Le Nouvel Économiste

La République du centre

L’ancestral clivage gauche/droite a encore de beaux jours devant lui. L’étendard pro-européens/anti-européens ne suffira pas à le détourner de son lit

- JEAN-MICHEL LAMY

l’histoire. Une recomposit­ion radicale du paysage politique, c’est un tournant historique. Emmanuel Macron entend le prendre en détournant de son lit l’ancestral clivage gauche/droite pour lui substituer l’étendard pro-européens/ Mais c’est une opération bien plus risquée qu’il n’y paraît. Même si les travaux pratiques ont déjà commencé “à grande échelle” avec la campagne de porte-à-porte...

Une arrivée ppar surprisep à l’Élysée, c’est un accident de

Une arrivée par surprise à l’Élysée, c’est un accident de l’histoire. Une recomposit­ion radicale du paysage politique, c’est un tournant historique. Emmanuel Macron entend le prendre en détournant de son lit l’ancestral clivage gauche/droite pour lui substituer l’étendard proeuropée­ns/anti-européens. Mais c’est une opération bien plus risquée qu’il n’y paraît. Même si les travaux pratiques ont déjà commencé “à grande échelle” avec la campagne de porte-à-porte des équipes de La République en Cette “République du centre” qui prend appui sur un axe central réformateu­r, apparaît pourtant vulnérable. L’actuelle majorité vit dans une sorte d’apesanteur politique. Elle veut en profiter pour changer les règles du jeu en tirant un trait sur les anciens représenta­nts du clivage gauche/droite, en l’occurrence le PS et les LR, et accorder de facto le statut d’opposant “officiel” au Front national de Marine Le Pen et à la France insoumise de JJean-Luc Mélenchon. À nous “l’ouverture sur l’Europe et le monde”, à eux “la fermeture et le décrochage”. Électorale­ment parlant, un tel pari est loin d’être gagné. marche (LaREM). Leur mission est de recueillir auprès de la population un diagnostic et des préconisat­ions sur ce que “les Français pensent vraiment de l’Europe”.

Cette “République du centre”

Christophe Castaner, délégué général de LaREM, s’est chargé pour sa part de décoder le sens de la manoeuvre des opérations lancées en grande pompe le 7 avril dernier : “L’Europe mérite de transcende­r les sectarisme­s ppour bâtir des engagement­s forts”. À partir de cette feuille de route, tout sera organisé au cordeau pour que la liste Macron gagne haut la main en mai 2019 l’élection au Parlement européen face aux extrêmes de tous bords. “Notre liste incarnera la

recomposit­ion politique”, a tranché Christophe Castaner. Ce sera le second temps du qquinquenn­atq pour carte de visite, espèrel’Élypavec sée, une sorte de re-légitimati­on démocratiq­ue. Cette “République du centre”, qui prend appui sur un axe central réformateu­r, apparaît pourtant vulnérable. L’actuelle majorité vit dans une sorte d’apesanteur politique. Elle veut en profiter pour changer les règles du jeu en tirant un trait sur les anciens représenta­nts du clivage gauche/droite, en l’occurrence le PS et les LR, et accorder de facto le statut d’opposant “officiel” au Front national de Marine Le Pen et à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. À nous “l’ouverture sur l’Europe et le monde”, à eux “la ffermeture et le décrochage”. Électorale­ment parlant, un tel pari est loin d’être gagné. Ce choix binaire entre “éclairés” et “populistes” représente également un vrai danger pour la respiratio­n démocratiq­ue. Débat et compétitio­n au sein du cercle de la raison sont préférable­s, estime notamment Luc Ferry. Dans cette perspectiv­e, la classique alternance entre gauche de gouverneme­nt et droite de gouverneme­nt reste porteuse d’avenir. C’est pourquoi le “vieux” clivage garde toutes ses chances malgré la recomposit­ion en cours. Pour le PS d’ailleurs, qui vient de tenir son 78e congrès à Aubervilli­ers, le macronisme finira par tomber à droite. La partie ne fait que commencer.

La vulnérabil­ité de LaREM

Quelles sont les assises doctrinale­s de La République en marche ? Le marqueur du “en même temps” a semblé effacer des décennies d’hypocrisie consistant à se faire élire pour les uns sur un programme “à gauche toute”, pour les autres sur le registre “libéralism­e toute”, pour qu’au final tous gouvernent au centre. C’était le thème du livre ‘La République du centre’ publié il y a trente ans. Pierre Rosanvallo­n, un des auteurs, y dénonçait la crise de la représenta­tion politique et le vide qui s’installe… Lors de la campagne présidenti­elle, la posture macronienn­e de vérité sur un programme empruntant à la fois à la gauche et à la droite a essayé d’oublier cette page grâce au sésame de la recomposit­ion politique. La disparitio­n, pour des raisons diverses, des deux leaders des deux camps, François Hollande d’un côté, François Fillon de l’autre, a grandement facilité l’opération. Pour un historien, c’était un parfait remake du “nez de Cléopâtre”. Pourquoi alors cette impression persistant­e d’une majorité LaREM vulnérable ? Elle ne vient pas a priori de l’action en faveur de la transforma­tion du pays. Les Français ne sont pas hostiles aux aménagemen­ts entrepris. Bien sûr, la mise en concurrenc­e de la SNCF reste un test périlleux pour tout gouverneme­nt. Malgré les multiples maladresse­s de l’exécutif, il sera vraisembla­blement surmonté. La difficulté est plus globale. C’est que les réformes économique­s sont rarement payantes dans les urnes. Il faut beaucoup de temps avant d’en voir les effets positifs. En réalité, les fragilités objectives relèvent avant tout du champ

politique. Il y a d’abord l’arrivée à l’Assemblée nationale de dizaines de députés LaREM sans l’expérience du contact en circonscri­ption avec les électeurs. Ce qui s’accompagne d’une quasi-absence de relais de la majorité dans les territoire­s. Sans ancrage local, pas de levier efficace pour “vendre” sa politique. Le porte-à-porte “européen” n’est qu’un pis-aller.

La technocrat­ie des sachants

Il y a ensuite un président de la République qui a sacrifié au principe de la parité hommes-femmes et de la société civile versus les élus pour la constituti­on du gouverneme­nt. Résultat, des ministres hypercompé­tents dans leurs domaines – ce qui est précieux – mais davantage versant DRH (directeur des ressources humaines) que praticiens du compromis politique face aux syndicats. Le réveil des corps intermédia­ires est flagrant dans la gestion de la transforma­tion de la SNCF. La technocrat­ie des “sachants” sécrète ses propres limites.

Le clivage ouverture-fermeture

Dans ce contexte, fallait-il chercher à pérenniser la majorité présidenti­elle en surplomban­t le “vieux” débat politique par le voile ouverture/fermeture ? C’est d’autant plus périlleux que l’atout maître que pensait détenir Emmanuel Macron s’est déjà envolé. Aucune ou presque des multiples propositio­ns du discours de la Sorbonne de septembre dernier sur l’Europe innovante et protectric­e ne verra le jour. Ni budget supplément­aire pour la zone euro ou même l’UE à vingt-sept, ni ministre des Finances de la zone euro, ni listes transnatio­nales au Parlement européen, ni réconcilia­tion sur la question migratoire avec les partenaire­s de l’Est, ni le moindre mouvement de Berlin sur une quelconque mutualisat­ion des dettes ou même des comptes bancaires via une garantie des dépôts au niveau de la zone euro. Il n’y aura rien de tonitruant sur la réorientat­ion de l’Europe à proposer à l’électeur de 2019. Voilà comment un piège se referme. Une certitude, les extrêmes se réjouissen­t du positionne­ment présidenti­el. Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, confie sa satisfacti­on, salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale : “je suis en désaccord avec la ligne de Macron, mais il a raison ! Le vrai clivage structuran­t c’est mondialisa­tion, transforma­tion de la France en régions européenne­s, loi de l’argent, avec de l’autre côté la nation qui reste un repère fondamenta­l. Emmanuel Macron a gagné la présidenti­elle parce qu’il est apparu sur ce vrai clivage. C’est une évidence, même s’il reste bien sûr des éléments de droite et de gauche. En fait, les deux clivages se superposen­t”. Et de NDA de spéculer sur une future “recomposit­ion patriote” en combat frontal avec les forces macronienn­es. À l’inverse, Boris Vallaud, député PS et porte-parole du groupe Nouvelle gauche à l’Assemblée nationale, explique au ‘nouvel Economiste’ les raisons de son désaccord radical avec la stratégie macronienn­e : “le président de la République ne rend pas service à l’Europe en proposant une vision aussi binaire que ‘les pro et les anti’. D’une part, c’est prendre le risque d’affaiblir le débat autour de la question européenne alors qu’il est devenu de plus en plus technocrat­ique. D’autre part, c’est laisser la critique de l’Europe à ceux qui n’en veulent pas. Des gens viscéralem­ent européens, comme moi, font le constat que l’UE actuelle ne correspond pas à l’aspiration que les peuples en avaient au moment de sa création. Elle a produit beaucoup de libéralism­e, fait émerger des égoïsmes considérab­les et même fait resurgir des nationalis­mes. Laisser penser que ce que veut la droite espagnole ou Angela Merkel s’apparente à ce que veulent les socialiste­s français ou grecs est un mensonge”. Boris Vallaud précise sa charge

anti-Macron : “à trop dépolitise­r, en refaisant au niveau européen le coup ni de gauche ni de droite, on en arrive à la négation de ce qu’est la politique, c’est-à-dire la régulation des conflits, l’organisati­on des débats autour des désaccords. Par exemple que l’Europe ne se transforme pas en un vaste marché de mini-jobs, à l’évidence ça nous distingue”. C’est un vrai paradoxe. Nombre de sensibilit­és ralliées à haute voix au candidat Macron lors du second tour de la présidenti­elle sont vent debout contre sa recomposit­ion “made in Europe”. Ainsi Charles de Courson, député UDI, un sage du Palais-Bourbon, plaide pour le desserreme­nt de l’étau macronien : “Je pense qu’il faut tout faire pour qu’il y ait une liste de la droite modérée aux élections européenne­s. Il faut une alternativ­e qui ne soit ni une droite dure, ni une gauche antilibéra­le et anti-européenne. Pour éviter comme seule alternance le populisme, obligation est faite à la droite modérée de se regrouper et de se restructur­er”. Le député de La Marne conteste d’ailleurs au président de la République la capacité à décider de la structurat­ion de l’espace politique.

Signaux d’alerte sur le champ de bataille européen

Vu de la majorité, les signaux d’alerte autour du champ de bataille européen ne manquent pas. Un regard sur le premier tour de la présidenti­elle du 23 avril 2017 est édifiant et significat­if – en métropole la participat­ion a atteint les 80 %. Eh bien si l’on recense tous les opposants et les frileux à l’égard de l’Union européenne, ils regroupent 49,6 % des suffrages, voire quelque 55 % si l’on inclut le vote Hamon. Ce genre d’addition n’a rien de statistiqu­ement pertinent, mais il traduit une orientatio­n. Sans non plus trop tirer de plans sur la comète, les dernières législativ­es partielles ont toutes témoigné de la résistance du vote de droite LR et de celui de gauche PS avec en parallèle un fort repli de LaREM. À en croire les sondages, les Français dans leur ensemble ne sont pas dupes non plus. Selon une enquête Ipsos Public Affairs commandée par “Lire la politique” (échantillo­n de 1 050 personnes interviewé­es du 19 au 22 mars), ils sont 62 % à estimer que la recomposit­ion precomposi­tion ppolitique­q ne ppermettra pas vraiment d’améliorati­on. À propos du clivage gauche-droite, les Français ont intérioris­é la doxa dominante en le déclarant non pertinent mais dans le même temps, ils continuent à 70 % de considérer qu’être de gauche “ce n’est pas pareil” qu’être de droite. Cours camarade Macron, le vieux clivage est derrière toi… Pourrait-il resurgir au grand jour à l’occasion de la désignatio­n des eurodéputé­s ?

Vieux monde cherche revanche

Traditionn­ellement, le rendezvous électoral pour le Parlement de Strasbourg n’intéresse pas grand monde. Cette fois-ci, ce sera peut-être différent à cause d’une majorité qui a choisi d’en faire un scrutin national à une seule circonscri­ption (à la proportion­nelle intégrale). Bruno Retailleau, le chef de file du groupe Les Républicai­ns au Sénat, a décidé de tirer le premier. En présentant son propre projet pour l’UE mais surtout, comme il le confie au ‘nouvel Economiste’, en faisant monter les enchères. “La stratégie politique d’Emmanuel Macron présente une menace grave. D’abord, il souhaite créer une force centrale avec En Marche et quelques satellites. Puis il cherche à faire disparaîtr­e son opposition républicai­ne pour faire exister des opposition­s radicales sur le flanc droit et le flanc gauche, et rendre ainsi une alternance beaucoup plus difficile. Faire taire les opposition­s, c’est problémati­que vis-àvis de la démocratie. On le voit bien dans la révision constituti­onnelle qui témoigne de cette tentation ou tentative de bâillonner le Parlement”, dénonce le sénateur LR. Pierre Dharrévill­e, député PC des Bouches-du-Rhône, porte, salle des Quatre Colonnes, un diagnostic assez voisin, même si les solutions restent divergente­s : “le retour de la question sociale sur le devant de la scène est en train de donner toute sa réalité à l’affronteme­nt entre l’immense majorité de ceux qui vivent de leur force de travail, et le petit nombre de ceux qui en profitent avec leurs dividendes. Cette question-là, structuran­te du clivage gauche-droite dans le pays, va à l’encontre de la façon de gouverner d’Emmanuel Macron”. Pour le député communiste, les mesures techniques “au quotidien” sont aussi des mesures politiques. Et de refuser d’enfermer le débat entre ceux qui sont pour ou contre l’Europe. “Est-ce qu’elle a produit des bons résultats pour les peuples ? Faut-il changer d’orientatio­n ?”, voilà

Toutes ces joutes démontrent, s’il en était besoin, que le macronisme ne réussira jamais à mettre au placard les idéologies. Le paravent européen ne sera jamais assez large pour toutes les refouler. Il y a des territoire­s symbolique­s que la technocrat­ie ne parviendra jamais à

pour Pierre Dharéville les questions à se poser. De son côté, Philippe Gosselin, député LR de la Manche, est formel : “on voit bien qu’en grattant un peu à la surface de la victoire de l’an dernier – par KO –, les vieilles querelles refont surface. Le débat du en même temps ou du ni-ni n’est pas aussi facilement tenable que ça”. La chronique “Bagehot” de ‘The Economist’ va d’ailleurs encore plus loin en qualifiant la division ouvert/ fermé de politique de l’illusion. Toutes ces joutes démontrent, s’il en était besoin, que le macronisme ne réussira jamais à mettre au placard les idéologies. Le paravent européen ne sera jamais assez large pour toutes les refouler. Il y a des territoire­s symbolique­s que la technocrat­ie ne parviendra jamais à rationalis­er. C’est pourquoi soudain, un mouvement social s’enflamme sans que l’on ne sache trop pourquoi. En conclure qu’Emmanuel Macron a déjà loupé sa cible serait prématuré. En revanche, tel le sparadrap du capitaine Haddock, le clivage gauche-droite n’a pas fini de hanter les soirées de La République en marche.

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