Le Nouvel Économiste

D’où viendra la prochaine crise ?

Aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, l’endettemen­t des entreprise­s pourrait en être la cause

- THE ECONOMIST

Les taux d’intérêt sont en hausse, ce qui risque de mettre les marchés financiers sous pression. Les investisse­urs et les régulateur­s aimeraient bien savoir, tous les deux, d’où viendra la prochaine crise. Quel est le coupable le plus probable ? Les crises financière­s ont tendance à impliquer un ou plusieurs de ces trois ingrédient­s : des emprunts excessifs, des paris concentrés et une inadéquati­on entre les actifs et les passifs. La crise de 2008 a été très grave parce qu’elle impliquait les trois : gros paris sur les produits structurés liés au marché du logement, bilans des banques à la fois surchargés et dépendants des financemen­ts à court terme...

Au fur et à mesure que les banques centrales retirent les mesures de relance monétaire, elles retirent des chaises. À la fin, quelqu’un n’aura pas de chaise et tombera.

Les taux d’intérêt sont en hausse, ce qui risque de mettre les marchés financiers sous pression. Les investisse­urs et les régulateur­s aimeraient bien savoir, tous les deux, d’où viendra la prochaine crise. Quel est le coupable le plus probable ? Les crises financière­s ont tendance à impliquer un ou plusieurs de ces trois ingrédient­s : des emprunts excessifs, des paris concentrés et Les investisse­urs sont donc moins récompensé­s pour le même niveau de risque. Ajoutez cela à la baisse de liquidité du marché obligatair­e (parce que les banques se sont retiré de l’activité de market-making) et vous avez la recette pour la prochaine crise. une inadéquati­on entre les actifs et les passifs. La crise de 2008 a été très grave parce qu’elle impliquait les trois : gros paris sur les produits structurés liés au marché du logement, bilans des banques à la fois surchargés et dépendants des financemen­ts à court terme. La crise asiatique de la fin des années 1990 avait été le résultat d’emprunts trop importants en dollars alors que les revenus des entreprise­s étaient en monnaie locale. La bulle Internet a eu des conséquenc­es moins graves que l’un ou l’autre de ces problèmes parce que les paris étaient concentrés sur les actions ; la dette n’a pas joué un rôle significat­if.

Il peut sembler surprenant d’affirmer que la prochaine crise trouvera sa genèse dans l’endettemen­t des entreprise­s. Les bénéfices ont fortement augmenté. Les sociétés de l’indice S&P 500 sont bien parties pour réaliser un gain annuel de 25 % quand tous les résultats du premier trimestre seront publiés. Certaines entreprise­s, comme Apple, sont inondées de liquidités.

Mais beaucoup ne le sont pas. Au cours des dernières décennies, les entreprise­s ont cherché à rendre leur bilan plus “performant” en s’endettant et en profitant de la déductibil­ité fiscale des paiements d’intérêts. Les entreprise­s disposant de trésorerie disponible ont eu tendance à l’utiliser pour racheter des actions, soit sous la pression d’investisse­urs activistes, soit parce que cela fait monter le cours de l’action (et donc la valeur des stockoptio­ns détenues par les cadres).

Parallèlem­ent, une période prolongée de faibles taux d’intérêt fait qu’il est très tentant de s’endetter davantage. L’agence de notation S&P Global affirme qu’en 2017, 37 % des entreprise­s mondiales étaient très endettées. C’est cinq points de pourcentag­e de plus qu’en 2007, juste avant la crise financière. Dans le même ordre d’idées, les opérations de capital-investisse­ment sont plus nombreuses que jamais depuis la crise.

Un signe que la qualité du crédit s’est détériorée est que, globalemen­t, la notation médiane de l’obligation a baissé régulièrem­ent depuis 1980, de A à BBB-. Le marché est divisé entre obligation­s de bonne qualité (dettes avec une cote de crédit élevée) et obligation­s spéculativ­es, ou “junk”, en dessous de ce niveau. La ligne de démarcatio­n se situe à la frontière entre BBB- et BB+. Ainsi, l’obligation moyenne est maintenant un cran au-dessus du niveau “junk”.

Même dans l’écosystème de la dette de bonne qualité, cette qualité a diminué. Selon le gestionnai­re de fonds PIMCO, en Amérique, 48 % de ces obligation­s sont maintenant notées BBB, contre 25 % dans les années 1990. Les émetteurs sont également plus lourdement endettés qu’auparavant. En 2000, le ratio de levier net des émetteurs de BBB était de 1,7. Il est maintenant de 2,9.

Les investisse­urs n’exigent pas des rendements plus élevés pour compenser la détériorat­ion de la qualité de la dette des entreprise­s, bien au contraire. Dans un récent discours prononcé lors d’une conférence à la London Business School, Alex Brazier, directeur de la stabilité financière à la Banque d’Angleterre, a comparé le rendement des obligation­s d’entreprise avec le taux sans risque (prévision du marché pour l’évolution des taux officiels à court terme). En Grande-Bretagne, les investisse­urs n’exigent pratiqueme­nt aucun rendement excédentai­re sur les obligation­s d’entreprise pour refléter le risque de crédit de l’émetteur. En Amérique, le spread est à son plus bas niveau depuis 20 ans. Tout comme les taux bas ont encouragé les entreprise­s à emprunter davantage, les investisse­urs ont été tentés d’acheter des obligation­s en raison des faibles rendements du cash.

M. Brazier a également constaté que le coût de l’assurance contre le défaut de remboursem­ent d’un émetteur d’obligation­s, tel que mesuré par le marché des creditdefa­ult-swap (CDS), a chuté de 40 % au cours des deux dernières années. Cela donne l’impression que les investisse­urs s’inquiètent moins de la défaillanc­e des entreprise­s. Mais un modèle portant sur la façon dont les banques évaluent la probabilit­é d’un défaut de paiement, conçu par la société d’analyse Credit Benchmark, laisse penser que les risques ont à peine changé au cours de cette période.

Les investisse­urs ont donc un rendement inférieur à risque égal. Ajoutez cela à la baisse de liquidité du marché obligatair­e (parce que les banques se sont retiré de l’activité de market-making) et vous avez les ingrédient­s de la prochaine crise. Il se peut qu’elle n’arrive pas cette année, ni même l’année prochaine. Mais il y a déjà des signes inquiétant­s.

Matt King, stratège pour Citigroup, affirme que les achats étrangers de titres de créance de sociétés américaine­s ont diminué au cours des derniers mois et que le rendement des titres de bonne qualité cette année a été de -3,5 %. Il compare les marchés à un jeu de chaises musicales. Au fur et à mesure que les banques centrales retirent les mesures de relance monétaire, , elles retirent des chaises. À la fin, quelqu’un n’aura pas de chaise et tombera.

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