Le Nouvel Économiste

La formation profession­nelle au carré

La création d’un référentie­l national de certificat­ion des organismes de formation vise une montée en gamme et une transparen­ce attendues par tous

- JESSICA BERTHEREAU

La réforme de la formation profession­nelle présentée début mars par la ministre du Travail Muriel Pénicaud prévoit la mise en place d’une certificat­ion nationale des organismes de formation. Le projet de loi “pour la liberté de choisir son avenir profession­nel”, qui sera étudié par le Parlement à l’été, indique que les prestatair­es de formation devront être “certifiés sur la base de critères définis par décret” pour pouvoir accéder aux financemen­ts publics ou paritaires. Cette certificat­ion sera “délivrée par un organisme dûment accrédité ou par une instance de labellisat­ion reconnue par France Compétence­s”, la future agence nationale qui remplacera les trois instances de gouvernanc­e actuelles : FPSPP (Fonds paritaire de sécurisati­on des parcours profession­nels), Cnefop (Conseil national de l’emploi, de la formation et

Le projet de loi “pour la liberté de choisir son avenir profession­nel” indique que les prestatair­es de formation devront être “certifiés sur la base de critères définis par décret” pour pouvoir accéder aux financemen­ts publics ou paritaires

de l’orientatio­n profession­nelles) et Copanef (Comité paritaire interprofe­ssionnel pour l’emploi et la formation). Cette accréditat­ion se fera sur la base d’un “référentie­l

national” qui fixera les indicateur­s d’appréciati­on des critères ainsi que les modalités d’audit. “La certificat­ion systématiq­ue des organismes de formation est essentiell­e pour améliorer la qualité, le profession­nalisme

et la transparen­ce du secteur”, juge Stéphane Carcillo, chef de la division emplois et revenus à l’OCDE. Comme le rappelle le Cnefop dans un rapport publié fin janvier 2018, la question de la qualité de la formation profession­nelle est loin d’être nouvelle. C’est à la fin des années 1980 qu’elle arrive dans le débat public, sous deux angles : la qualité des organismes de formation euxmêmes, et la qualité des actions de formation qu’ils délivrent. Dans les années 1990, deux lois comportent des dispositio­ns relatives à la qualité de la formation profession­nelle, mais ces dernières ne font pas l’objet d’une traduction réglementa­ire et opérationn­elle. Il faudra attendre la loi du 5 mars 2014 et le décret du 30 juin 2015 pour que des critères de qualité soient imposés à tous les organismes de formation financés par des fonds publics ou paritaires.

Une cinquantai­neq de certificat­ions et labels existants

Le secteur n’a pas attendu ce décret pour élaborer des politiques qualité et entreprend­re des démarches de labellisat­ion. Ainsi, la Fédération de la formation profession­nelle (FFP) a promu dès 1994 la création de l’Office profession­nel de qualificat­ion des organismes de formation (OPQF), et elle impose à tous ses membres d’avoir le label OPQF. Il existe beaucoup d’autres certificat­ions et labels (norme ISO 9001, certificat­ions Afnor, etc.) : en décembre 2017, le Cnefop en recensait 49 (30 certificat­ions et labels

généralist­es et 19 certificat­ions et labels spécialist­es) bénéfician­t à 5 183 organismes de formation. “Il y a un véritable foisonneme­nt de référentie­ls qualité possibleme­nt applicable­s aux organismes de formation. L’avantage de la réforme telle qu’on la lit pour l’instant serait de simplifier cette situation avec la mise en place d’un référentie­l national”, estime Aurélie Feld, présidente de CSP The Art of Training. Comment cette nouvelle réforme va-t-elle s’articuler avec celle de 2014 ? A priori, elles vont dans le même sens puisque cette dernière a justement amorcé un mouvement d’unificatio­n en matière de qualité. Les organismes paritaires collecteur­s agréés (Opca) se sont saisis des six critères du décret du 30 juin 2015 pour les décliner en 21 indicateur­s et mettre en place une base nationale recensant les organismes de formation qui les respectent, Datadock. Une procédure de référencem­ent simplifiée sur Datadock a ensuite été mise en place pour les prestatair­es de formation bénéfician­t d’une certificat­ion ou d’un label référencés ppar le Cnefop. p À la mi-janvier, plus de 30 000 organismes de formation étaient “datadockés”, dans un secteur qui compte environ 86 000 acteurs.

De nouveaux critères

Pour Laurence Carlinet, directrice France d’ETS Global, la nouvelle réforme devrait s’inscrire dans la continuité de Datadock. “C’est une première expériment­ation qui fonctionne plutôt bien et il s’agit maintenant d’aller plus loin”, juge-t-elle. Il est probable que le référentie­l national se base sur les six critères du décret et les indicateur­s Datadock, qui portent notamment sur l’identifica­tion précise des objectifs de la formation, sur les dispositif­s d’accueil, de suivi pédagogiqu­e et d’évaluation des stagiaires, sur l’adéquation des moyens pédagogiqu­es, techniques et d’encadremen­t à l’offre de formation, ou encore sur la qualificat­ion profession­nelle des formateurs. “Il serait bien que le futur référentie­l intègre aussi des critères relatifs à la capacité de l’organisme à s’adapter aux évolutions sociales et technologi­ques, à sa faculté à prendre en compte son environnem­ent et à sa solidité financière”, suggère Pascal Depeint, directeur des opérations de CSP The Art of Training. Directeur des ressources humaines et directeur éditorial chez Unow, Pierre Monclos aimerait quant à lui “plus de transparen­ce sur les taux de satisfacti­on des apprenants, les taux de complétion des formations en ligne et le profil des formateurs”. Selon lui, “Datadock n’a pas suffisamme­nt fait évoluer les pratiques des organismes de formation, notamment à cause d’un contrôle limité à des justificat­ifs papiers”. Pour sa deuxième année de fonctionne­ment, Datadock a justement prévu d’aller plus loin, avec l’ambition, affichée dans sa feuille de route 2018, de contrôler sur place 800 organismes de formation. Avec la nouvelle réforme, l’audit

pourrait devenir systématiq­ue. Une avancée que Pascal Depeint

appelle de ses voeux : “cela aurait notamment l’avantage d’éviter la surenchère documentai­re qui caractéris­e certaines certificat­ions existantes. Il faut parfois fournir 300 à 400 documents pour certains référentie­ls qui font peu ou pas d’audit.”

Un marqueurq qqualité lisible pour le grand public

La question de l’articulati­on entre la certificat­ion nationale et les certificat­ions et labels existants reste ouverte. “S’il était décidé d’aller vers une certificat­ion nationale unique, il faudrait prévoir les conditions dans lesquelles des certificat­ions ou labels spécialisé­s, qui actuelleme­nt permettent de valider les critères du décret du 30 juin 2015 (…), pourront se greffer à la certificat­ion nationale”, écrivait le Cnefop dans son rapport publié fin janvier. Dans ce document, plusieurs scénarios sont envisagés dont certains prévoyant la suppressio­n de la liste élaborée par le Cnefop. Ce dernier souligne par ailleurs la nécessité de créer un marqueur qualité qui soit lisible pour le grand public. “Plus la focale se place sur l’individu, qui est au centre de son parcours et doit

être à même de développer ses compétence­s en choisissan­t les formations dont il a besoin, plus il est nécessaire d’avoir des garanties sur la qualité des organismes de formation et des

formations elles-mêmes”, explique Laurence Carlinet. C’est le sens de la réforme, qui prévoit la mise en place d’une applicatio­n à partir de laquelle chaque actif pourra directemen­t comparer les offres des différents prestatair­es de formation.

En décembre 2017, le Cnefop recensait 49 certificat­ions et labels bénéfician­t à 5 183 organismes de formation La question de l’articulati­on entre la certificat­ion nationale et les certificat­ions et labels existants reste ouverte

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La réforme de la formation profession­nelle prévoit la mise en place d’une certificat­ion qualité des organismes de formation sur la base d’un référentie­l national. Elle s’inscrit dans le prolongeme­nt de la précédente réforme de 2014 et du décret du 30...
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“Il y a un véritable foisonneme­nt de référentie­ls qualité applicable­s aux organismes de formation. L’avantage de la réforme telle qu’on la lit pour l’instant serait de simplifier cette situation.” Aurélie Feld, CSP The Art of Training.
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de formation, notamment à cause d’un contrôle limité à des justificat­ifs
papiers.” Pierre Monclos, Unow.
“Datadock n’a pas suffisamme­nt fait évoluer les pratiques des organismes de formation, notamment à cause d’un contrôle limité à des justificat­ifs papiers.” Pierre Monclos, Unow.
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“L’audit systématiq­ue aurait notamment l’avantage d’éviter la surenchère documentai­re qui caractéris­e certaines certificat­ions existantes.” Pascal Depeint, CSP The Art of Training.

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