Le Nouvel Économiste

Un mal pour un bien

Avec les nouvelles règles européenne­s, l’entreprise n’échappera plus à la data. Et c’est tant mieux.

- EDOUARD LAUGIER

Elle mange le monde, dit-on. Sur-vitaminée par la révolution numérique, la donnée est en effet partout. Privée ou publique, dans les foyers comme les administra­tions en passant par les entreprise­s, la data met quotidienn­ement les organisati­ons au défi. Comprendre puis gérer ce nouveau carburant de la croissance n’est pas une mince affaire. En France, nombreuses sont les entreprise­s sans véritable stratégie data. Malgré quelques critiques justifiées, la nouvelle réglementa­tion européenne sur la protection des données à caractère personnel – le fameux RGPD – pourrait bien changer la donne en forçant les acteurs économique­s à se plonger dans le sujet data. Un mal pour un bien, en somme....

Elle mange le monde, dit-on. Survitamin­ée par la révolution numérique, la donnée est en effet partout. Privée ou publique, dans les foyers comme les administra­tions en passant par les entreprise­s, la data met quotidienn­ement les organisati­ons au défi. Comprendre puis gérer ce nouveau carburant de la croissance n’est pas une mince affaire. En France, nombreuses sont les entreprise­s sans véritable stratégie data. Malgré quelques critiques justifiées, la nouvelle réglementa­tion européenne sur la protection des données à caractère personnel – le fameux RGPD – pourrait bien changer la donne en forçant les acteurs économique­s à se plonger dans le sujet data. Un mal pour un bien, en somme.

Vous avez dit or noir ?

Mega-données, big data, volume massif de données… Chaque jour dans le monde, des milliards de milliards d’octets, l’unité de mesure de la donnée, sont créés par les actions des individus. Cette masse d’informatio­n passe d’ordinateur­s en smartphone­s en passant par les innombrabl­es serveurs qui les dispatchen­t au gré de nos vies digitales. Nos quotidiens devenant de plus en plus numériques, pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que nous assistons à une incroyable inflation de la production de données. Les volumes explosent : chaqueq jjour,, nous ggénérons 2,5 , trillions d’octets de données. À tel point que 90 % des données dans le monde ont été créées au cours des deux dernières années, selon les experts d’IBM. Cette data révolution­ne le monde économique. De nombreuses études ont d’ailleurs cherché à quantifier la valeur de cette profusion de données. En 2015, la Commission européenne a estimé que la taille cumulée du marché direct des données publiques ouvertes pour la période 2016-2020 devrait s’élever à 325 milliards d’euros en Europe. De son côté, un rapport du McKinsey Global Institute a conclu, en 2014, que le big data pourrait rapporter 3 000 milliards de dollars chaque année aux principaux secteurs de l’économie. Certains vont ainsi jusqu’à mettre en parallèle la data et le pétrole. La donnée, nouvel or noir de l’économie ? Oui mais non, car les données sont un bien fondamenta­lement différent. Contrairem­ent à un carburant, le fait d’utiliser des datas n’empêche pas une autre personne de le faire. Par ailleurs, elles ne sont pas détruites lors de leur utilisatio­n. Leur utilisatio­n répétée augmente même leur valeur et peut conduire à la création de nouvelles formes de ressource et encore plus de valeur. En effet, les données n’ont pas une grande valeur intrinsèqu­e : leur valeur réside dans la manière dont on les utilise pour créer de nouveaux produits ou services. Un exemple emblématiq­ue est celui d’Uber. En soi, connaître la position géographiq­ue exacte d’un individu à un instant t n’a pas grand intérêt, sauf si l’on est un service de transport de personnes en mobilité. Grâce à la data, Uber révolution non seulement le service de taxis, mais aussi tout son modèle économique. Chaque industrie compte son Uber. Aujourd’hui déjà et demain massivemen­t, les acteurs qui sortiront du lot seront ceux qui sauront comprendre et gérer les datas sur lesquelles reposeront les nouveaux services innovants et modèles commerciau­x du futur. Malheureus­ement, les entreprise­s et organisati­ons tricolores ne sont pas les mieux embarquées.

Le retard Français

Nous commençons à peine à mesurer les possibilit­és offertes par l’exploitati­on de vastes ensembles de données. “Les niveaux de maturité des entreprise­s concernant la data sont différents en fonction des champs d’applicatio­n et des secteurs. Dans l’ensemble, cela reste grandement artisanal. Certaines entreprise­s ne savent pas encore très bien quelles données elles possèdent”, observe Axelle Lemaire,, ancienne secrétaire d’État en charge du Numérique et de l’Innovation sous le mandat de François Hollande, désormais partner au sein du cabinet de conseil Roland Berger. Régulièrem­ent, des travaux pointent les retards des acteurs économique­s tricolores sur un sujet. Concernant la compréhens­ion et la gestion des données, une étude IDC réalisée pour Atos constate que les entreprise­s françaises n’ont pas une

60 % des données de l’entreprise ne sont tout simplement pas valorisées. Pas étonnant que la France soit en retard dans l’adoption et l’analyse big data

très bonne vision de l’ensemble des données dont elles disposent, et de l’analyse qu’elles peuvent en faire. Entre les datas structurée­s, semistruct­urées, non structurée­s, difficile d’y voir clair. Ainsi selon IDC, une large majorité sont ignorées. Au final, 60 % des données de l’entreprise ne sont tout simplement pas valorisées. Pas étonnant que la France soit en retard dans l’adoption et l’analyse big data comparée à d’autres pays. C’est ce qui ressort d’une étude de Teradata qui s’intéresse à la manière dont les grandes entreprise­s gèrent et utilisent les données. Conclusion principale : la France réalise le troisième plus mauvais score mondial (56 %) en termes d’adoption de l’analyse de

“Au-delà du respect des obligation­s, c’est surtout un changement d’état d’esprit qui est attendu, l’émergence d’une culture de la data dans les organisati­ons”

données par les entreprise­s, loin derrière le leader du marché, l’Allemagne (84 %). Dernière illustrati­on du retard français avec des PME. Selon un rapport Deloitte/ Facebook, les petites et moyennes entreprise­s françaises initient seulement maintenant leur transforma­tion digitale. Bien que la plupart des PME bénéficien­t d’une visibilité globale sur Internet, elles accusent un retard certain par rapport à leurs homologues européens en termes d’intégratio­n et d’optimisati­on des solutions issues de la transforma­tion digitale. C’est notamment le cas des outils digitaux de productivi­té (logiciels de collaborat­ion, plateforme de gestion, outils de reporting) : seuls 11 % des TPE/ PME françaises de moins de 50 collaborat­eurs en sont équipées, soit deux fois moins que les PME européenne­s.

Le big bang bienvenu de la RGPD

“Est-ce que les entreprise­s traditionn­elles pourront survivre à cette déferlante de l’économie de la data ?”, s’interroge Godefroy de Bentzmann, le président de Syntec Numérique et co-président du groupe Devoteam. Difficile à savoir. Ce qui est certain en revanche, c’est que depuis le 25 mai, les organisati­ons sont plongées dans le grand bain de la donnée. De gré ou de force. Adopté par le Parlement européen en avril 2016, le Règlement général sur la protection des données à caractère personnel ( RGPD) consacre un nouveau mode de régulation. En imposant des règles strictes (voir encadré), cette nouvelle loi exige une mise à niveau conséquent­e de la part des entreprise­s dans le traitement de données. Ce qui n’est pas gratuit : une étude de Sia Partners a estimé le coût de la mise en conformité à 30 millions d’euros en moyenne pour un groupe du CAC 40. Et pas question de manquer à ces obligation­s : toute entreprise incapable de démontrer sa conformité est passible de sanctions pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial. De quoi inquiéter bon nombre d’entre elles, focalisées sur les aspects négatifs de la nouvelle loi. Collecte et usage des données personnell­es, sécurité, droit à l’oubli ou encore portabilit­é des datas, pour beaucoup d’entreprise­s, en particulie­r des PME, le RGPD est perçu comme une charge supplément­aire. Pas faux. Et pourtant, le règlement doit être aussi considéré comme une opportunit­é. “Dans le monde actuel, la meilleure façon d’affirmer une position concurrent­ielle est de maîtriser les données. Le RGDP permet de mieux connaître ses clients, ses fournisseu­rs, et de transforme­r son business model. C’est donc un formidable outil économique pour les

entreprise­s”, estime Axelle Lemaire. Au-delà de l’exercice imposé permettant notamment d’avoir une vision claire de l’ensemble des données gérées dans l’entreprise, la loi harmonise les règles européenne­s et offre un cadre unique aux profession­nels. “Au-delà du respect des obligation­s, c’est surtout un changement d’état d’esprit qui est attendu, l’émergence d’une culture de la data dans les organisati­ons. La nouvelle loi va forcer les entreprise­s à mieux comprendre ce qu’elles font de leurs données, ce qui est essentiel pour ensuite cueillir les fruits de stratégies marketing ou commercial­es pilotées

par la data”, estime Nadège Martin, avocate spécialisé­e en technologi­e et innovation chez Norton Rose Fulbright.

Les 3 champs d’applicatio­ns de la data

La révolution data est non pas nécessaire, mais vitale. Les cinq plus grandes capitalisa­tions boursières mondiales ne sont-elles pas des groupes dont le modèle d’affaires repose sur la donnée ? Investir dans cette économie est en effet stratégiqu­e pour les entreprise­s. Pour quelles raisons ? “Les trois champs d’applicatio­n de la donnée sont la connaissan­ce client, l’excellence opérationn­elle et les nouveaux services”, rappelle Axelle Lemaire. Sur un sujet comme l’expérience client par exemple, l’apport de la data est considérab­le pour mettre en corrélatio­n les données issues des différents canaux et créer une vision globale du parcours client. L’enjeu numéro 1 des distribute­urs aujourd’hui. Le second grand domaine pour lequel le big data apporte des bénéfices importants est l’excellence opérationn­elle : maximisati­on des performanc­es en matière de productivi­té, qualité des produits, réduction des coûts… L’analyse de la donnée offre également une améliorati­on la sécurité, de la gestion des risques et de la prévention de la fraude. Une meilleure utilisatio­n des datas permet enfin la création de services innovants. Ou comment, à partir des grands volumes de données connectées, ouvrir des champs de marché jusqu’ici non explorés.

 ??  ?? Les données n’ont pas une grande valeur intrinsèqu­e : leur valeur réside dans la manière dont on les utilise pour créer de nouveaux produits ou services
Les données n’ont pas une grande valeur intrinsèqu­e : leur valeur réside dans la manière dont on les utilise pour créer de nouveaux produits ou services
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France