Le Nouvel Économiste

LE MODÈLE WPP PEUT-IL PERDURER ?

Le regroupeme­nts d’agences de publicité indépendan­tes financé par la bourse va t-il-prendre fin avec la démission de Martin Sorrell?

- JOHN GAPPER, FT

Martin Sorrell a démissionn­é de WPP, le groupe de marketing et publicité qu’il a fondé en 1985. Il laisse derrière lui de nombreux dirigeants qui ont fait fortune. Ses largesses se reflètent dans les 400 entreprise­s que WPP a intégrées comme filiales, les 43 petites agences qu’il a rachetées durant la seule année 2017, et les 13 milliards de livres d’écarts d’acquisitio­n dans le bilan de WPP.

Les largesses de Martin Sorrell se reflètent dans les 400 entreprise­s que WPP a intégrées comme filiales, les 43 petites agences qu’il a rachetées durant la seule année 2017, et les 13 milliards de livres d’écarts d’acquisitio­n dans le bilan de WPP

Wire and Plastic Products, le nom de la société qu’il a utilisée pour la plus longue période d’acquisitio­ns que la publicité ait jamais connue, n’était pas du secteur. Sir Martin l’a utilisée pour tout acheter, de l’agence J. Walter Thompson à Young & Rubicam, allant ainsi à l’encontre de la critique habituelle sur les holdings. WPP a accueilli toutes les agences à vendre, en dehors de celles déjà acquises par Publicis, Omnicom et ses autres concurrent­s. Dans la publicité, beaucoup de

gens se considèren­t comme des créatifs. Il y a des “analystes de données créatifs, des acheteurs d’espace média créatifs, des concepteur­s

de médias créatifs”, a récemment expliqué Martin Sorrell. Et c’est losqu’ils créent des agences qu’ils revendent à WPP ou à d’autres, attendent ensuite que leur earnout [clause qui indexe une partie du prix de la transactio­n sur les résultats futurs de la société, ndt] expire, puis recommence­nt, qu’ils se montrent les plus créatifs. Ce “carrousel créatif” a financé beaucoup de maisons, de yachts et de divorces. Martin Sorrell luimême s’est bien débrouillé avec ses 48 millions de livres de rémunérati­on en 2016 et environ 2 % du groupe WPP. Sa démission met le processus en péril. WPP n’est pas seul à souffrir du ralentisse­ment du secteur. Le carrousel ralentit et peut donc s’arrêter. Cela pèse sur toute l’économie créative, l’écosystème des petites agences de marketing, de médias, de design, de relations publiques et de technologi­e qui ont prospéré dans les économies du secteur des services. 90 % des entreprise­s créatives du Royaume-Uni emploient cinq personnes ou moins : les associés fondateurs et quelques autres. Beaucoup aimeraient d’ailleurs être rachetées. Voilà comment le système fonctionna­it. Imaginez que vous et un associé ayez fondé une agence de publicité et de relations publiques qui marche bien et qui a réalisé des bénéfices annuels de l’ordre de 3 millions de livres. Vous pourriez persévérer, compter sur une croissance continue et bien vous rémunérer en espèces et en dividendes. Ou vous pourriez vendre à un groupe comme WPP. Vous avez une nature d’entreprene­ur mais même les casse-cou ont envie d’une certaine sécurité. La holding offrait 20 millions de livres pour votre entreprise : un tiers immédiatem­ent et le reste sur quatre ans en échange de la réalisatio­n d’objectifs. Le gain en capital de 10 millions de livres de chaque associé est taxé à hauteur de 10 % au Royaume-Uni grâce aux mesures de soutien aux entreprene­urs. Cela impliquait deux versements de 9 millions de livres après impôt, l’alternativ­e étant de rester indépendan­t et payer 40 % ou plus d’impôt sur le revenu. Vous aviez gagné une fortune fiscalemen­t optimisée en vendant l’entreprise à sept fois son bénéfice, et la holding, quant à elle, avait augmenté sa valeur au-delà du prix d’acquisitio­n de la nouvelle agence, car elle se négociait au double de ce multiple, jusqu’à récemment. Et lorsque les earn-outs expiraient, vous pouviez demander encore plus d’argent pour rester, ou partir et ouvrir une autre boutique.

Cela ne faisait pas de vous un Mark Zuckerberg, loin de là, mais cela vous rendait confortabl­ement riche, et le grand nombre d’entreprise­s que WPP et les autres ont achetées montre que l’idée était très séduisante. “C’est essentiell­ement un arbitrage fiscal”, observe un bénéficiai­re de ce carrousel. Les modalités financière­s diffèrent selon les pays, mais des taux d’imposition plus faibles sur les gains en capital et les mesures en faveur des entreprene­urs sont monnaie courante ailleurs aussi. JJe ne leur reprochep ppas ces avalanches de cash. Être un entreprene­ur est plus difficile et plus risqué qu’il ne paraît à ceux qui regardent depuis le banc de touche, et les maisons sont chères dans les villes où les acteurs du secteur se regroupent. Le processus a stimulé l’activité économique à Londres, New York, Paris et ailleurs. Mais il faut assez d’argent pour financer un écosystème d’entreprise­s

Voilà le futur des agences de marketing : un étrangleme­nt prolongé des intermédia­ires au milieu

à fortes marges, tout en apportant une petite part d’innovation à l’ensemble. Cela signifie beaucoup d’intermédia­ires à entretenir. Le système est aujourd’hui menacé à la fois par les sociétés Internet comme Google et Facebook, qui contrôlent la majeure partie de la publicité en ligne, et par les grands comptes, qui sabrent dans leurs budgets marketing. Avant son départ, Martin Sorrel a déclaré que les difficulté­s de WPP étaient plus dues aux grands comptes qu’à Google et Facebook, que la publicité faisait face à une compressio­np cycliqueyq et non séculaire. À la fin, le résultat est le même. Quand Marc Pritchard, le directeur marques de Procter & Gamble, s’est récemment plaint

que le secteur créatif était “cerné d’excès de gestion, d’immobilier et de frais généraux”, il décrivait ce carrousel. Cela rappelle les années bling -bling de la musique, avant qu’une vague de piratages ne compromett­e la vie dorée de centaines de labels et d’influenceu­rs qui faisaient et défaisaien­t les artistes. Travailler dans le secteur A&R (“artistes et répertoire”) était un genre mineur, question créativité, mais une source sûre de création de richesses. La catégorie A&R a plafonné : le secteur estime que les sommes investies dans la découverte et le développem­ent de nouveaux artistes n’ont augmenté que de 2,8 milliards de dollars entre 2011 et 2015. Voilà le futur des agences de marketing : un étrangleme­nt prolongé des intermédia­ires au milieu. Les entreprene­urs de la publicité consacrero­nt sans doute leur créativité à rechercher de nouveaux acquéreurs. Les cabinets de consultant­s comme Accenture se ruent dans le secteur et Martin Sorrell a remarqué le mois dernier que même lui ne payerait pas le prix de certaines agences digitales américaine­s actuelleme­nt en vente. Mais son départ après trois décennies à la tête de WPP met fin au plus grand acquéreur du secteur.

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Martin Sorrell a démissionn­é de WPP, le groupe de marketing et publicité qu’il a fondé en 1985.

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