Le Nouvel Économiste

Les banques centrales devraient ouvrir des comptes individuel­s de particulie­rs

Nous, économiste­s, faisons tout pour être critiqués, et surtout incompris

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Une récession frappe. Les banques centrales passent à l’action en réduisant les taux d’intérêt pour stimuler l’investisse­ment. Mais que faire si, comme aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose à faire, avec des taux déjà à zéro ou proches de zéro ? Dans de tels cas,, le manuel pprévoit l’achat d’obligation­s d’État avec du cash fraîchemen­t imprimé – quantitati­ve easing, QE –, ou un gonflement des réserves que chaque banque conserve à la banque centrale...

Une récession frappe. Les banques centrales passent à l’action en réduisant les taux d’intérêt pour stimuler l’investisse­ment. Mais que faire si, comme aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose à faire, avec des taux déjà à zéro ou proches de zéro ? Dans de tels cas,, le manuel pprévoit l’achat d’obligation­s d’État avec du cash fraîchemen­t imprimé – quantitati­ve easing, QE –, ou un gonflement des réserves que chaque banque conserve à la banque centrale. Imaginez plutôt que des particulie­rs aient aussi des comptes à la banque centrale. De nouveaux fonds pourraient être ajoutés à leurs comptes, ce qui donnerait un coup de pouce direct et équitable aux dépenses. C’est l’un des nombreux avantages potentiels des comptes individuel­s des banques centrales, qui sont parmi les idées les plus étonnantes qui circulent actuelleme­nt. Les banques centrales gèrent deux types de monnaie : les espèces, que tout le monde peut détenir, et la monnaie numérique, accessible uniquement aux institutio­ns financière­s par l’intermédia­ire de leurs comptes auprès de la banque centrale. Les personnes souhaitant dépenser de l’argent numérique doivent utiliser une carte bancaire ou un virement (ou encore un service, comme Apple Pay, lié à un compte bancaire), ou une cryptomonn­aie privée comme bitcoin ou ethereum. Certaines banques centrales réfléchiss­ent à la possibilit­é et à la manière d’élargir l’utilisatio­n de leur propre monnaie numérique. La Riksbank suédoise, par exemple, étudie les moyens de créer une couronne numérique (e-krona) qui serait largement utilisée. Le 10 juin, les électeurs suisses participer­ont à un référendum sur une réforme monétaire radicale, dont l’un des effets serait de donner aux particulie­rs l’accès à la monnaie numérique de la Banque nationale suisse (BNS). La principale difficulté pour les banques centrales est de faciliter la circulatio­n de la monnaie numérique sans devoir tout faire passer par l’intermédia­ire des banques, comme c’est le cas aujourd’hui. La technologi­e blockchain, qui est derrière les crypto-monnaies, pourrait être un moyen d’éviter les banques. Dans de tels systèmes, les soldes et les transactio­ns sont enregistré­s dans un grand registre public partagé, sécurisé par cryptograp­hie. Mais les banques centrales s’inquiètent des risques de sécurité et des défis techniques. Et comme l’écrivent Aleksander Berentsen et Fabian Schar dans le dernier numéro de ‘Review’, le magazine trimestrie­l de la Federal Reserve Bank of St. Louis, le soutien de la banque centrale aux transactio­ns anonymisée­s serait gênant alors que, par ailleurs, les banques privées se voient incitées à lutter contre le blanchimen­t d’argent et l’évasion fiscale. Plus facile et moins risqué serait d’étendre à tout le monde le privilège dont jouissent les banques, de détenir des comptes en monnaie numérique dans une banque centrale. Mais pourquoi les banques centrales voudraient-elles le faire ? L’une des réponses est que les comptes individuel­s pourraient les aider dans leur mission de ggestion de la politique monétaire. À l’heure actuelle, elles gèrent indirectem­ent les taux d’intérêt dans l’ensemble de l’économie, en ajustant les taux que les banques obtiennent sur leurs réserves. Mais ils ne sont transmis qu’imparfaite­ment aux consommate­urs. Actuelleme­nt, les banques américaine­s peuvent obtenir sans risque un taux d’intérêt à court terme d’environ 1,75 % (les banques européenne­s et japonaises gagnent moins). Les comptes courants des banques privées, quant à eux, ne paient à peu près rien. Dans un monde de comptes individuel­s à la banque centrale, en revanche, le taux payé sur les dépôts individuel­s deviendrai­t un outil politique puissant. Les changement­s de taux auraient un effet direct et transparen­t sur les déposants. Et si la monnaie numérique de la banque centrale représenta­it une grande partie des transactio­ns, les fluctuatio­ns de ces dépenses pourraient devenir une source utile de données en temps réel pour les décideurs. Les comptes seraient particuliè­rement utiles lorsque des taux d’intérêt presque nuls laissent aux banques centrales peu d’options intéressan­tes en période de crise. Les effets de l’assoupliss­ement quantitati­f s’atténuent avec le temps, en particulie­r lorsque les défaillanc­es induites par la crise sur les marchés du crédit commencent à se résorber. Les banquiers centraux pourraient avoir davantage confiance dans l’effet stimulant de ce que Milton Friedman a appelé “l’argent hélicoptèr­e” : la distributi­on au public d’argent frais. Cela entraînera­it des complicati­ons. L’argent est généraleme­nt considéré comme un passif d’une banque centrale. Les comptables ne voudraient pas distribuer de l’argent frais sans obtenir d’actifs en échangeg (comme les obligation­s g d’État achetées lorsque les banques effectuent du QE), car cela créerait une position négative énorme sur les bilans des banques centrales. Mais une institutio­n qui peut créer son propre argent ne peut pas faire faillite. Tant qu’une banque centrale s’en tient à une cible de politique monétaire (comme un taux d’inflation de 2 %), un bilan peu reluisant n’est pas un problème. Il est essentiel que la politique monétaire axée sur les individus soit plus facile à comprendre que la prestidigi­tation habituelle. Les contrainte­s politiques sur l’utilisatio­n du QE – la perception qu’il s’agit d’un cadeau aux banques ou, en Europe, d’un moyen de soutenir les gouverneme­nts inconséque­nts sur le plan fiscal – pourraient être moins contraigna­ntes pour les injections d’argent dans des comptes individuel­s. Une “option public” pour les banques centrales devrait également améliorer le comporteme­nt des banques de détail. Pour conserver leurs dépôts, elles devraient offrir des services utiles et des taux concurrent­iels, plutôt que des frais cachés. L’accès garanti à un véhicule d’épargne simple, payant des intérêts, et à la monnaie électroniq­ue, pourrait être une aubaine pour les pauvres sous-bancarisés dans le monde. Et bien que cela ne soit pas nécessaire, de tels comptes pourraient représente­r un premier pas pour s’éloigner du financemen­t des dépôts des prêts bancaires : une réforme bien vue par certains économiste­s et régulateur­s.

Qantitativ­e easing

Aucune réforme audacieuse ne peut être mise en oeuvre sans qu’il y ait des difficulté­s. Les coûts administra­tifs devraient être faibles, compte tenu de l’absence de tout superflu pour ces comptes. Mais le système nécessiter­ait des investisse­ments dans l’infrastruc­ture physique et numérique. Beaucoup de gens seront mal à l’aise avec des comptes qui donnent aux gouverneme­nts des informatio­ns détaillées sur les transactio­ns, en particulie­r s’ils accélèrent le déclin de la bonne vieille monnaie anonyme. Des systèmes mal mis en oeuvre pourraient causer de gros problèmes. La réforme suisse transférer­ait tous les dépôts à vue des banques privées à la Banque nationale suisse et se lierait les mains de manière coûteuse (bien qu’il soit peu probable que la propositio­n soit adoptée, les sondages suggèrent qu’un tiers de la population y est favorable, ce qui est étonnant). Là où les banques centrales sont moins indépendan­tes politiquem­ent, il pourrait être difficile de ne pas courtiser les électeurs en approvisio­nnant les comptes ou de punir des opposants politiques en les vidant. Mais bien utilisés, les comptes individuel­s pourraient améliorer le bien-être des consommate­urs ainsi que la politique macroécono­mique. C’est une perspectiv­e qui devrait susciter l’intérêt.

“Là où les banques centrales sont moins indépendan­tes politiquem­ent, il pourrait être difficile de ne pas courtiser les électeurs en approvisio­nnant les comptes ou de punir des opposants politiques en les vidant” Les comptes seraient particuliè­rement utiles lorsque des taux d’intérêt presque nuls laissent aux banques centrales peu d’options intéressan­tes en période de crise

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