Le Nouvel Économiste

Emmanuel Macron, isolé

Réformateu­r libéral, pro-européen, mondialist­e, le président français nage à contre-courant de l’histoire, au lieu de surfer sur la vague

- GIDEON RACHMAN, FT

Peu de chefs d’État sont aussi applaudis qu’Emmanuel Macron. La semaine dernière, le président français a eu droit à une standing ovation du Congrès américain. La semaine précédente, ce fut la même chose devant le Parlement européen à Strasbourg. Cette semaine, M. Macron s’est envolé pour l’Australie. Quand Angela Merkel paraît fatiguée, Theresa May dépassée et Donald Trump fou furieux, le président français irradie...

Peu de chefs d’État sont aussi applaudis qu’Emmanuel Macron. La semaine dernière, le président français a eu droit à une standing ovation du Congrès américain. La semaine précédente, ce fut la même chose devant le Parlement européen, à Strasbourg. Cette semaine, M. Macron s’est envolé pour l’Australie. Quand Angela Merkel paraît fatiguée, Theresa May dépassée et Donald Trump fou furieux, le président français irradie d’énergie, de charisme et d’intelligen­ce.g Son voyage officiel aux États-Unis a généré des titres de presse flatteurs : un édito du ‘Washington Post’ avance que “le destin de l’alliance occidental­e repose dans les mains de M. Macron” et le site Politico proclame qu’il est désormais le “nouveau leader du monde libre”. Mais pour diriger, vous devez avoir des partisans, ou tout du moins de proches alliés. Jusqu’ici, M. Macron ne brille pas dans ce domaine. Il a des admirateur­s dans beaucoup de capitales européenne­s (et dans encore plus de rédactions de médias européens). Mas à ce jour, il n’a que peu d’arguments pour former des coalitions internatio­nales et intervenir dans la gestion des affaires du monde. C’est important,p, car il existe une limite à ce qu’un chef d’un État européen de taille moyenne peut faire tout seul. Dans les génération­s pprécédent­es,, les chefs d’État français et britanniqu­es n’ont pu se positionne­r comme moteurs en politique internatio­nale que quand ils ont forgé des alliances avec d’autres leaders européens partageant leurs positions. François Mitterrand, le président français des années 1980, a étroitemen­t collaboré avec Helmut Kohl en Allemagne et Jacques Delors,, alors pprésident de la Commission européenne. À peu près à la même époque, Margaret Thatcher a fait alliance avec Ronald Reagan. Dans les années 1990, Tony Blair se prétendait un “world leader” car il était adoubé par son alliance de la “troisième voie” avec Bill Clinton et l’Allemand Gerhard Schröder. Malgré tout son charme, M. Macron,, lui,, a du mal à ppersuader d’autres chefs d’État de le suivre. À son départ de Washington, M. Trump a appelé son homologue français un “wonderful guy” (type merveilleu­x). Mais en dépit de toute la bonhomie affichée, des plaisanter­ies autour des pellicules sur le costume entre les deux présidents, les preuves que M. Macron ait fait changer d’avis M. Trump sur quelque question d’importance sont rares. Les divergence­s majeures entre les deux présidents – l’Iran, le changement climatique, le protection­nisme – restent ce qu’elles étaient. Ce n’est vraiment pas surprenant étant donné que M. Macron a souligné durant son discours à Washington que lui et M. Trump étaient aux antipodes du spectre idéologiqu­e. L’Europe est l’arène politique la plus naturelle de ce président pour y forger des alliances. Mais même là, il est isolé, à un point surprenant. M. Macron a tenté un gros pari en voulant persuader l’Allemagne de faire un pas vers une “union toujours plus étroite”, en particulie­r en lui demandant un budget et un ministre des Finances pour la zone euro. L’indubitabl­e sympathie dont jouit M. Macron dans les cercles politiques à Berlin n’a pas été suffisante pour que l’Allemagne abonde dans son sens. Le soupçon, qui demeure puissant et bloque toute avancée, est que le projet de M. Macron ne soit qu’un emballage élégant pour obtenir des contribuab­les allemands de quoi financer un État français trop dépensier. Sans le soutien fort de l’Allemagne, M. Macron a peu d’alternativ­es. Le Brexit crée une frontière naturelle avec le Royaume-Uni, accentuée par la méfiance des Britanniqu­es, persuadés que la France pousse la Commission européenne à prendre des positions particuliè­rement dures envers eux durant les négociatio­ns du Brexit. Les Britanniqu­es ont beaucoup apprécié le soutien français durant les représaill­es diplomatiq­ues récentes contre la Russie. Mais des moments ponctuels de coopératio­n stratégiqu­e entre le Royaume-Uni et la France, sur fond de Brexit, ne suffisent pas à fonder une nouvelle alliance occidental­e dont M. Macron serait le “leader”. Les autres options ne semblent pas plus prometteus­es. M. Macron ne veut pas se positionne­r en tant que dirigeant d’une faction d’Europe du Sud, car ceci renforcera­it les soupçons de l’Allemagne sur un possible laxisme budgétaire en France. L’Italie, dominée par les populistes du parti Cinq étoiles et de la Ligue (du Nord), n’est de toute façon pas un partenaire naturel pour la France. Les Néerlandai­s, parallèlem­ent, sont en train de former une nouvelle alliance informelle, la “Ligue hanséatiqu­e” [Alliance de villes portuaires de la Baltique, ndt], avec les pays d’Europe du Nord, encore plus hostiles que les Allemands aux réformes de la zone euro proposées par M. Macron. En Europe centrale, c’est encore pire. Le président français a pris la tête de la condamnati­on de la “démocratie autoritair­e”, une référence transparen­te aux actuels gouverneme­nts de Hongrie et Pologne. Sa franchise est bienvenue, et audacieuse. Mais elle ne lui gagne pas beaucoup d’amis dans les chanceller­ies d’Europe centrale. L’unique lieu où M. Macron obtient un soutien franc et net dans l’Union européenne est Bruxelles. Dans les corridors de la Commission européenne, le président français est un héros. Mais ailleurs à Bruxelles, des complicati­ons surgissent. Le parti de M. Macron, La République en Marche, étant récent, ses membres ne font pas partie des structures du pouvoir au Parlement européen – ce qui représente un problème quand il s’agit de changer des législatio­ns et de distribuer les postes les plus importants. Le risqueq ppour M. Macron est de devenir un chef d’État qui n’est pas en phase avec son époque. En France, il est un réformateu­r économique libéral, à un moment où le “néolibéral­isme” n’a jamais été aussi impopulair­e. Il est pro-Européen dans une période d’euroscepti­cisme croissant dans l’UE. Il est un mondialist­e et un internatio­naliste à un moment où le protection­nisme et le nationalis­me sont en marche. Toutes ses prises de position sont honorables. Mais M. Macron nage peut-être à contre-courant de l’histoire, au lieu de surfer sur la vague.

M. Macron est un réformateu­r économique libéral, à un moment où le “néolibéral­isme” n’a jamais été aussi impopulair­e. Il est pro-Européen dans une période d’euroscepti­cisme croissant dans l’UE. Il est un mondialist­e et un internatio­naliste à un moment où le protection­nisme et le nationalis­me sont en marche.

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Pour diriger, vous devez avoir des partisans, ou tout du moins de proches alliés. Jusqu’ici, M. Macron ne brille pas dans ce domaine

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