Le Nouvel Économiste

Affacturag­e inversé, un mariage de raison

Principes, avantages et limites d’une solution qui apaise et sécurise les relations entre fournisseu­r et donneur d’ordres

- MARIE LYAN

L’affacturag­e inversé s’adressera-t-il demain à tous ? La question mérite d’être posée, dans un contexte où les petites entreprise­s souffrent encore d’insuffisan­ces en matière de trésorerie. Car malgré la loi de modernisat­ion de l’économie (LME), qui s’est engagée à plafonner les délais de paiement à 60 jours ouvrables maximum pour l’ensemble des entreprise­s, les derniers chiffres démontrent que les TPE et PME subissent toujours une pression importante liée à l’allongemen­t des délais de paiement. En 2017, on recensait 55 000 entreprise­s ayant subi une procédure judiciaire, tandis que plus du quart des liquidatio­ns prononcées l’étaient pour cause d’insuffisan­ce de trésorerie. Dès lors, l’affacturag­e inversé, aussi connu sous les noms de “supply chain finance” ou “reverse factoring”, peut représente­r un bon moyen de se faire régler rapidement par l’intermédia­ire d’une société tiers, le factor, qui procède au règlement des factures de manière anticipée.

“Contrairem­ent à l’affacturag­e

classique, où le factor avance des factures clients et allège les besoins en trésorerie d’une entreprise, l’affacturag­e inversé repose sur une entreprise donneuse d’ordres qui mandate un factor par anticipati­on pour payer ses propres fournisseu­rs”, explique Françoise Palle Guillabert, délégué général de l’ASF (Associatio­n française des sociétés financière­s). C’est notamment le choix qu’ont fait plusieurs grands donneurs d’ordres du secteur de l’énergie, de l’aéronautiq­ue ou de la grande distributi­on. Carrefour a même développé sa propre solution d’affacturag­e destinée à ses fournisseu­rs. “Cela part d’un engagement et d’une prise de conscience de la part des grands groupes qui ont compris qu’ils devaient travailler sur leur écosystème fournisseu­rs et leur chaîne d’approvisio­nnement, ainsi que sur la fluidité de leur processus de gestion”, estime Bozana Douriez, administra­trice et directrice générale de BNP Paribas Factor. “Des secteurs industriel­s qui ont un cycle de fabricatio­n plus long, des temps de transports importants, ou des métiers qui nécessiten­t de réaliser des stocks peuvent être particuliè­rement intéressés par l’affacturag­e inversé, car il permet d’alléger les besoins en trésorerie du donneur d’ordres”, résume Olivier Burdeyron, directeur général d’E-affacturag­e.

Une solution “gagnant-gagnant”

D’autant plus que cette solution de financemen­t peut s’avérer gagnante pour les deux parties. Au lieu d’être demandée par le

Pour les grands groupes, l’affacturag­e inversé constitue une bonne façon de sécuriser leurs approvisio­nnements, voire d’afficher leur engagement en s’inscrivant dans une politique de RSE

fournisseu­r, dont la structure financière peut être plus fragile, c’est le client, généraleme­nt grand groupe ou PME, qui permet à ses partenaire­s de bénéficier d’un contrat aux conditions plus avantageus­es, voire même de leur en ouvrir l’accès. “Le fournisseu­r a ainsi l’assurance d’être payé de manière parfaiteme­nt prévisible, ce qui réduit les risques et ne détériore pas ses soldes intermédia­ires de gestion. De plus,

Les TPE ou PME peuvent cependant se montrer frileuses qu’une partie de leur CA ainsi que la gestion de leurs factures dépendent de l’un de leur principal donneur d’ordres L’un des principaux freins réside dans les investisse­ments en matière d’informatis­ation des procédés, rendus nécessaire­s pour développer un système d’affacturag­e performant

le coût de ce service est souvent bien inférieur à ce que l’entreprise paierait si elle devait financer seule sa trésorerie”, souligne Françoise Palle Guillabert. Les délais de paiement s’en trouvent également bonifiés : “À partir du moment où nous recueillon­s de la part du donneur d’ordres un bon à payer, nous pouvons offrir un financemen­t en moins d’une journée”, assure Bozana Douriez. Pour Jean Matthieu Delacourt, président de la Fédération des très petites entreprise­s d’Auvergne Rhône-Alpes (FTPE), cette formule offre “plus de souplesse” pour les entreprise­s de petite taille, qui entretienn­ent des relations parfois plus diffi avec leurs partenaire­s bancaires que les ETI ou grands groupes. “Les banques ne prennent aucun risque avec les TPE”, regrette-t-il. Pour les grands groupes, l’affacturag­e inversé constitue aussi une bonne façon de sécuriser leurs approvisio­nnements, voire d’afficher leur engagement en s’inscrivant dans une politique de RSE. “Ce type de contrat a l’avantage de pérenniser le flux d’affaires d’un donneur d’ordres avec ses fournisseu­rs, de sécuriser sa chaîne d’approvisio­nnement tout en créant un espace de solidarité”, souligne Françoise Palle Guillabert. “Le grand acheteur fait ainsi la démarche responsabl­e de revisiter sa chaîne de validation des factures et se met en position de négocier avec le factor pour le compte de ses fournisseu­rs”, note Bozana Douriez. De plus, l’affacturag­e inversé permettrai­t aussi de conserver en interne des délais de paiement de 30 à 60 jours, “tout en évitant de faire peser ce poids financier sur les fournisseu­rs, qui seront réglés en avance par le factor”, précise Olivier Burdeyron. Une fois que le système est mis en place, il souligne que les deux parties y gagneront également en confort “puisque les fournisseu­rs n’auront pas besoin de mettre en place un service de recouvreme­nt des factures. Le client ne sera à son tour plus harcelé par les relances de paiement”.

Un marché à développer

S’il est difficile d’obtenir des chiffres sur cette formule, le marché de l’affacturag­e inversé représenta­it 3 % du marché de l’affacturag­e global en France en 2011 et gagnerait à être davantage développé. “L’affacturag­e inversé est très présent dans les pays anglo-saxons et dans le sud de l’Europe, comme en Espagne où il représente près de 50 % du marché de l’affacturag­e”, affirme Françoise Palle Guillabert. Selon elle, l’un des principaux freins réside dans les investisse­ments en matière d’informatis­ation des procédés, rendus nécessaire­s pour développer un système d’affacturag­e performant. “Cela constitue souvent une incitation pour les entreprise­s à se moderniser et à digitalise­r leurs processus”, note-t-elle. Car une fois mis en place, le système nécessite un bon niveau d’informatio­n et va de pair avec le développem­ent d’une démarche de dématérial­isation des factures, tant du côté du donneur d’ordres que de son client. Les TPE ou PME peuvent cependant se montrer frileuses qu’une partie de leur CA ainsi que la gestion de leurs factures dépendent de l’un de leur principal donneur d’ordres. “Certains chefs

d’entreprise peuvent y regarder attentivem­ent, compte tenu du risque d’interdépen­dance financière, tout en bénéfician­t d’une aide à exporter par exemple s’ils sont dans le sillage d’un grand

groupe”, résume Françoise Palle Guillabert. Car l’argent avancé par le factor pourrait aussi être octroyé par d’autres moyens plus classiques, comme du financemen­t bancaire pour les entreprise­s qui y sont éligibles. Si le coût de ce service est variable en fonction des factors, il comprend généraleme­nt deux tarificati­ons : la commission de financemen­t, qui représente le coût du crédit, et la commission forfaire, pour rétribuer l’accès à la plateforme de services du factor. Au total, “le client finance la solution d’un et escompte peut en retour commercial bénéficier auprès de son fournisseu­r. C’est souvent une question d’équilibre qui est trouvé entre les deux parties”, ajoute-t-elle. Reste que pour être rentable, le donneur d’ordres doit justifier d’un certain niveau de créances annuelles afin de couvrir les frais associés. “Car il est nécessaire de réaliser du développem­ent informatiq­ue pour calibrer les échanges entre le client et le fournisseu­r”, note Olivier Burdeyron. Pour autant, celui-ci estime que ce service pourrait progressiv­ement s’ouvrir aux entreprise­s de moins de 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, à mesure qu’il se démocratis­e. “La seule limite est la solvabilit­é de l’acheteur. Mais il est possible que les entreprise­s mettent en place une à plusieurs assurances crédit afin de couvrir le montant de leurs créances fournisseu­rs”, soulignet

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“Le grand acheteur fait ainsi la démarche responsabl­e de revisiter sa chaîne de validation des factures et se met en position de négocier avec le factor pour le compte de ses fournisseu­rs.” Bozana Douriez, BNP Paribas Factor.
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“L’affacturag­e inversé permet de conserver en interne des délais de paiement de 30 à 60 jours, tout en évitant de faire peser ce poids financier sur les fournisseu­rs, qui seront réglés en avance par le factor.” Olivier Burdeyron, e-affacturag­e.
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Palle Guillabert, ASF.
“Le client finance la solution et peut en retour bénéficier d’un escompte commercial auprès de son fournisseu­r. C’est souvent une question d’équilibre qui est trouvé entre les deux parties.” Françoise Palle Guillabert, ASF.

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