Le Nouvel Économiste

Le modèle Amazon

Comment faire rêver sur le long terme tout en délivrant sur le court terme

- BERTRAND JACQUILLAT

Le mentor et gourou de Warren Buffett, Benjamin Graham, professeur de finance à Columbia et auteur de la bible de l’analyse financière et de l’évaluation dans les années 1940, ‘Security Analysis’, avait l’habitude de dire “À court terme, le marché des actions est une machine à voter et à long terme, c’est une balance pour peser l’argent que la société rapporte à l’actionnair­e”. Et il est vrai que le prix des actions ne fait que refléter les cash-flows futurs qu’une société est susceptibl­e de générer. Et les sociétés n’ont guère plus de deux moyens afin de guider les investisse­urs pour lire dans le marc de café et les conforter sur leur futur. Le premier moyen, c’est de leur fournir régulièrem­ent des prévisions sur ce que devrait être le chiffre d’affaires du prochain trimestre, ou les résultats du prochain semestre, toujours en comparaiso­n de celui de l’exercice précédent. Ces indication­s aident les analystes et les investisse­urs à forger leur opinion sur ce que sera le niveau des principale­s grandeurs financière­s de la société dans un proche avenir. Ces prévisions agrégées forment le consensus de place et la communicat­ion financière des sociétés consiste à “gérer ce consensus” de sorte qu’à l’arrivée, les résultats soient un peu supérieurs aux attentes du marché, et constituen­t ainsi une bonne nouvelle, facteur de soutien des cours. Mais si les résultats ne sont pas conformes au consensus, gare aux accidents de la route pour les actions des sociétés concernées.

Le rêve ou les dividendes

L’autre moyen est beaucoup plus subtil, plus bénéfique aux sociétés mais éventuelle­ment plus risqué, comme a pu s’en rendre compte Tesla en début de mois. À un journalist­e qui l’interrogea­it lors de la dernière conférence téléphoniq­ue sur le montant de capital que la société aurait besoin de lever prochainem­ent, Elon Musk, le

fondateur et président répondit “Les questions ennuyeuses et bouffonnes ne sont pas les bienvenues. Question

suivante ?”. Pour les investisse­urs, les questions quant aux cash-flows futurs ne sont pas une bouffonner­ie, surtout lorsque celles-ci s’adressent à une société qui “brûle” 1 milliard de dollars par trimestre. Cette réponse a d’ailleurs fait déraper le titre de -15 %. Certes, le style de communicat­ion d’Elon Musk est brutal, mais on peut interpréte­r sa réponse de manière positive : “Si vous êtes préoccupé par les résultats à court terme de la société, celle-ci n’est pas faite pour vous comme investisse­ur”. Cette préoccupat­ion de long terme, c’est ce dont rêvent les dirigeants des sociétés en croissance, et ils ont bien raison, car cela leur donne un avantage compétitif énorme. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le cas d’Amazon. Depuis plus de 25 ans que la société a été créée, son fondateur et CEO Jeff Bezos n’a cessé de répéter aux investisse­urs que tout le cash généré par la société serait réinvesti. Et encore aujourd’hui, la marge opérationn­elle de la société n’est que d’à peine 2 %. C’est peu, mais cela n’a pas empêché Amazon de devenir une des toutes premières capitalisa­tions boursières mondiales. Et si son principal concurrent sur sa première activité, Walmart, pouvait mener la même politique financière, cela lui libérerait plus de 10 Mds $ tous les ans pour l’investisse­ment, soit l’équivalent du budget annuel d’investisse­ment d’Amazon. Mais il ne le peut pas parce que ses actionnair­es exigent de lui de recevoir des dividendes, à l’inverse de ceux d’Amazon. Car la communicat­ion financière d’un titre axée sur le court terme a pour corollaire de distribuer un dividende qui vient conforter celle-ci. Amazon a une manière de communique­r au marché qui lui donne davantage de flexibilit­é que celle de la plupart des autres sociétés, qui consiste à faire rêver tout en délivrant ce qu’on annonce. Cela permet aux dirigeants de sortir des ornières du court terme si préjudicia­ble à la stratégie des entreprise­s.

Depuis plus de 25 ans que la société a été créée, son fondateur et CEO Jeff Bezos n’a cessé de répéter aux investisse­urs que tout le cash généré par la société serait réinvesti

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