‘Don’t print the legend’
Le journaliste a perdu le monopole d’informer, mais il est toujours en mesure de faire la différence par la qualité de l’analyse et la véracité des faits
Ce n’est pas parce que ces professionnels sont habitués à vivre sous tension permanente, actualité oblige, que le défi à relever pour les journalistes n’en est pas moins grand. Jamais peut-être en effet le métier d’informer n’a été mis autant sur la sellette. Et les conditions de son exercice si difficiles. Une crise sans précédent qui touche à l’essence même de la fonction du journaliste : rechercher l’information, la vérifier, la hiérarchiser pour enfin l’interpréter...
Ce n’est pas parce que ces professionnels sont habitués à vivre sous tension permanente, actualité oblige, que le défi à relever pour les journalistes n’en est pas moins grand. Jamais peut-être en effet le métier d’informer n’a été mis autant sur la sellette. Et les conditions de son exercice si difficiles. Une crise sans précédent qui touche à l’essence même de la fonction du journaliste : rechercher l’information, la vérifier, la hiérarchiser pour enfin l’interpréter. Un savoir-faire exclusif dont il a perdu, à tort ou à raison, le monopole aux yeux du public. Ce dernier se détourne des médias “officiels” au profit d’autres canaux qui, tels les réseaux sociaux, imposent leurs règles et leur rythme dans le débat public. Une course de vitesse dans laquelle le journaliste, lesté par les contraintes et les grandeurs de son métier, part – dans un premier temps tout du moins – clairement désavantagé. La propagation du buzz et de la rumeur devancera toujours la diffusion de la nouvelle étayée. Quant au bruit produit sur la toile, il écrasera facilement la qualité d’une analyse aussi approfondie soitelle. Face à cette brutale et profonde déstabilisation du métier, la contre-attaque à mener n’est pas évidente. Certains remèdes – comme par exemple la surenchère dans le commentaire, ou la tentation forcenée de la mise en scène – peuvent en effet s’avérer pire que le mal. L’avenir du métier emprunte des voies à la fois plus exigeantes et plus classiques. Car si le journaliste n’est désormais plus considéré comme le messager unique de la nouvelle, il reste toujours sûrement en mesure de faire la différence par la qualité de l’interprétation qu’il donne aux événements – pour peu que celle-ci soit logique et cohérente et qu’il ait pris soin au préalable, impératif incontournable, d’en vérifier la véracité, une démarche indispensable à l’heure de la prolifération des fake news. Sur ce plan, les vertus du raisonnement par l’écrit restent incomparables. Pour le métier de journaliste, c’est donc plutôt un retour aux fondamentaux qui s’impose qu’une réinvention complète des règles de l’art. Ce qui veut dire aussi que tout le monde ne peut s’improviser journaliste ou en revendiquer le titre. Une façon de réhabiliter le “bois” dont est fait ce professionnel, dont la nervure principale p est assurément l’indépendance p d’esprit. À charge pour les hommes de médias – parce que notre monde a définitivement basculé dans le numérique – de trouver de nouveaux modes de restitution des contenus et d’offrir à l’ère des réseaux sociaux de nouveaux services à leur communauté de lecteurs. Plus que jamais, le métier sera donc aussi un laboratoire.
Par rapport à l’universitaire ou l’expert, il est bien mieux outillé du fait de son savoir-faire pour rendre simple ce qui est complexe et rendre intéressant ce qui est important
La maîtrise perdue de l’information
Ah, que tout était simple dans le “monde d’avant” pour les journalistes ! Forts de leur savoir-faire spécifique et reconnu, ces derniers recherchaient l’information, la vérifiaient, et la hiérarchisaient dans ce qui s’appelle un “journal”. Ce support avec sa une, ses titres et ses rubriques, donnait tout son sens au “spectacle du monde”. Un ordre aujourd’hui totalement chamboulé par la révolution digitale. Annoncer la nouvelle n’est plus l’apanage des journalistes : d’autres, munis qui d’un smartphone, qui d’un compte tweeter, le font plus vite et parfois mieux qu’eux. La sélection des articles n’est plus un processus piloté par les journalistes mais par les algorithmes qui, via les mots-clés, les font remonter dans les moteurs de recherche. La pertinence d’un papier ne se mesure plus par sa qualité intrinsèque mais par le nombre de clics qu’il suscite. Et c’est dans le tohu-bohu digital où se mêlent la rumeur, la manipulation et la communication que vient désormais s’abreuver un public crédule
et avide de sensationnel. À mille lieues de l’information vérifiée, validée et interprétée des journalistes, par nature plus austère et ingrate parce que ne cherchant pas à flatter les bas instincts de la population. Challengés, les médias ont réagi dans un premier temps en empruntant les codes des réseaux. Toujours plus vite, toujours plus fort ! Adeptes du “breaking news”, ils se sont placés dans le sillage de leurs rivaux. En donnant le primat à l’immédiateté, au risque de sombrer à leur tour dans les improvisations hâtives ; en versant dans la surenchère des commentaires “à chaud” confondant expertises et opinions ; ou bien en n’hésitant pas à mettre en scène l’actualité à deux doigts du montage et de la manipulation pour la rendre plus attractive. Autant de dérives dangereuses qui compromettent le métier et l’enfoncent dans le discrédit plus qu’elles ne le sortent de l’ornière.
Journaliste analyste
Le métier de journaliste peut-il retrouver ses galons de crédibilité ? Assurément oui. Il lui faut pour cela renouer avec sa raison d’être fondamentale : l’explication de texte de l’actualité. C’est-à-dire miser sur la qualité de l’analyse.y Une voie à la fois évidente et exigeante. Évidente ? La complexité du monde, l’entrelacs des tenants et aboutissants, le jeu souterrain des interdépendances n’a jamais rendu en effet autant nécessaire le décryptage des faits, la mise au jour de leur importance et l’évaluation de leurs conséquences. Exigeante ? Le journaliste ne peut plus se contenter de poser la sacro-sainte question professionnelle, celle du “quoi de neuf”, il doit faire l’effort d’aller jusqu’à l’interprétation. Dans cette démarche d’approfondissement, le journaliste est en mesure de faire la différence. Par rapport à l’universitaire ou l’expert, il est bien mieux outillé du fait de son savoir-faire pour rendre simple ce qui est complexe et rendre intéressant ce qui est important. Par rapport aux messages orientés des communicants, la réflexion journalistique, faite de mise à distance et d’esprit critique, apparaît bien plus libre. Idem par rapport à la parole des politiques dont la finalité est d’être intrinsèquement au service exclusif et intéressé de la conquête puis de la préservation du pouvoir. Pour déployer sa valeur ajoutée, le journalisme dispose d’une arme redoutablement efficace : le maniement des mots dans leur syntaxe. Un savoir-faire qui donne toujours, même dans notre monde saturé d’images, une prime à l’écrit. En enchaînant des mots portant des concepts, l’écrit sollicite l’hémisphère gauche de notre cerveau, celui qui déclenche la réflexion ppar le raisonnement séquentiel. Àl’inq verse de l’image qui, en jouant sur l’instantané et l’émotion, active la partie droite du cerveau. Le mot ouvre la réflexion, l’image la tue, résume la science cognitive. Preuve que l’écrit n’a pas dit son dernier mot : on voit de plus en plus souvent sur les écrans des chaînes d’info en continu des mots en incrustation, comme s’il s’agissait de mieux faire imprimer le message… Autre vertu de l’analyse écrite : sa durabilité. Le décryptage d’un enjeu ou d’une problématique a une durée de vie plus longue que la simple information factuelle du qui, quand, quoi, comment. Et grâce désormais à Internet qui permet un accès immédiat à la ressource des articles quelle que soit sa date de fabrication, tout à chacun dispose d’une mine documentaire incommensurable. Qui a dit que l’écrit était mort ?
Médiateur toujours
Pour autant, tout le monde ne peut pas s’improviser journaliste analyste. Savoir écrire est une condition nécessaire mais pas suffisante ; il faut être aussi capable de raisonner, de mettre en relation les causalités, de distinguer l’essentiel de l’accessoire, de se méfier des apparences souvent trompeuses. Une aptitude qui requiert une solide culture générale pour se hisser rapidement à la hauteur des événements. Un profil de normalien en somme, mais un normalien qui aurait le caractère et l’assurance pour pouvoir réfléchir par lui-même à l’abri des sectarismes, des idéologies ou des modes. Devant être sans a priori, un bon journaliste ne peut avoir que des a posteriori. Il doit donc se méfier de ses préjugés, accepter la critique, faire droit à la contradiction… Et si on attend d’un bon article qu’il défend une thèse, il doit le faire sans mauvaise foi et par une argumentation honnête, déontologie professionnelle oblige. S’appuyer sur ces fondamentaux du métier ne suffira toutefois pas, le journaliste doit aujourd’hui pousser plus loin encore sa valeur ajoutée. Par chance, il se trouve qu’il peut plus que jamais justifier son rôle de médiateur face aux défis lancés par le numérique. C’est dans le laboratoire de son média qu’il doit tous les jours se réapproprier cette fonction dont les réseaux sociaux tentent dangereusement de le déposséder. Une extension du domaine d’activités journalistique pleine d’avenir et de promesses, tant il est vrai que le métier est à même de résoudre la contradiction entre l’incroyable profusion des contenus et le temps incompressible de l’usager. Sa carte à jouer ? La fonction “butler” qui consiste, à l’instar de ces majordomes sélectionnant les sorties culturelles de leur maître, à se mettre en position de veille et de guet pour le compte de ses lecteurs. Encore faut-il que le journaliste devienne lui-même l’expert de ce “data mining” de façon, étant son propre autodocumentaliste, à pouvoir rendre ce nouveau service. Le retour aux fondamentaux du métier passera aussi par une exigence accrue de compétencesp techniques. q Éternelle conjugaison de l’art et la manière.
Autre vertu de l’analyse écrite : sa durabilité. Le décryptage d’un enjeu ou d’une problématique a une durée de vie plus longue que la simple information factuelle du qui, quand, quoi, comment