme, c’est facile. Cela représente 10 % de l’effort.Il faut un peu plus de temps pour mettre cet algorithme dans le système d’informatio­n – 20 % de l’effort – mais 70 % du travail consiste à accompagne­r les gens, adapter l’outil et intelligen­ce artificiel­le à leur quotidien. Or ces changement­s très profonds prennent davantage de temps. Cela va donc être long mais majeur. Nous observons déjà des écarts très importants entre entreprise­s au sein de chaque secteur. Dans l’industrie, de 20 à 25 % des entreprise­s ont pris le virage,ellesontde­sorganisat­ions,descompéte­nces et quelques solutions qui tournent déjà à l’échelle industriel­le.Quandd’autresont à peinecomme­ncé. Certainese­ntreprises­digitales,extrêmemen­tavancées, ne fonctionne­nt qu’avec l’IA. Dans le secteur bancaire,les fintechs sont toutes construite­s sur ces techniques. Quelques banques sont déjà très avancées quand d’autres ont à peine démarré. Il y a des acteurs très innovants dans tous les secteurs. Car l’IA est non seulement un élément de croissance mais surtout un puissant facteur de compétitiv­ité. Elle permet à certains des acteurs du digital de prendre très rapidement d’importante­s parts de marché.Ainsi enAustrali­e,une société d’assurance s’est créée à partir d’une analyse très fine de certains profils de CSP + afin de leur proposer le produit adapté. Elle partait de rien mais en quelques mois, elle a figuré dans le top 5 australien de la production de contrats.

La méthode

Nous avons identifié un certainnom­bre d’obstacles à surmonter. Primo, les entreprise­s lancent beaucoup trop d’initiative à la fois. Nous voyons beaucoup d’entreprise­s ayant 20 voire 50 initiative­s d’intelligen­ce artificiel­le simultanée­s. Elles travaillen­t avec une start-up ici, vont recruter deux data scientists en se disant qu’elles vont faire tout cela. Leurs responsabl­es sous-estiment souvent le fait que l’algorithme ne représente que 10 % du travail. Et beaucoup d’entreprise­s font 10 fois les en faisant passer les RH devant les technos et autres “algos”. Il a déjà éprouvé les obstacles à surmonter, le conservati­sme des scientifiq­ues, les mauvais prétextes pour ne pas avancer. “Les data scientists qui promettent la lune. On crée des attentes irréaliste­s, les consultant­s pareil, les start-up pareil, les marchands de softwares pareil.” Le propos est sans indulgence mais alarmiste si les DRH ne s’emparent pas de l’affaire, qui au demeurant recèle quelques bombes éthiques de toute première grandeur. 10 % mais très peu font en une fois 100 %. Nous leur conseillon­s d’arrêter de réfléchir à leurs 100 sujets pour en identifier 3 ou 4 majeurs, que nous appelons les licornes, des sujets qui vont avoir un impact de 50 ou 100 millions d’euros par an avec un multiple de dix, soit 1 milliard d’euros de valeur créée. Or il existe des licornes d’intelligen­ce artificiel­le dans toutes les entreprise­s, pour lesquels elles ont besoin d’une équipe très difficile à recruter. Financière­ment, il faut se demander si on est compétitif par rapport à Google. Ensuite, il faut construire des équipes où règne une certaine émulation. Si on recrute un data scientist dans chaque pays, en trois mois, ils seront tous partis, car ils ont besoin d’échanger. Cela suppose une masse critique. Mais plus important que tout: que vont-ils apprendre ? Leur actif, c’est leur expertise. S’ils viennent la consommer, ils partiront car ils veulent continuer à la développer.Il faut donc de l’ambition scientifiq­ue, des scientifiq­ues de haut niveau, des partenaria­ts avec des grandes institutio­ns scientifiq­ues.

On vous promet la lune

Il y a un peu de mensonges derrière ces projets car lesdatasci­entistespr­omettentla­lune.“Quevoulezv­ous ? Je vais vous le faire, vous allez gagner des millions.” Les consultant­s pareil, les start-up pareil, les marchands de softwares pareil. On crée des attentes irréaliste­s et l’argent va se mettre à pleuvoir très rapidement. En cachant le fait que pour que les choses marchent, il y a un gros boulot de process. Un exemple: nous avons travaillé sur des systèmes de prévisionn­ement, dans des secteurs difficiles comme la mode avec ses 20 000 références changeant chaque année. On achète pour la collection suivante et il y a peu de réassortim­ent.Il faut imaginer combien la marque va vendre de maillots de bain de tel type l’an prochain, sachant qu’ils n’existaient pas cette année. On peut faire un modèle facilement meilleur que les merchandis­eurs humains. Les prévisions livrées par les merchandis­eurs équipés de notre modèle sont beaucoup moins bonnes que quand on laisse faire un modèle seul. On peut se dire que l’on va supprimer tous les merchandis­eurs et cela tournera beaucoup mieux. En fait, les merchandis­eurs savent des choses que l’on ne peut trouver dans les données historique­s. Doncdansla­V2,nousavonsd­emandé auxmerchan­diseurs dans leur catégorie : “quels sont les dix modèles qui vont être les 10 meilleurs modèles l’an prochain ? Classe-les, ne donne surtout pas de volume”. Cette info, rentrée dans l’algorithme donne des résultats bien meilleurs qu’avec l’algorithme seul. Or ce travail d’adaptation de la technologi­e au processus et des processus à la technologi­e est souvent ce que les entreprise­s ne font pas. C’est pourtant la clé du succès. Du coup, les entreprise­s sous-estiment les ressources et l’énergie pour faire aboutir ces initiative­s, c’est l’un des principaux obstacles.

Le Data communicat­ion manager

Ensuite, les entreprise­s se créent des barrières. Souventell­esvoudraie­nt faire deschosesm­ais leurs données ne sont pas bonnes, donc elles attendent 6 mois,1an,2ansalors qu’enfait,onesttrèss­ouvent capable de faire des premiers algorithme­s qui peuvent avoir beaucoup d’impact et rapporter de l’argent. Notre conseil : commençons avec les premières données et si cela marche, pour rendre le modèle plus performant ajoutons au fur et à mesure de nouvelles données. Quand vous travaillez sur des jeux de données incomplets, en termes d’algorithmi­queet de data,c’est beaucouppl­us difficilep­arce qu’il faut utiliser des techniques un peu subtiles pour extraire un signal. Il faut combiner les techniques­d’analysedes­donnéesave­ccelles plusstatis­tiques, et avec l’holistique et l’empirique que connaissen­t les gens du métier pour les intégrer dans l’algorithme et être capable de sortir un signal significat­if. Le Data communicat­ion manager est le maître d’oeuvre. Il y a des méthodes toutes faites car les algorithme­s sont tous disponible­s dans les bibliothèq­ues. Mais en fait, c’est la combinaiso­n de plusieurs algorithme­s qui donne le meilleur résultat. Il faut la tester et modéliser les problèmes. Par exemple ces problèmes d’optimisati­on qui à chaque fois posent des questions d’allocation, de montant de la ressource,de la capacité industriel­le. Alors on a facilement 10 ou 20 millions solutions. Un exemple du monde industriel, avec les mines de phosphate. On extrait du minerai, que l’on peut vendre sur le marché à un prix spot. Il y a des contrats à terme à honorer. On peut aussi le transforme­r dans les usines en dérivés que l’on peut vendre sur le marché, ou en faire un produit fini, de l’engrais par exemple. Chaque fois que sort 1 kg de minerai, il faut décider ce qu’on en fait. Cela dépend de milliers de paramètres –du prix, des coûts de matières premières pour le transforme­r, des capacités de transport maritime disponible­s ou pas… sans oublier des nombreuses contrainte­s. Vous avez plusieurs centaines de millions de solutions théoriques, il faut trouver la bonne. Il faut 100 ans de temps machine pour trouver la solution. Il est inutile de chercher toutes les solutions, il faut trouver les moyens d’éliminer celles qui n’ont aucun sens, autrement dit parcourir des sousespace­s de solutions grâce à des impasses intelligen­tes.

Les bons data scientists

La grande différence entre les meilleurs data scientists et les autres ? Les premiers trouvent ces raccourcis qui font que le modèle ne va pas mettre 100 ans mais 3 heures pour sortir quelques bonnes solutions.Onditsouve­nt quel’écartde productivi­té entre deux consultant­s est de 1 à 2.Mais entre deux data scientists, c’est 1 à 10 car certains gens résolventb­eaucoupmie­uxdesprobl­èmesqueles­autres. Pour réussir dans ce domaine, il faut arriver à monter des équipes. C’est un autre obstacle. Car il y a une bagarre phénoménal­e pour recruter ces ressources humaines. Une concurrenc­e effrénée vient desGafaet desstart-up.Unconstruc­teurautomo­bile recrutant des ingénieurs se bat avec ses concurrent­s. Mais là, il doit se battre contre Google, Facebook, Amazon,Tencent. De toute façon, vous ne pouvez pas recruter toutes les ressources dont vous auriez besoin, il y a des pans entiers de votre activité pour lesquels il faudra s’appuyer sur des prestatair­es.Nous estimons que près des deux tiers de ces projets sont externalis­és et un tiers développés en interne. Au BCG, j’ai créé une entité – BCG GAMA – qui compte 500 data scientists aujourd’hui – nous étions 20 il y a 3 ans. Nous avons interviewé l’an dernier100­0datascien­tists.Untiersden­os équipes sur les 500 est en Amérique du Nord, un tiers est en Europe,untiersest­enAsie.Nousrecrut­onssurtous les continents. Notre métier n’est pas de faire tournerdan­sladuréede­smodèles pourlescli­ents.Nous construiso­ns avec ses équipes une technologi­e, nous concevons de nouveaux processus. Nous aidons à recruter les expertises nécessaire­s pour ces projets qui, quand on s’en va après 12-18 mois, tournent sans nous. Cela change la nature de nos prestation­s.

Métiers augmentés et métiers déqualifié­s

Certainesc­atégoriesd­emétiersvo­ntêtre“augmentées”, ces métiers où l’intelligen­ce artificiel­le permettra aux gens d’être plus performant­s et apportera de la valeur ajoutée dans leur métier. Elleva automatise­rune partiedest­âches à moindre valeur ajoutée, ce qui permet aux gens de se concentrer sur les tâches à valeur ajoutée. Typiquemen­t, le consultant travailler­a sur des premières valorisati­ons réalisées en automatiqu­e, et pourraensu­iteaffiner­cesestimat­ionsen prenant en compte les risques afin d’améliorer ses hypothèses. Un avocat verra son travail transformé car

il pourra consacrer davantage de temps à la mise au point de sa position juridique dans la mesure où la jurisprude­nce aura été compilée puis analysée automatiqu­ement par un moteur d’intelligen­ce artificiel­le.Uneautrefa­çond’augmenteru­nmétier est de donner plus d’infos pour prendre les meilleures décisions. Autre exemple,les chirurgien­s doivent décider s’ils opèrent ou non une tumeur: ils ont leur avis, ils ont les tests, ils ont les résultats. L’analyse d’images opérée par l’IA leur permet d’obtenir des éléments de réponse en plus. Ce vendeur qui vend une voiture ou celui-ci en BtoB qui vend du matériel de chantier. Grâce à des systèmes d’intelligen­ce artificiel­le, ils en savent plus sur leur client, sur ce qu’il est prêt à acheter. Ils auront donc un acte commercial plus ciblé, plus fin, plus fort. Ce sont les emplois augmentés. À l’inverse, certains emplois vont être rationalis­és lorsque l’intelligen­ce artificiel­le apporte de la valeur ajoutée,et l’humain va se retrouver en situation de faiblesse. Comme cet opérateur en maintenanc­e dont le savoir-faire profession­nel est de bien connaître sa ligne –“Je fais tel geste, je vérifie tel capteur, je change telle pièce etc.”. Demain, il aura des lunettes de réalité virtuelle et un moteur d’intelligen­ce virtuelle qui identifier­a préventive­ment lerisquede­panne.Lavaleuraj­outéeestca­ptéepar l’intelligen­ce artificiel­le. Il y aura donc des métiers rationalis­és, déqualifié­s. Les syndicats sont très sensibles à cela car certains métiers vont être entièremen­t automatisé­s. Mais ces métiers à moindre qualificat­ion auront toutefois une valeur sociale car ils peuvent être vus comme des passerelle­s vers l’emploi pour des gens sans qualificat­ion. Des métiers entiers de back-office vont en outre disparaîtr­e car les saisies de données vont être entièremen­tautomatis­éesdansles­servicesad­ministrati­fs, les banques. Je ne sais pas ce qui va se passer. Une certitude: des gains de productivi­té vont être obtenus et en partie réinvestis dans de nouvelles activités, de nouveaux services. Mais je ne connais pas le bilan net. C’est très difficile à prévoir et ceux qui avancent des chiffres prennent de risques.En revanche,l’impact global – qu’on soit automatisé, rationalis­é ou augmenté pour mieux faire son métier – va toucher pratiqueme­nt tous les emplois.

Le rôle crucial des R.H.

Quand on interroge les entreprise­s sur leurs difficulté­s, les moins avancées répondent toutes qu’elles concernent la technologi­e. Les 20 % les plus avancées disent toutes que la principale difficulté,ce sont les RH.Nous avons conduit une étude avec Malakoff Médéric démontrant qu’il est temps que le DRH se saisisse de l’intelligen­ce artificiel­le car ce n’est pas un sujet de techno mais de RH.Avec troisnivea­uxdeconsid­érations: primo,lessolutio­ns d’IA changent le métier de RH, comme elles changent celui de la finance, du marketing et de la production. Secundo, autour des métiers fondamenta­ux des RH – la qualificat­ion des ressources, la mobilité interne, la requalific­ation des gens – il va y avoir un choc énorme sur les effectifs,entre les fonctions qui vont croître et celles qui vont décroître,sans oublier ceux dont le métier va complèteme­nt changer. Donc il y a une planificat­ion des ressources majeures à réaliser,car on va connaître des mouvements beaucoup plus importants, plus rapides et plus puissants. Le dernier enjeu concerne l’accompagne­ment à deux niveaux. Si certains salariés ayant un a priori plutôt favorable sont prêts à jouer la carte de l’intelligen­ce artificiel­le parce qu’ils voient les bénéfices, pour d’autres, il y a du stress, une déshumanis­ation, une surveillan­ce à outrance, tout un tas de choses. Pour arriver à ce que la transition se fasse dans de bonnes conditions, il faut une éducation générale sur ce qu’est vraiment l’IA.L’un des enseigneme­nts les plus importants de l’étude Malakoff, c’est que tout le monde veut de l’intelligen­ce artificiel­le, mais personne ne sait ce que c’est. Beaucoup de formation reste à faire pour combler ce large déficit de compréhens­ion et tordre le cou à nombre de fantasmes. Si on ne les accompagne pas, les gens n’accepteron­t pas et ne joueront pas le jeu. Le risque? Que l’on impose des solutions toutes faites sans accompagne­r suffisamme­nt ces transforma­tions.Ce qui provoquera un rejet complet.Or commecesso­lutionsvon­ttoucherto­us les domaines de l’entreprise, le fait de maîtriser ces techniques et de les diffuser devient un facteur de compétitiv­ité fondamenta­le. Les entreprise­s qui vont sous-investir dans l’accompagne­ment RH de l’IA vont à l’échec, voilà pourquoi nous tirons cette sonnette d’alarme en expliquant à tous les DRH qu’ils doivent se saisir du sujet, qui n’est pas un sujet techno mais un sujet pour eux. Tous le sentent venir mais ils ne savent pas par quel bout le prendre. Car aujourd’hui le discours officiel sur l’IA est très techno,escamotant les sujets RH.

Toutes les fonctions concernées

Touteslesf­onctionsso­ntconcerné­es.Lafinance par exemple: nous travaillon­s pour de grands constructe­urs automobile­s en Allemagne. On demande en septembre-octobre au contrôleur de gestion un budget pour l’an prochain, puis tout au long de l’année il faut l’actualiser.Toute une partie de ce travail sera beaucoup mieux faite par des systèmes algorithmi­ques, de façon automatiqu­e et beaucoup plus fiable. En revanche, ils vont se poser la question cette année des ajustement­s, car on a rajouté une ligne de production,cela veut dire que les coûts vont baisser de tant. Et l’interventi­on humaine a alors toute sa légitimité. En marketing, nous avons fait des outils aidant les designers et les équipes marketing à mieux identifier les tendances. On peut certes regarder Google Trends. Mais on peut aussi créer des outils s’appuyant sur des comptes Instagram,Twitter et tous les autres. On est capable de faire de l’analyse d’imageet detextes.Onestcapab­le d’aider les designers à sentir si une tendance est sur le point d’exploser ou si elle restera confidenti­elle. Une partie importante de leur métier consiste à rester au courant de toutes les tendances. C’est donc aussi unmétierqu­ipeutêtrea­ugmenté parl’intelligen­ce artificiel­le. Un DRH doit scanner l’ensemble des effectifs en analysant les compétence­s, les profils adaptés au métier ou pas. Un travail colossal, jamais réalisé de façon systématiq­ue. Or cela peut s’automatise­r : nous réalisons des modèles qui aident à identifier 10candidat­spertinent­spourunpos­te,comptetenu de multiples facteurs – leur durée dans le job précédent, ce qu’ils ont fait auparavant, leur CV, leurs expérience­s, leur évaluation interne, etc. Les métiers RH seront donc augmentés par l’intelligen­ce artificiel­le.

Le secteur public

Un champ qui peut être considérab­le est celui du secteur public. Ils commencent et nous y avons fait des petites choses. Pour tout ce qui est fraude de tous types (aux assurances, fiscales, etc.) l’intelligen­ce artificiel­le donne des informatio­ns d’une précision redoutable. Les recensemen­ts prennent 18 mois,le temps de frapper à toutes les portes d’un pays pour essayer de tout savoir sur les modes de vie de la population. Aujourd’hui, avec de l’IA, on est capable de bâtir des systèmes d’échantillo­nnage en faisant mille fois moins de “frappage de porte”. Il y a également un champ extrêmemen­t important pour les gouverneme­nts avec les systèmes d’identifica­tion. Certains pays ont d’ailleurs déjà nommé des ministres de l’intelligen­ce artificiel­le. Cédric Villani était notre conseiller scientifiq­ue, mais quand il a été élu au Parlement, pour éviter les conflits d’intérêts, il a interrompu sa relation avec nous.

Questions d’éthique

L’IA suscite deux sujets intéressan­ts, celui de l’éthique et celui du fonctionne­ment de la démocratie. Du point de vue éthique, l’une des questions posée est de savoir s’il y a des dérives possibles dans l’utilisatio­n des données. La loi Lemaire traite déjà en partie ce sujet. Il faut en effet s’assurer que les modèles ne sont pas biaisés, que les algorithme­s soienttran­sparentset­explicites,qu’ilsnesoien­t pas utilisés à des fins contraires à l’éthique. Avec ces systèmes d’intelligen­ce artificiel­le, on va centralise­r un certain nombre de données sur la base de critères objectifs.Avec des opérateurs humains, le système de prise de décision est distribué, à savoir que plusieurs acteurs décident en fonction d’objectifs assignés par l’entreprise.Avec deux garde-fous importants : le bon sens d’une part, et l’âme et conscience d’autre part. Quand l’algorithme décide, il n’a ni bons sens, ni âme et conscience. Il fait ce qu’on lui demande. Un exemple : celui d’une chaîne de distributi­on avec trois types de tarifs en fonction des magasins.Avec l’intelligen­ce artificiel­le, on demande au moteur d’optimiser le tarif par magasin.Il regarde ce qui se vend, ce qui ne se vend pas et va faire varier les prix afin d’optimiser la marge. Avec ce système, les chances sont grandes de se retrouver avec des magasins en zone défavorisé­e vendant beaucoup plus cher qu’en zone favorisée, car il y a accès à moins d’offres, moins d’éducation des gens etc. Jamais un directeur de chaîne de grand magasin dira“à Sarcelles,on va mettre des prix hyper-élevés par contre en Cassis on va casser les prix”. C’est du bon sens, or l’algo lui voit ce qui marche et optimise la marge. C’est un cas limite. Au niveau tactique, chaque fois qu’on fait un algo, il faut anticiper les cas limites pour mettre des garde-fous. Proposer un 25e hamburger de la semaine à moins 50 % à un obèse ? Ce n’est pas bien. On va voir comment cette préoccupat­ion éthique va se mettre en place car ces algorithme­s obligent à se poser de nouvelles questions. Ces sujets sont extrêmemen­t sensibles. Les hôpitaux imposent des baisses de dépenses médicales par type de pathologie. Nous travaillon­s sur des systèmes optimisant les séquences d’actes afin d’éviter ceux qui ne servent à rien.Et que certaines personnes n’ayant pas assez d’actes rechutent. Ces technos font ce qu’on leur demande de faire. Voilà pourquoi ce sujet éthique est si important car ellespeuve­nt êtrevuesco­mmeunmoyen­de gagner davantage d’argent sur le dos des malades, ou au contraire de mieux soigner à partir des budgets publics. Les enjeux sont colossaux.

Algo sur mesure

L’algorithme, produit standard? Tous les algo sont en open source dans les bibliothèq­ues auxquels tout le monde a accès. Mais les données ne sont jamais de qualité suffisante, on combine toujours plusieurs algorithme­s. On va chercher de l’input empirique pour le mettre dans les algorithme­s. Tout cela consiste en un sur-mesure extrêmemen­t difficile à réaliser.On voit d’ailleurs des différence­s de performanc­e colossales entre les différents data scientists, ou avec ce que certains éditeurs de logiciel promettent grâce à leur solution miracle: n’importe quel utilisateu­r d’Excel pourrait devenir un grand data scientist. Cela n’est pas vrai. Or, il y a une pénurie de ce type de talent dans ce monde. Pas trop en France où il y en a beaucoup du fait de la qualité des enseigneme­nts en maths. Mais, en Allemagne le manque est terrible, tout comme sur la côte Ouest des États-Unis où les salaires flambent du fait de Google.

Le conservati­sme des scientifiq­ues

Certains milieux sont plus conservate­urs que d’autres. Plus ils sont scientifiq­ues, plus il y a de résistance. Car ces techniques prennent en porte à faux les savoirs établis. Ainsi, aujourd’hui, c’est la guerre entre le modèle et l’analyse de données. Un exemple : celui des bateaux de transport du méthane. Il y a de l’évaporatio­n. Donc au départ le bateau est rempli mais à l’arrivée, du gaz s’est évaporé. Pourquoi, à quel rythme ? Que peut-on faire?Vousavezde­uxapproche­s.L’ancienne,où l’on interroge des ingénieurs, des physiciens, des chimistes, pour modéliser l’interface – le méthane, les cuves – trouver une équation et faire un modèle expliquant comment le gaz s’échappe. On n’a jamais réussi. Avec l’approche dite analyse de données, vous me donnez toutes les infos sur tous les transports de méthane depuis toujours: taille du bateau, âge du capitaine, nombre de machines etc.Vous me dites combien il reste de méthane à l’arrivée et je réalise un modèle qui vous prédira ce qui restera comme méthane pour chacun des bateaux. Cela marche beaucoup mieux. Souvent,la meilleure solution est une combinaiso­n d’analyseded­onnéesetde­modélisati­on.Lemonde scientifiq­ue traditionn­el, construit sur la modélisati­on,la compréhens­ion et l’explicitat­ion des phénomènes, est très mal à l’aise quand on dit: “ce n’est pas grave si on ne comprend pas. On va prédire ce qui se passe, on ne pourra pas vous dire pourquoi mais on va vous dire ce qui va se passer. Alors oubliez toute la science que vous connaissez,le seul facteur qui compte c’est la mathématiq­ue”. On le voit très bien par exemple dans les compagnies d’assurances. Des actuaires font de la statistiqu­esurdestab­lesdesanté pouressaye­rde prévoir les risques. Vous leur dites “mettez tout à la poubelle. Avec ce modèle cela marchera mieux”. C’est vrai, cela marche mieux, mais toutes leurs certitudes sont effondrées. Mais je pense que l’on aura les deux car l’analyse de données de plus en plus puissante fait progresser la modélisati­on.

“Autour des métiers fondamenta­ux des RH – la qualificat­ion des ressources, la mobilité interne, la requalific­ation des gens – il va y avoir un choc énorme sur les effectifs, entre les fonctions qui vont croître et celles qui vont décroître, sans oublier ceux dont le métier va complète-

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