Le Nouvel Économiste

FRANCOIS ASSELIN, A VOIX HAUTE

président de la CPME, Confédérat­ion des PME

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL LAMY

François Asselin jette ici un regard tout en nuances sur une année de réformes Macron. Après le salut à la fanfare des ordonnance­s travail, il détecte quelques hésitation­s – c’est le syndrome du “ventre mou” – dans les chantiers en cours. “L’atterrissa­ge est un peu moins clair qqu’on ne le disait”, explique-pqt-il. À l’aune du chef d’entreprise, il s’interroge sur le bon fléchage des fonds de la formation, il interpelle la société tout entière sur le sens de l’apprentiss­age, il refuse de prendre en charge dans l’assurance chômage la ppartie solidarité nationale décrétée ppar l’État. Il n’hésite ppas à rappelerpp au sommet de l’État le rôle indispensa­ble des corps intermédia­ires dans une bonne conduite des réformes. Mais le président de la CPME, qui s’apprête à fêter la créativité entreprene­uriale à l’occasion du rendez-vous “PME ! by CPME” du 12 juin, reste sur l’idée d’un bilan globalemen­t positif. Ce qui le pousse à attendre de la future loi Pacte le coup d’envoi d’un deuxième élan réformateu­r.

Quel est le regard des PME une année après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République ? Il y a d’abord eu un acte fort avec les ordonnance­s travail. La CPME avait deux revendicat­ions, sécuriser la rupture des contrats de travail et pouvoir, en l’absence de syndicats, négocier et signer

un accord avec ses salariés.

Ordonnance­s travail : on a été entendu

Eh bien on a été parfaiteme­nt entendu ! Tout le monde se disait que ça allait être très compliqué alors que tout s’est passé sans trop de heurts entre partenaire­s sociaux. Aujourd’hui, je pense que les entreprise­s s’approprien­t le fruit des ordonnance­s. Cela prendra du temps. Les différents comités commencent à se déployer. Par ailleurs, sur la partie sécurisati­on de la rupture du contrat de travail, chacun a pu déjà “mesurer” les bienfaits de la possibilit­é d’éviter des procédures longues et parfois extrêmemen­t coûteuses. Certes, il sera toujours difficile de mettre un chiffre précis d’emplois derrière tout ça. En tout cas, les chefs d’entreprise sont ainsi constitués que si on ne sait pas comment réduire la voilure, on évite de la déployer. Aujourd’hui, les chefs d’entreprise sont moins frileux pour embaucher. Et surtout, beaucoup de CDD se retrouvent en CDI.

Formation : la crainte de perdre le fléchage

Les réformes s’additionne­nt les unes derrière les autres à un rythme effréné. Formation profession­nelle, apprentiss­age, assurance chômage… Ce n’est pas pour nous déplaire. Le pays a un réel besoin de changement ! Tout a été annoncé avec tambours et trompettes en proclamant que rien n’allait s’arrêter. Pour autant, on se retrouve dans une sorte de ventre mou. On sent qu’au coeur des réformes actuelles, l’atterrissa­ge est un peu moins clair qu’on ne le disait. Sur la formation profession­nelle et l’apprentiss­age, on reproche souvent aux partenaire­s sociaux d’être lents et parfois peu efficaces. En l’occurrence, ils ont été plutôt rapides et efficaces parce qu’il y a eu un accord. Malgré tout, le gouverneme­nt a repris la main en disant “on va faire le big bang”. Or on a l’impression que tout se perd dans les méandres du parcours parlementa­ire. On ne sait pas trop où le gouverneme­nt veut nous emmener. N’oublions pas que pour tout ce qui concerne le financemen­t de la formation ou de l’apprentiss­age, l’argent vient des entreprise­s. Ce n’est ni l’argent de l’État, ni celui des régions. Aussi avons-nous demandé aux pouvoirs publics de remettre l’entreprise au coeur du dispositif. Ce que nous avons obtenu. De ce point de vue, on est plutôt rassurés. Encore faut- il que tout le reste fonctionne. Il faut un schéma efficace. Il faut que l’investisse­ment ou le financemen­t, que ce soit sur la formation profession­nelle continue ou l’apprentiss­age, aille au bon endroit de la manière la plus transparen­te. Là, chacun se cherche. Il y a l’idée d’avoir un collecteur unique qui serait l’Urssaf. C’est un organisme qui en effet sait collecter, mais qui sait bien moins distribuer – ce qui est relativeme­nt complexe. Le gouverneme­nt veut créer des opérateurs de compétence avec “France- compétence” à la barre. Personne ne voit très bien quels seront sa gouvernanc­e et ses objectifs. La crainte est de perdre dans un dédale le fléchage des fonds. Iront- ils à l’endroit où l’on en a vraiment besoin ? D’autant que pour la formation profession­nelle, il y a des chômeurs mais aussi les salariés des entreprise­s. Au sein de ces entreprise­s, la mutualisat­ion est absolument nécessaire. Compte tenu des enjeux, notamment celui de la transition numérique, est-ce que les petites entreprise­s auront les moyens d’y répondre ? Encore une fois, ce n’est pas clair. Certes, la ministre du Travail se veut rassurante, mais on attend la feuille de route sur la sanctuaris­ation du fléchage des fonds.

Apprentiss­age : la bataille de l’orientatio­n

L’apprentiss­age, c’est dans l’ADN des TPE et des PME. Sans nous il n’y aurait pas d’apprentis ! Ce qu’on constate c’est qu’au

niveau supérieur – après le bac général – l’apprentiss­age se porte plutôt pas mal. Par contre après le CAP et le bac profession­nel, les chiffres s’érodent. Il faut y remédier. Parce que les besoins sont là. Il y a la reprise ! À Montauban comme à Aurillac, où j’étais récemment, à chaque fois j’entends “nous ne trouvons pas les compétence­s”. On aura beau imaginer des “tuyauterie­s magnifique­s”, si en amont il n’y a pas l’orientatio­n, il n’y aura personne à faire circuler dans les tuyaux ! Ce qui veut dire que le partenaire incontourn­able autour de cette réforme, c’est l’Éducation nationale. Vous avez d’un côté des secteurs d’activité qui sont en recherche de compétence­s et de l’autre côté, vous avez des jeunes qui sont orientés par l’Éducation nationale vers d’autres secteurs de filières profession­nelles. C’est aussi la responsabi­lité de la société en général ! Si un jeune de terminale dit “je voudrais faire telle filière profession­nelle” – et qu’il a du potentiel –, il risque d’effrayer peut- être ses parents, mais encore plus le corps professora­l. Tout le monde est certes convaincu qu’il y a des débouchés vers les filières profession­nelles, sauf que ce type de parcours angoisse. Plus d’un candidat va se demander comment obtenir un haut niveau de qualificat­ion si on commence par un CAP. Alors qu’en Allemagne ou en Suisse, un tel choix n’est pas discrimina­nt pour la suite. Dans ces pays, un “CAP” peut poursuivre dans le champ académique et arriver au niveau doctorat. Dans le cas de la France, la solution efficace est bien de replacer les entreprise­s au centre du processus et de les laisser livrer la bataille de l’orientatio­n.

Assurance chômage : la mise en garde

L’assurance chômage est un sujet assez révélateur de la façon dont aujourd’hui, le gouverneme­nt considère certains dossiers par rapport aux corps intermédia­ires et à travers eux les partenaire­s sociaux. Le candidat Macron avait annoncé la couleur en voulant élargir le champ assurantie­l à la solidarité nationale à travers la couverture des indépendan­ts et des démissionn­aires. Il n’y a pas de surprise. En revanche, nous, partenaire­s sociaux, ça doit nous faire réagir. Quelle est notre place au sein d’un système où l’on peut siéger mais où l’on ne peut pas décider ? De fait, il est demandé d’équilibrer à terme un régime dans lequel l’État peut décider à tout moment de financer des éléments de solidarité. C’est un choix politique à partir duquel il va falloir se déterminer. Par le passé on était déjà, c’est vrai, sur une gouvernanc­e hybride. Cette fois- ci, on va beaucoup plus loin en considéran­t que le système assurantie­l participe aussi à la solidarité nationale. À partir de ce moment, notre position devient différente. Il ne s’agit plus simplement de se mettre d’accord sur le montant de la dette, de savoir qui la prend en charge, pendant combien de temps, de calculer la reprise des charges indues et… de se débrouille­r pour équilibrer la machine. C’est un schéma qui aurait mis les partenaire­s sociaux en responsabi­lité, tel qu’il existe pour la gestion des retraites complément­aires. Dans ce modèle de gouvernanc­e, il faut bien se mettre d’accord puisque le recours à l’emprunt est interdit. Aussi, si la CPME reconnaît la co-responsabi­lité pour la gestion de la dette de l’assurance chômage – qui fait quoi et pendant combien de temps, combien à la charge de l’État et des partenaire­s sociaux –, elle considère qu’il n’y a pas à financer à la place de l’État ses choix de solidarité. Cette distance avec les corps intermédia­ires oublie quelque chose de très important. Une démocratie moderne ne fonctionne pas sans corps intermédia­ire mis en situation de responsabi­lité. C’est ce qui permet d’avancer sur des réformes parfois difficiles en évitant qu’elles deviennent un brûlot pour l’ensemble de la société.

Vigilance sur le projet retraite

Il est exact en revanche qu’à ce stade, nous sommes associés au projet de réforme des retraites. Aujourd’hui, vous avez 37 régimes différents – où les corps intermédia­ires sont présents dans beaucoup d’entre eux. L’objectif est de faire tout converger, quel que soit le statut, vers un régime universel. C’est une forme d’égalité de traitement. Que l’on traite tous les régimes spéciaux à travers ce prisme, nous le voyons d’un oeil positif. Vouloir tout mettre au clair, c’est courageux. Mais comment cela va-t-il se passer ? Vous avez des régimes excédentai­res, si ceux-là viennent “financer” les déficitair­es, ça va coincer. Il faudra de la vigilance pour cette réforme utile au pays.

Prélèvemen­t à la source : des tracas supplément­aires

Avec le prélèvemen­t à la source (PAS) l’objectif est d’adapter la situation fiscale à celle du jour. Il y a dans cette réforme un volet qui incombe aux chefs d’entreprise puisque c’est à eux de prélever l’impôt. On devient percepteur ! Je rappelle que Bercy avait prévu des mesures coercitive­s. C’est une vraie victoire de la CPME que d’avoir obtenu la suppressio­n de cette incriminat­ion spécifique. Il reste que le travail, il faudra bien le faire. Nous sommes légalistes. C’est une charge supplément­aire. S’il y a un problème sur une fiche de paie d’un salarié, on ne dira pas “appelez le numéro vert” ! On essaiera de l’accompagne­r dans les méandres administra­tifs. Ce temps-là est “volé” à l’entreprise. Il faudra l’assumer. La modificati­on du logiciel de paie devra être financée. Ce sont des tracas supplément­aires. Dans nos petites entreprise­s, cela peut aussi devenir délicat compte tenu du rapport des Français à l’argent.

Union européenne : faites le test “PME”

Notre vision de l’Europe ? Dans le maelström planétaire, on se sent “à l’abri” de l’Europe par rapport aux blocs asiatique ou américain. Dans le monde globalisan­t, il faut savoir se regrouper pour défendre nos positions. Du point de vue des entreprise­s, soit l’Europe en fait trop, soit elle n’en fait pas assez. C’était le cas pour le travail détaché. Aujourd’hui il y a une prise de conscience importante, mais pendant des années, on a assisté à du dumping social interne à l’Union européenne. Le versant “trop” est illustré par la directive RGPD (Règlement général de protection des données). On comprend l’intérêt pour le citoyen de récupérer ses données, mais l’outil employé est décalé par rapport à la réalité d’une PME. L’UE est un peu trop “techno”. C’est pourquoi la CPME mène au niveau des instances européenne­s un lobbying très important pour leur dire “pensez que ce à quoi vous réfléchiss­ez peut être très mal vécu dans une PME parce que vous voyez tout cela de trop loin”. La solution est tout simplement de mettre en place des tests PME pour voir comment ça fonctionne.

Loi Pacte : on attend le deuxième élan

Où en est-on avec la future loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transforma­tion des entreprise­s) ? La suppressio­n du forfait social était une propositio­n de la CPME lors de la présidenti­elle. On ne peut que s’en féliciter. C’était près de 30 % de prélèvemen­t sur l’intéressem­ent collectif, autant dire que c’était à peine plus intéressan­t pour le salarié que des primes directes. Au final, un patron est toujours content de pouvoir motiver son équipe. En ce qui concerne l’objet social de l’entreprise, il nous semble très positif d’avoir mis cette question dans le débat public. Inscrire une entreprise dans la réalité est une bonne démarche. La CPME a signé une déclaratio­n sociale concernant la RSE (Responsabi­lité sociale et environnem­entale) pour toutes les entreprise­s de moins de 500 salariés. Néanmoins, on est plutôt réservés à l’idée que la transforma­tion de l’objet social dans le Code civil puisse changer les pratiques. Il peut y avoir à terme un problème d’exposition juridique. Ce n’est pas le statut qui fait la vertu. Vous avez des entreprise­s de l’économie sociale et solidaire où le dialogue social n’est pas très bon, vous avez des SA où le dialogue social est remarquabl­e. Dans ce domaine il faut surtout inciter et… récompense­r. Pourquoi ne pas enlever des contrainte­s administra­tives à une entreprise qui demain serait labellisée RSE ? Puisque “naturellem­ent”, elle travaille à ce qu’on lui demande. Mais attention, comme je vous l’ai dit, au syndrome du ventre mou. Si en début d’année, un élan réformateu­r et pragmatiqu­e imprimait les réformes, là on patauge un petit peu. On aimerait se dire qu’avec la loi Pacte, on attend le deuxième élan.

“Attention au syndrome du “ventre mou”. Si en début d’année, un élan réformateu­r et pragmatiqu­e imprimait les réformes, là on patauge un petit peu. On aimerait se dire qu’avec la loi Pacte, on attend le deuxième élan”

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