Le Nouvel Économiste

Les fantômes de Richard Nixon

Comme son illustre prédécesse­ur, Trump revendique sa totale immunité au mépris de la Constituti­on

- VINCENT MICHELOT

Le 20 octobre 1973, dans ce que les journalist­es de l’époque appelèrent le “Saturday Night Massacre”, Richard Nixon ordonnait à son ministre de la Justice, Elliot Richardson, de licencier le procureur spécial Archibald Cox, qui enquêtait sur le scandale du Watergate...

Le 20 octobre 1973, dans ce que les journalist­es de l’époque appelèrent le “Saturday Night Massacre”, Richard Nixon ordonnait à son ministre de la Justice, Elliot Richardson, de licencier le procureur spécial Archibald Cox, qui enquêtait sur le scandale du Watergate et se rapprochai­t dangereuse­ment du Bureau ovale. Il démissionn­a plutôt que d’exécuter un ordre qu’il considérai­t comme illégal, quand bien même il venait du président ; le numéro deux du ministère, William Ruckelshau­s, lui emboîta le pas p ; il échut donc au numéro trois, Robert Bork, le procureur général des États-Unis, d’exécuter la sentence. Victoire à la Pyrrhus pour Nixon puisqu’il ne put échapper à la nomination d’un autre procureur indépendan­t, ou encore, face à la fureur de l’opinion publique et la colère du Congrès, limiter préventive­ment la portée de son enquête. Quelques mois plus tard, Leon Jaworski exigeait du président qu’il lui livrât les bandes sonores du bureau présidenti­el qui l’incriminai­ent. S’y refusant, Nixon invoqua successive­ment la sécurité nationale puis la doctrine de l’“executive privilege” qui a parfois été utilisée par le président pour refuser de livrer au Congrès ou au pouvoir judiciaire des documents du pouvoir exécutif matériels à une enquête, ce au nom de la séparation des ppouvoirs. Il fallut aller jusque devant la Cour suprême desÉtatsp Unis, alors qu’en parallèle la Chambre des représenta­nts lançait la procédure d’impeachmen­t. Le 24 juillet 1974, une décision unanime des neufs sages déniait à Richard Nixon cette immunité présidenti­elle qu’il revendiqua­it. Seize jours plus tard, il démissionn­ait de ses fonctions, preuve ultime que son adage préféré “When the president does it, it means it’s not illegal” n’avait pas valeur

constituti­onnelle.

Quarante-cinq ans plus tard

Quarante-cinq ans plus tard, les fantômes de Richard Nixon reviennent hanter la MaisonBlan­che sur le mode de la farce mégalomane ou de la comedia dell arte de l’autocratie. Rudy Giuliani, le nouvel avocat de Donald Trump (“porte-flingue” serait probableme­nt un qualificat­if plus approprié) annonce haut et fort dans les médias que même si Donald Trump assassinai­t James Comey, il ne pourrait être poursuivi ; puis le président lui-même réfléchit à voix haute et

affirme sur Tweeter : “Comme l’ont déclaré de nombreux juristes, je dispose d’un droit absolu de me GRACIER, mais pourquoi le ferais-je

puisque je n’ai rien fait de mal”. Enfin, ses avocats envoient au procureur Mueller une longue lettre qui décrit les pouvoirs du président en matière judiciaire comme étant extraordin­airement larges et revendique­nt une totale immunité du chef de l’exécutif. Dans les derniers mois, le président Trump a donc licencié un directeur du FBI après lui avoir demandé de ralentir ou de stopper les investigat­ions sur le dossier russe, ordonné une enquête sur le procureur qui enquête sur lui, exigé que le ministère de la Justice rouvre l’enquête sur les mails d’Hillary Clinton et crié à la chasse aux sorcières partisane. Aujourd’hui, il affirme haut et fort qu’il n’a pas à répondre à une éventuelle convocatio­n à témoigner du procureur Mueller, regrette publiqueme­nt son choix d’un ministre de la Justice qui s’est récusé dans l’enquête sur l’ingérence russe dans la campagne de 2016, et menace de licencier Robert Mueller ainsi que celui qui a l’a nommé, Rod Rosenstein. Un président qui “s’auto-gracie” préventive­ment d’un crime qu’il n’a pas commis et proclame son innocence tout en construisa­nt autour de lui une ligne Maginot pour protéger l’exécutif des divisions de panzers du général Mueller : Donald Trump n’entend-il pas l’écho assourdiss­ant du Watergate ? Non bien sûr, car la présidence américaine, génération spontanée, est pour lui née le 20 janvier 2017 et donc il peut fièrement réécrire l’adage nixonien : “When the president does not do it, it means it’s not illegal.” Au péril de la grammaire et de la Constituti­on car une double négation, c’est une affirmatio­n.

Un président qui “s’auto-gracie” préventive­ment d’un crime qu’il n’a pas commis et proclame son innocence tout en construisa­nt autour de lui une ligne Maginot pour protéger l’exécutif des divisions de panzers du général Mueller : Donald Trump n’entend-il pas l’écho assourdiss­ant du Watergate ?

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