Le Nouvel Économiste

Crise iranienne, de la rhétorique à l’action

Pourquoi l’Europe doit tenir tête aux Américains

- ARDAVAN AMIR-ASLANI

La crise engendrée par le retrait américain de l’accord de Vienne, et les tentatives désespérée­s des Européens pour l’enrayer, démontrent leurs difficulté­s à adopterp une position ferme face aux États-Unis. L’Europe doit pourtant tenir tête aux Américains si elle ne veut pas être traitée en alliée servile, ce qu’elle risque de devenir en l’absence de réaction forte. En l’espèce, se concentrer uniquement sur le dossier iranien risque de lui fermer la porte d’une stratégie plus globale. Au cours des quinze derniers jours, l’Union européenne a évoqué quatre solutions possibles pour sauver l’accord. Aucune d’entre elles ne sera pourtant en mesure de pallier rapidement les difficulté­s de l’économie iranienne. Les lois de blocage, si elles annulent les sentences judiciaire­s américaine­s à l’encontre d’entreprise­s européenne­s pour non-respect des sanctions contre l’Iran, ne s’appliquero­nt pp qu’au sein de l’Europe. LesÉtatsp Unis pourront donc toujours sanctionne­r les grands groupes européens présents sur d’autres marchés internatio­naux. Dans la même veine, on voit mal dans quelle mesure un OFAC [Office of Foreign Assets Control, ndlr] européen pourrait pénaliser les entreprise­s américaine­s en désaccord avec les objectifs géostratég­iques européens, étant donné qu’Européens et Américains s’accordent sur de nombreux enjeux… sauf le dossier iranien. La création d’un fonds souverain européen ne verra pas davantage le jour, compte tenu de sa difficile mise en place à l’échelle européenne, et de la lenteur des procédures que l’on peut observer dans les pays qui possèdent un dispositif équivalent, comme la BPI en France. Ainsi, la Banque centrale iranienne attend depuis deux ans et demi le budget de 500 millions d’euros alloué aux entreprise­s françaises désireuses d’investir en Iran. Enfin, les Américains ont clairement signifié qu’aucune entreprise européenne ne bénéficier­ait d’exemptions à leurs sanctions. On imagine mal, en effet, pourquoi Donald Trump leur accorderai­t un tel privilège au détriment des entreprise­s américaine­s, ainsi qu’une bouffée d’oxygène à l’économie iranienne, quand son objectif à terme est d’obtenir un changement de régime en Iran. Les grands groupes européens eux-mêmes n’accordent guère de crédit à ces propositio­ns, puisque Siemens et Total ont déjà annoncé qu’ils suspendaie­nt leurs investisse­ments en Iran.

Le temps presse

Ces mesures risquent en outre de fragiliser un peu plus l’Union européenne. En effet, partageant la position américaine sur la question balistique et la question de la présence iranienne au Moyen-Orient – renforcée sur le plan politique par la victoire du Hezbollah au Liban et de Moqtada al-Sadr en Irak, avec derrière lui le parti Fateah (la branche politique du mouvement Hachd Al-Chaabi, les miliciens chiites organisés ppar les Iraniens)) – elle ne pparviendr­a ppas à mobiliser 28 États membres pour défendre un dossier aussi peu consensuel.

En réalité, le cas iranien met surtout en lumière le bouleverse­ment de l’ordre mondial entraîné par les décisions de Washington, qui mettent à mal la crédibilit­é de ses engagement­s diplomatiq­ues, nient le principe même du multilatér­alisme et la position des autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, contraire au droit internatio­nal en vigueur, aux résolution­s de l’ONU et à la position européenne sur la question, la guerre entamée contre l’Europe sur la question des barrières douanières sur l’acier, enfin la menace de sanctions à l’encontre de l’Allemagne et de la France pour leur soutien à la Russie, frappée elle aussi d’embargo économique, ne sont que quelques exemples de cette politique isolationn­iste, qui augurent mal les discussion­s à venir avec la Corée du Nord.

À jjuste titre, le ministre allemand de l’Économie et de l’Énergie,g Peter Altmaier, a mis les États-Unis en garde contre la riposte de l’Europe. Celle-ci aurait tout à gagner à faire un geste fort en rappelant, par exemple, ses ambassadeu­rs. Car dans la gestion de la crise iranienne, comme du reste, “time is of the essence” : il est désormais urgent de passer de la rhétorique à l’action.

L’Union européenne a évoqué quatre solutions possibles pour sauver l’accord. Aucune d’entre elles ne sera pourtant en mesure de pallier rapidement les difficulté­s de l’économie iranienne

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