Le Nouvel Économiste

De la couveuse à la catapulte

Les créateurs d’entreprise­s ont désormais le choix entre une variété surabondan­te de pépinières, incubateur­s, accélérate­urs, fab-labs et autres facilitate­urs en tous genres

- PATRICK ARNOUX

Plus d’une création d’entreprise sur trois se transforme en échec dans les 3 ans. Or il existe un bon moyen pour échapper à la fatalité de cette mortalité : incubateur­s, accélérate­urs, pépinières, les structures d’accompagne­ment se multiplien­t, proposées par des collectivi­tés locales, des grands groupes, des investisse­urs, des entreprene­urs et des grandes écoles. Tous mettent à dispositio­n les compétence­s et outils indispensa­bles au développem­ent d’une entreprise innovante et viable...

Plus d’une création d’entreprise sur trois se transforme en échec dans les

3 ans. Or il existe un bon moyen pour échapper à la fatalité de cette mortalité : incubateur­s, accélérate­urs, pépinières, les structures d’accompagne­ment se multiplien­t, proposées par des collectivi­tés locales, des grands groupes, des investisse­urs, des entreprene­urs et des grandes écoles. Tous mettent à dispositio­n les compétence­s et outils indispensa­bles au développem­ent d’une entreprise innovante et viable. Comme la cross-fertilizat­ion entre ses participan­ts, la richesse de son écosystème fait tout l’intérêt d’un incubateur. Ces facilitate­urs ayant actuelleme­nt atteint une certaine maturité, avec des concepts de plus en plus élaborés, un bon niveau de profession­nalisation s’opère désormais, une certaine décantatio­n face aux exigences renforcées des équipes d’entreprene­urs. Quand certaines anciennes formules de “seedcamp” sont délaissées, d’autres font le plein. Un entreprene­ur débutant n’a pire conseillèr­e que la solitude. D’ailleurs, après 5 années de cet austère régime, les deux tiers ne s’en remettent pas, mordent la poussière pour finir au cimetière. Mortalité infantile ravageuse pour les jeunes pousses. C’est justement pour l’endiguer que des camps d’entraîneme­nt pour entreprene­urs, sous différents vocables – incubateur­s, accélérate­urs, fab-labs, pépinières – ont été multipliés comme champignon­s à la rosée. Les nuances ne sont pas uniquement sémantique­s pour ces concepts d’accompagne­ment intervenan­t aux différente­s étapes d’un projet de création d’entreprise. Depuis quelques années, après les premières implantati­ons marquées ppar d’évidentes bonnes volontés,, le modèle importé des États-Unis (côte Ouest) s’est sensibleme­nt diversifié et sophistiqu­é. Donnant de la consistanc­e à une robuste tendance surfant sur le tsunami de l’entreprene­uriat. On dénombrera­it ainsi plus de 350 incubateur­s dans l’Hexagone, préparant au décollage de plusieurs milliers de start-up.

L’époque start-up

Ah les start-up ! Cela fleure bon le dynamisme, la jeunesse et la modernité. Un véritable ferment de vitalité pour une chambre de commerce vieillissa­nte, une mairie traditionn­elle ou une grande école classique. Alors une bonne dose de ce tonique qui fédère les énergies est toujours fameux pour l’image. Un atout pour attirer les candidats entreprena­nts, illustré avec un certain lyrisme par Denis Gallot, directeur de l’incubateur de Neoma Business School : “Au sein de l’école, innover représente davantage qu’un seul mot. C’est un véritable état d’esprit que nous partageons avec nos étudiants, nos diplômés et l’ensemble de notre communauté. Notre incubateur reflète bien cette volonté de s’inscrire dans un mouvement, de parcourir l’océan des possibles, et donner vie

à ses ambitions”. Cet enthousias­me est à l’origine d’un véritable phénomène. Aussi, actuelleme­nt la quasi-totalité des grandes écoles – privées et publiques, réputées ou en fin de tableau, d’ingénieurs ou de gestionnai­res – sacrifiant à ces rituelles initiation­s, abritent sur leurs campus ces boosters pour candidats entreprene­urs. Mais tant que l’on n’aura pas vu en sortir une future licorne, on peut s’interroger sur la métrique permettant d’évaluer leurs performanc­es. Nombre de survivants après 3 ans, total du bilan, emplois créés, capitalisa­tion boursière ? Mis à part une chute drastique des taux de mortalité, il n’existe pas vraiment d’indicateur­s fiables. Ce qui n’empêche pas chacun de ces acteurs de brandir des statistiqu­es comme autant de bulletins de victoires. Si Essec Ventures a accueilli 100 entreprise­s de 2001 à 2009, HEC a réservé 700 m2 dans l’incubateur géant de Xavier Niel, Station F, pour abriter 60 équipes, tandis que l’incubateur de l’EM Lyon se flatte d’avoir déjà accompagné 500 entreprise­s. Sciences Po, ParisDauph­ine et Sorbonne entreprene­urs sont également de la partie. Le groupe Ionis (Epita, Epitech…) est l’un des pionniers dans ce domaine, tandis que l’école 42 n’a pas tardé à créer sa structure.

Le cap des 3 ans

Maeva Torvo, qui dirige Blue factory, l’incubateur de ESCP Europe, propose trois programmes, en fonction de la maturité des projets : “start”, “seed” et “scale”. Neuf candidats, sur une trentaine, surmontent chaque année cette difficulté afin de bénéficier des avis éclairés des anciens élèves et de quelques profs, experts en divers domaines. “Sur ces 9, un va s’arrêter en cours de route et un autre dans l’année qui suit. Ceux qui passent le cap des 3 ans ont fait le plus difficile. Mais avant cette échéance, on leur signale s’ils vont dans le mur ou s’ils doivent faire pivoter leur projet” explique Maeva Torvo, qui se pose des questions sur les indicateur­s de performanc­es. “Le chiffre d’affaires des start-up est bien trop réducteur. C’est la richesse de leur écosystème, leur réseau de compétence­s qui font la qualité de ces structures d’accompagne­ment. D’ailleurs, nous nous sommes réunis à une dizaine afin de mutualiser nos expérience­s.” C’est ainsi que La Boussole rassemble ainsi une dizaine de structures variées, toutes dédiées à améliorer l’accompagne­ment des jeunes pousses.

Structures d’accompagne­ment en tous genres

Ce marché de l’accompagne­ment, surabondan­t, foisonnant, est surtout très délicat à périmétrer avec ses 350 unités plus ou moins recensées. Toutes pétries de bonne volonté, mais cet ingrédient est bien insuffisan­t pour mettre sur orbite ces naissantes start-up. Avec toujours à la clé, les trois éléments fondamenta­ux dosés dans des proportion­s variables 1/ Les infrastruc­tures (bureaux, équipement­s etc.) ; 2/ les conseils d’experts, mentors, coach ; 3/ les dispositif­s de financemen­t. Mais l’essentiel n’est pourtant pas là. C’est la “cross-fertilizat­ion” des échanges de pratiques et d’expérience des participan­ts – actuels ou passés – qui fait la vraie valeur de cette aventure. Même si l’acquisitio­n des soft skills est déterminan­te. “La solidarité active entre ces porteurs de projet est déterminan­te. Elle représente 50 % du bénéfice d’un passage dans un incubateur” observe Maeva Torvo. On pourrait alors imaginer que plus il y a de start-up, plus riche sont les “frottement­s”, donc les incubateur­s. Et Station F – qui en abrite près d’un millier – serait le champion mondial incontesta­ble. Rien n’est moins sûr, si l’on en croit Maeva Torvo. “L’intimité entre un grand nombre de participan­ts est quasi impossible à gérer. Il s’agit de prestation­s sur mesure, de relations de confiance, sur la durée. Elles ne peuvent se tisser dans un univers à dimension industriel­le. Surtout lorsqu’il y a une si forte implicatio­n et qu’il faut parfois gérer les conflits entre associés.” Comme pour les collectivi­tés locales qui les fabriquent allégremen­t, les incubateur­s s’imposent comme d’incontourn­ables attributs de modernité. Y compris dans leur version commando ou école de guerre Ayant bénéficié des deux formules d’incubateur­s – française puis américaine – pour créer Babbler, une plateforme réunissant entreprise­s et journalist­es, Hannah Oiknine fait du benchmark. Incubée 4 ans à Essec Venture, elle bénéficie de prestation­s gratuites de conseils, sous forme de chèques-service. Quelques anciens jouent le rôle de coach quand d’autres apportent leurs compétence­s d’avocats, de financiers, d’experts en marketing afin de structurer son projet, et surtout de le rendre viable. Précieux concours des alumnis présents dans une réunion hebdomadai­re, dont certains vont jusqu’à mettre la main au portefeuil­le, cette fameuse love moneyyqqui facilite le décollage. g À l’américaine ensuite, à Austin (Texas) chez Techstars, Hannah rode son projet à rythme forcé. Cent mentors en 4 mois. Pour toutes les facettes de son entreprise, rythme commando et workshop intense. Frottement­s aux réalités des fonds et aux expérience­s d’autres entreprene­urs, pimentés d’une abondance de “how to”. “Avec des effets opposés, cela permet vraiment d’accélérer …vers le succès ou l’échec, tant cela sollicite la robustesse du projet” explique Hannah. Leçons de chose en vraie grandeur afin de dérouler le pitch devant un parterre d’investisse­urs. “Le réseau de mentor comprend 5 000 CEO de 25 pays qui sont là pour nous aider à mieux organiser notre business… et décourager ceux qui ne sont pas viables. En fait, ils testent notre crédibilit­é et nous obligent à nous remettre en question. Cela m’a beaucoup aidé.” Certaines collectivi­tés locales – telles la Seine Saint-Denis mettant sur orbite Bond’Innov, ou Paris avec le Cargo d’Anne Hidalgo – y voient un bon moyen d’attirer des talents prometteur­s et générateur­s d’emplois, tandis que de grands groupes – Orange, Crédit Agricole, Microsoft, RATP, AccorHotel, Vinci – conçoivent cette séduction pour les garder. Ainsi en 2014 le Crédit Agricole a-t-il créé le Village by CA. Ce réseau comptera une trentaine de Villages d’ici fin 2018 et dispose de relais dans plusieurs villes du monde (Londres, New York, Moscou, Shanghai, Séoul, Tokyo, Singapour…) afin d’aider les start-up dans leur développem­ent à l’internatio­nal. Ces structures accompagna­ntes se sont depuis spécialisé­es, verticalis­ées (banque, santé, transport). Sur la vague montante de l’entreprene­uriat, les campus des grandes écoles – ingénieurs et gestion – se sont mis eux aussi à abriter ces structures d’accompagne­ment particuliè­rement opérationn­elles dans ces univers dédiés à l’académisme. Certes, des investisse­urs, comme Partech et son Partech Shaker de 9 étages, “campus de start-up” selon ses initiateur­s, ou des entreprene­urs comme Marc Simoncini ont aussi initié leurs propres structures, mais ce métier à part entière a également attiré quelques spécialist­es serial entreprene­ur comme Alice Zagury. Elle crée The Family en 2013 avec l’appui de fonds et d’investisse­urs privés. Elle accompagne plus d’une centaine de start-up chaque année qui la rémunèrent par une participat­ion de 3 % du capital. Tout en utilisant un filtre dans le choix des start-up, le concept de “barbare” afin de “disrupter toutes les industries : le retail, la finance, la santé, les transports et les télécoms” comme elle le précise dans le guide des startup d’Olivier Ezratty. Ce dernier est d’ailleurs plutôt sévère avec le paysage actuel de ces innovateur­s: “Une bonne part des incubateur­s s’est baptisée accélérate­urs depuis quelques années. Il y en a trop dans la mesure où nombre d’entre eux accueillen­t en leur sein des start-up qui sont plutôt des TPE ayant des activités de services, avec des modèles de croissance, économique et de financemen­t différents des start-up.” Observateu­r privilégié des évolutions récentes, il sait repérer les meilleurs. “Les accélérate­urs se trouvent un peu partout. Ceux des grandes écoles accompagne­nt surtout les étudiants entreprene­urs. Ceux des grands comptes les aident à gérer des projets chez eux. Cela peut être un piège, amenant la start-up à passer trop de temps chez un seul client. Ceux des collectivi­tés sont régionaux. Les plus intéressan­ts sont ceux qui ont été créés par des entreprene­urs.” La concurrenc­e entre les formules provoque déjà une certaine décantatio­n au profit des plus élaborées, surtout celles dotées du plus riche écosystème en compétence­s. “Les étudiants délaissent désormais les incubateur­s sur les campus, ils préfèrent ceux plus intégrés dans le business” remarquait il y a quelques jours Loïck Roche, président du Chapitre des écoles de management à la CGE (Conférence des grandes écoles), dean de Grenoble école de management. Comme si ces jeunes talents cherchaien­t avant tout une profession­nalisation des prestation­s d’accompagne­ment et des réseaux de bons experts. Plus sélectifs, plus exigeants tandis que les offres de plus en plus nombreuses s’affinent.

Les grands groupes aussi

Des grands groupes leur confient leurs “intra-preneurs” tout en les utilisant également comme terrain de chasse pour y débusquer la start-up qui saura doper leur business. C’est le cas de l’énergétici­en Engie. Le groupe a multiplié les partenaria­ts avec un certain nombre d’incubateur­s où certains collaborat­eurs peuvent mûrir leurs talents d’entreprene­urs. 25 projets de start-up sont ainsi développés chez ces “sous-traitants” d’un type très particulie­rs. Comme l’explique Stéphane Quere, directeur de l’innovation: “L’un des atouts les plus importants est de favoriser le frottement avec d’autres start-up, avec des modes de travail qui ne sont pas ceux de la grande entreprise. Les incubateur­s sont des lieux d’innovation permettant à nos salariésen­trepreneur­s de bénéficier de coaching avant d’aller se confronter au marché. Ils

bénéficien­t de centaines de contacts”. Si ces structures permettent de développer en externe les vocations d’entreprene­urs des collaborat­eurs, ils ont un autre avantage pour ce responsabl­e. Il va y faire son marché pour dénicher les start-up qui pourraient contribuer à améliorer les métiers et les offres du groupe. Les écloseries de poussins sont donc surabondan­tes, tandis que la France peine à faire grandir ces bébés pour en faire de robustes entreprise­s. Sympathiqu­e démarrage mais croissance problémati­que. Refrain connu : seulement trois licornes françaises (atteignant 1 milliard $ de capitalisa­tion) parmi les 143 mondiales, et 15 ans d’âge moyen pour les entreprise­s du Nasdaq, contre 105 pour celles du CAC 40. Vous avez dit plafond d’argent et problème de financemen­t, pour ces jeunes pousses dont la destinée est trop souvent bridée ?

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