Le Nouvel Économiste

L’Arabie saoudite, un pas en avant, deux pas en arrière

Le mythe du prince moderne et réformateu­r autour de Mohammad Bin Salman commence à s’ébranler

- ARDAVAN AMIR-ASLANI

Le mythe du prince moderne et réformateu­r autour de MBS commence à s’ébranler

Il semblerait que le mythe du prince moderne et réformateu­r que s’est constitué Mohammad Bin Salman, le jeune Prince héritier saoudien, à coups d’initiative­s médiatique­s, commence à s’ébranler. Alors que le monde a accueilli avec ferveur ses avancées démocratiq­ues majeures et l’accès à des libertés sociales que sont l’autorisati­on d’aller au cinéma et la conduite des femmes à compter du 24 juin prochain (sic!) l’Arabie saoudite vient de faire volte-face avec l’arrestatio­n de 14 Saoudienne­s militantes des droits des femmes. L’une d’entre elles, Loujain al-Hathloul, s’était même fait prendre en photo avec la nouvelle princesse britanniqu­e, Meghan Markle, lors d’un sommet dédié aux problèmes de la jeunesse. II est vrai qu’il ne suffit pas de se faire prendre en photo avec les fondateurs de Facebook et de Google dans la Silicon Valley pour être réellement perçu comme un parangon des libertés publiques. En effet, quand on passe au crible les cinq initiative­s de ce prince impétueux, le bilan contraste radicaleme­nt avec l’image véhiculée. Loin d’être un chantre de la modernité, il s’avère que les initiative­s du prince héritier saoudien sont toutes sources de chaos, avec des conséquenc­es réelles aussi bien au nouveau national que régional. En effet, la première de ces initiative­s, la guerre auYémen, qui fut baptisée “opération tempête décisive” et marqua le début d’une des opérations militaires les plus désastreus­es du MoyenOrien­t, est un cas d’école. La seule chose qui fut décisive dans cette opération fut le massacre des population­s civiles qui, de par les bombardeme­nts de l’aviation saoudienne, par amateurism­e ou pire, à dessein, ont entraîné plus de 40 000 morts civiles et déclenché la plus grande crise humanitair­e du moment avec des millions de Yéménites menacés par la famine et le choléra. L’armée saoudienne, principale­ment composée de mercenaire­s colombiens et serbes, n’a même pas réussi à pénétrer à l’intérieur des terres et se trouve à plus de mille kilomètres de la capitale Houthi. Cette opération a fini par unir le peuple yéménite dans une haine farouche contre Ryad et n’a pas réussi à restaurer Abdrabbo Mansour Hadi, le président légal faute d’être élu. La seconde fut le fameux projet Vision 2030 visant à réduire la dépendance de l’économie saoudienne dans le secteur minier des hydrocarbu­res. La pierre angulaire de cette vision est la mise sur le marché de 5 % du capital de la société nationale pétrolière Aramco. Or, après le refus des bourses New York et de Londres, ce projet d’appel public à l’épargne a également été décliné par les marchés asiatiques de Hong Kong et de Singapour. Il a été en effet difficile pour ces marchés de cautionner une cotation qui était loin d’apporter les garanties de transparen­ce requises. En troisième lieu, l’arrestatio­n de plus de quatre cents princes et anciens dignitaire­s du Royaume et leur enfermemen­t pendant des semaines dans la prison dorée que fut le Ritz Carlton de Ryad sous prétexte d’allégation de corruption, a fini par noircir définitive­ment l’image d’ouverture économique du pays. Cette affaire, qui ne fut rien d’autre qu’une opération d’extorsion de fonds, a mis un terme définitif au projet d’attirer des investisse­urs étrangers. Il n’est pas inutile de rappeler qu’une semaine avant la transforma­tion de cet hôtel de luxe en prison, des personnali­tés de la vie économique internatio­nale comme Bill Gates s’y était rendues pour une conférence visant à présenter l’Arabie saoudite comme un paradis pour les investisse­ments internatio­naux. L’affaire de l’exclusion du Qatar du Conseil de coopératio­n du Golfe, qui était censé contraindr­e cette petite pétromonar­chie à rentrer dans le rang, fut également une débâcle diplomatiq­ue et a produit l’effet inverse de celui recherché, à savoir l’arrêt de toute relation avec l’Iran. En effet, non seulement le Qatar ne s’est pas plié aux exigences saoudienne­s, mais il a de surcroît amélioré ses relations diplomatiq­ues avec l’Iran en l’élevant au rang des échanges d’ambassadeu­rs. Par ailleurs, le Qatar, principal financier des Frères musulmans, cette organisati­on paramaçonn­ique hiérarchis­ée, fut remis aux Iraniens qui maintenant disposentp d’un bras armé dans le monde sunnite. À travers cette affaire, l’Arabie saoudite a même réussi l’impossible: rapprocher l’Iran et la Turquie, qui combattaie­nt dans des camps opposés pendant de longues années en Syrie. C’était oublier que la Turquie était également dirigée par un frère musulman, Erdogan. Il en fut de même du Hamas, également dirigé par les Frères musulmans qui s’est vu octroyer un nouvel allié, l’Iran, faisant de ce pays un voisin compliqué d’Israël. Pour combler le tout, le kidnapping du Premier ministre libanais, ayant nécessité l’interventi­on du président français pour en obtenir la libération, finit par présenter le chef du Hezbollah comme un pilier de stabilité à Beyrouth. En Arabie saoudite, le peuple a tendance à comparer de plus en plus le prince héritier à Saddam. Un Saddam qui pendant les années soixante-dix symbolisai­t une démarche vers la modernité et qui après les années quatre-vingt finit par devenir un dictateur brutal et sanguinair­e. C’est cette deuxième image qui a davantage tendance à convenir à celui qui est appelé à devenir le prochain roi de l’Arabie saoudite.

“L’arrestatio­n de plus de quatre cents princes qui ne fut rien d’autre qu’une opération d’extorsion de fonds a mis un terme définitif au projet d’attirer des investisse­urs étrangers”

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