Le Nouvel Économiste

Turquie, pourquoi des élections anticipées ?

D’un point de vue pratique, Erdogan ne présidera plus, il régnera en monarque absolu, ou plutôt comme un sultan ottoman

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

D’un point de vue pratique, Erdogan ne présidera plus, il régnera en monarque absolu, ou plutôt comme un sultan ottoman

Alors qu’il lui reste encore un an et demi avant la fin de son mandat et qu’il dispose d’une majorité absolue au parlement, le président turc a quand même cru bon de céder aux sirènes et d’organiser des élections anticipées, aussi bien présidenti­elles que parlementa­ires, le 24 juin prochain. Certes, l’économie turque affiche une forme exemplaire, voire insolente, en comparaiso­n avec l’économie française, avec presque 8 % de croissance enregistré­e l’an dernier, et ce en dépit d’un taux d’inflation important et d’une dévaluatio­n de sa monnaie par rapport aux grandes devises internatio­nales. Mais est-ce là la raison de l’opportunit­é que s’offre ainsi Erdogan de voir son pouvoir de facto étendu jusqu’en 2029 ? Il est vrai, par ailleurs, qu’Erdogan continue de jouir d’une popularité certaine même si elle semble être en baisse, ainsi que l’ont démontré les résultats relativeme­nt décevants des dernières élections du mois d’avril 2017. Mais la raison derrière la tenue de ces élections anticipées n’est pas simplement de profiter d’une ambiance électorale qui lui soit favorable afin de prolonger son pouvoir de dix années supplément­aires. En effet, le président turc a une autre idée en tête. Celle d’acter au plus vite des nouveaux pouvoirs que la réforme constituti­onnelle lui a octroyés en 2017. Il souhaite, une fois pour toutes, détenir la totalité des pouvoirs institutio­nnels. En effet, la fonction présidenti­elle turque sera l’une des plus puissantes du G20, regroupant entre les mains d’une seule personne la plupart des attributs des pouvoirs exécutifs, judiciaire­s et pparlement­aires. À l’issue des élections à venir, pour le cas où il les remportera­it – ce qui ne fait guère de doute –, Erdogan sera seul à la tête de l’exécutif puisque la fonction de Premier ministre n’existera plus. Face à un Parlement aux ordres, il pourra gouverner par décret de l’exécutif sans vote ni débats au Parlement. Il pourra également, et ce définitive­ment, modeler le pouvoir judiciaire, longtemps honni par son parti, l’AKP, comme une bête noire à la solde de l’islamiste salafiste Fetulah Gulen, réfugié en Pennsylvan­ie, en désignant et en démettant non seulement la totalité des hauts fonctionna­ires, mais également les membres du Conseil supérieur de la magistratu­re en charge de la désignatio­n des juges. En fait, d’un point de vue pratique, Erdogan ne présidera plus, il régnera en monarque absolu ou plutôt comme un sultan ottoman !

“Sultan Erdogan”

C’est peut-être là son but ultime. Il a clairement abandonné la démarche vers l’Ouest et l’adhésion européenne. Avec une politique étrangère de plus en plus assertive, il prononce de plus en plus d’intentions impérialis­tes. Maître du jeu de la manipulati­on, il a profité de l’aveuglemen­t des Saoudiens envers l’Iran et de la quasi-expulsion du Qatar du Conseil de Coopératio­n du Golfe, pour y stationner aujourd’hui une petite armée de 5 000 hommes, une forte hausse par rapport à la centaine qui y était stationnée au préalable. Pareilleme­nt, ses aventures militaires en Syrie et en Irak avec le soutien des Iraniens et de leurs alliés, ont mis un terme définitif tant à l’indépendan­ce des Kurdes du Rojava en Syrie qu’à la volonté d’indépendan­ce exprimée par référendum des Kurdes d’Erbil en Irak. Enfin, son discours du mois de mai dernier à Sarajevo ne laisse aucun doute sur ses visées pan-turques puisque sous la clameur de “Sultan Erdogan” chantée par une foule en liesse, il a appelé les Turcs à s’engager politiquem­ent en Occident dans l’intérêt de la Turquie. Rappelons que les 3,5 millions de Turcs en Europe sont traditionn­ellement favorables au parti du président turc issu des Frères Musulmans. Le monde vu d’Istanbul – car Ankara, associée au kémalisme, est affaiblie – est de moins en moins européen et davantage néo-ottoman. Les films financés avec l’argentg ppublic et diffusés sur les chaînes d’État vantent la gloire passée de l’Empire ottoman avec des rappels systématiq­ues de ce que fut territoria­lement naguère cet Empire, englobant une grande partie de l’Europe orientale dont la Bosnie, la Bulgarie et la Roumanie. Il ne manque plus qu’Erdogan revendique pour la Turquie, le rôle religieux que la Sublime-Porte exerçait avant l’éclatement de l’Empire ottoman, c’est-à-dire le leadership du monde musulman sunnite. En effet, le sultan ottoman cumulait son titre séculier avec celui de khalife du monde sunnite. C’est ce que craignent les Saoudiens : l’émergence d’un nouvel empire turc, juste derrière la peur de l’Iran ! L’ avenir, proche, tranchera. Le temps des empires semble être de retour…

Le président turc a une idée en tête : celle d’acter au plus vite des nouveaux pouvoirs que la réforme constituti­onnelle lui a octroyés en 2017. Il souhaite, une fois pour toutes, détenir la totalité des pouvoirs institutio­nnels

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