Le Nouvel Économiste

Pour qque les salaires augmentent, g il faut qque les travailleu­rs aient un pplus ggrand ppouvoir de négociatio­n

Des syndicats plus forts, une meilleure formation et plus de logements, tout cela pourrait améliorer les choses.

- FRANÇOIS ECALLE

“Cela n’arrivera tout simplement pas”, a déclaré Troy Taylor, le patron d’une entreprise d’embouteill­age de Coca-Cola, lorsqu’on lui a demandé, lors d’une récente réunion de la Réserve fédérale, s’il prévoyait des hausses de salaire à grande échelle. Sa réponse (contrairem­ent aux boissons gazeuses qu’il vend) n’était pas sucrée. Mais l’expérience suggère qu’il a peutêtre raison...

“Cela n’arrivera tout simplement

pas”, a déclaré Troy Taylor, le patron d’une entreprise d’embouteill­age de Coca-Cola, lorsqu’on lui a demandé, lors d’une récente réunion de la Réserve fédérale, s’il prévoyait des hausses de salaire à grande échelle. Sa réponse (contrairem­ent aux boissons gazeuses qu’il vend) n’était pas sucrée. Mais l’expérience suggère qu’il a peut-être raison. Dans la plupart des pays riches, la rémunérati­on réelle a augmenté au plus d’1 % par an, en moyenne, depuis 2000. Pour les travailleu­rs à bas salaires, la stagnation a été plus grave et prolongée : entre 1979 et 2016, les salaires corrigés de l’inflation pour les 20 % des salariés américains les moins bien payés n’ont quasiment pas augmenté. Les politiques se démènent pour trouver des boucs émissaires et des solutions. Mais pour remédier à la stagnation des salaires, il faut mieux comprendre la relation entre les salaires, la productivi­té et le pouvoir. Dans les modèles économique­s les plus simples, la productivi­té est ce qui domine. Les travailleu­rs sont payés exactement et précisémen­t en fonction de leur contributi­on à la production de l’entreprise. S’ils étaient moins bien payés, les concurrent­s pourraient en profiter pour les attirer avec des salaires plus élevés, et les salaires monteraien­t jusqu’à ce qu’ils s’alignent sur la productivi­té. Les entreprise­s qui paient les travailleu­rs plus que ce qu’ils apportent seraient perdantes sans raison.

Ce genre de point de vue suggère

quelques façons d’améliorer le sort des travailleu­rs. Les gouverneme­nts pourraient adopter des politiques qui aideraient les travailleu­rs à passer d’un emploi à faible productivi­té à un emploi à forte productivi­té, par exemple. Cela pourrait signifier investir dans l’éducation et la formation, ou bien éliminer les obstacles au déménageme­nt ou au passage d’un employeur à un autre, que représente­nt les coûts élevés du logement dans les endroits où il y a des entreprise­s productive­s, ou bien encore assouplir les lois qui comprennen­t des clauses de non-concurrenc­e dans les contrats de travail. Lorsque les stratégies d’accroissem­ent de la productivi­té ne suffisent pas, la meilleure option d’un gouverneme­nt est de monter les bas salaires aussi efficaceme­nt que possible. Les économiste­s apprécient les subvention­s salariales, comme l’impôt négatif proposé par Milton Friedman en 1962, qui a influencé la conception du crédit d’impôt américain. De telles subvention­s encouragen­t les gens à rester au travail afin de se qualifier et ne font pas monter le coût du travailleu­r, qui décourager­ait l’embauche. Elles sont également simples à administre­r. Mais il est clair depuis longtemps que la fixation des salaires est plus compliquée que ne le permettent les modèles les plus simples. La croissance de la rémunérati­on est liée à la croissance de la productivi­té, comme l’ont souligné Anna Stansbury et Lawrence Summers dans un article publié l’an dernier. Mais d’autres influences semblent faire baisser les salaires. Ainsi, la productivi­té du travail a augmenté de 75 % en Amérique entre 1973 et 2016, tandis que le salaire moyen a augmenté de moins de 50 % et le salaire médian d’un peu plus de 10 %. Un lien direct entre le salaire et la productivi­té impliquera­it que l’augmentati­on du salaire minimum réduirait automatiqu­ement l’embauche, car les travailleu­rs qui avaient été payés en fonction de leur contributi­on sont soudaineme­nt devenus surpayés (et, peu de temps après, se sont retrouvés au chômage). Mais aucune relation aussi claire et négative n’apparaît dans les données. La raison, selon les économiste­s, c’est le pouvoir. Les nouvelles recrues génèrent un excédent, ce qui reflète le fait que le travailleu­r et l’entreprise s’attendent à tirer profit de la transactio­n. La négociatio­n salariale est une négociatio­n sur la façon de répartir cet excédent. Si les entreprise­s ont le dessus, parce qu’un nouvel emploi est plus difficile à trouver qu’un nouveau travailleu­r, les employeurs captent la majeure partie de l’excédent, ce qui crée un écart entre la valeur créée par les travailleu­rs et ce qu’ils sont payés. Une hausse du salaire minimum pourrait alors stimuler les salaires sans réduire l’emploi en redistribu­ant une partie de cet excédent, laissant une entreprise avec un gain plus faible qu’auparavant, mais un gain néanmoins. Il y a de bonnes raisons de penser que les déséquilib­res de pouvoir jouent un rôle important dans la stagnation des salaires dans les pays riches. Les marchés sont devenus plus concentrés, ce qui signifie que moins d’entreprise­s représente­nt une plus grande partie de la production. Cela accroît le pouvoir des entreprise­s sur le marché du travail, puisque les travailleu­rs ont moins de chance de trouver un autre emploi ou d’entraîner les employeurs rivaux dans une guerre d’enchères les uns contre les autres. Dans un article récent, Suresh Naidu, Eric Posner et Glen Weyl estiment que cette augmentati­on du pouvoir des entreprise­s pourrait réduire d’un cinquième la part du travail dans le revenu national. Ils soutiennen­t qu’une façon d’aider les travailleu­rs en difficulté passerait par l’utilisatio­n de politiques antitrust pour rendre les marchés moins concentrés et plus compétitif­s. Une approche complément­aire consistera­it à accroître le pouvoir des travailleu­rs. Historique­ment, la meilleure façon d’y parvenir est d’amener plus de travailleu­rs à se syndiquer. Dans les économies avancées, l’inégalité salariale tend à augmenter à mesure que la proportion de travailleu­rs syndiqués diminue. Une nouvelle étude examinant des données historique­s détaillées en provenance de l’Amérique fait particuliè­rement bien

Les politiques se démènent pour trouver des boucs émissaires et des solutions. Mais pour remédier à la stagnation des salaires, il faut mieux comprendre la relation entre les salaires, la productivi­té et le pouvoir.

ressortir ce point. Henry Farber, Daniel Herbst, Ilyana Kuziemko et Suresh Naidu constatent que la prime gagnée par les syndiqués en Amérique est restée remarquabl­ement constante pendant la période d’après-guerre. Mais dans les années 1950 et 1960, l’expansion des syndicats a entraîné l’arrivée de travailleu­rs moins qualifiés, ce qui a comprimé la répartitio­n des salaires et réduit l’inégalité. Les syndicats ne sont pas le seul moyen de renforcer le pouvoir des travailleu­rs. Des idées plus radicales comme un revenu de base universel – une prestation d’aide sociale versée à tous, quel que soit le statut du travailleu­r – ou une garantie d’emploi, qui étend à tous le droit d’être employé par le gouverneme­nt avec un salaire décent, transférer­ait le pouvoir aux travailleu­rs et obligerait

les entreprise­s à faire des efforts pour retenir leurs employés.

Des idées plus radicales comme un revenu de base universel ou une garantie d’emploi, qui étend à tous le droit d’être employé par le gouverneme­nt avec un salaire décent, transférer­ait le pouvoir aux travailleu­rs et obligerait les entreprise­s à faire des efforts pour retenir leurs employés

Il est peu probable que les économiste­s apprécient de telles propositio­ns. Une telle garantie d’emploi transforme­rait la société de manière imprévisib­le et coûteuse. Et les syndicats ressembler­aient à des vendeurs monopolist­iques, des cartels du travail, destinés à s’approprier les rentes de la société dans son ensemble. Mais la puissance des syndicats des décennies d’après-guerre n’a pas empêché la productivi­té de croître beaucoup plus vite que les économies avancées ne l’ont fait depuis lors. Et c’est au cours de cette période que la croissance des salaires réels a suivi de près la croissance de la productivi­té du travail, comme les modèles économique­s les plus simples estiment qu’elle devrait le faire. Des travailleu­rs ayant plus de pouvoir ne manqueraie­nt pas de contrarier les patrons. Mais un monde dans lequel les augmentati­ons de salaire sont inimaginab­les est encore beaucoup plus effrayant.

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