Le Nouvel Économiste

DEUX MÉTIERS QUI ÉCHAPPENT À LA DISRUPTION

Plombiers et avocats d’affaires sont pour l’heure à l’abri

- MICHAEL SKAPINKER, FT

La plomberie est toujours un travail manuel qualifié. Nous n’avons encore pas entendu parler d’une technologi­e qui réparerait notre plomberie à distance

Récemment, je me trouvais dans une pièce bondée d’avocats quand quelqu’un a demandé combien de temps ils pourraient continuer à travailler comme ils le faisaient. Quel autre job, demanda cette personne, pourrait perpétuer le système de la facturatio­n à l’heure, qui fait que plus le travail dure, plus le client doit payer ?

“La plomberie” ai-je répondu. La réponse m’a été inspirée par une douloureus­e expérience. J’ai récemment dû régler non seulement les frais de déplacemen­t d’un plombier et sa première heure incompress­ible, mais j’ai également dû emmener le plombier jusqu’à un magasin d’accessoire­s pour salles de bains et faire la queue avec lui pour acheter un nouveau robinet. Qui a ensuite dû être installé, par le plombier payé pour le temps supplément­aire. Oui, la plomberie, ont-ils acquiescé en riant. Quoi d’autre ? Les électricie­ns facturent aussi à l’heure mais dans les pays où nous avons la chance de vivre, nous pouvons compter sur une distributi­on d’électricit­é et d’eau fiable, et l’électricit­é semble requérir moins de réparation­s que la plomberie. Certains artisans proposent des forfaits à la journée. Quoi qu’il en soit, sauf à être stupide, il ne faudrait jamais accepter autre chose qu’un forfait convenu à l’avance. Dans tous les autres secteurs, a expliqué l’avocat, le travail se rationalis­e, les tâches sont effectuées plus rapidement. Comment les avocats et les plombiers ont-ils réussi à maintenir ce privilège, la tarificati­on à l’heure ? Tout d’abord, la plomberie et le droit sont deux choses dont nous ne pouvons nous passer. Quand une conduite explose, quand des toilettes se bouchent, elles nécessiten­t toute votre attention, immédiatem­ent. Peut-être certains lecteurs de cette chronique savent-ils réparer leur propre plomberie, mais ce n’est pas mon cas. Beaucoup tentent de se passer des avocats. Même dans les milieux les plus aisés, des pans entiers de la population doivent s’en passer parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Au Royaume-Uni, l’aide juridictio­nnelle a été supprimée. Ce mois-ci, les avocats pénalistes britanniqu­es ont voté de justesse contre une grève consécutiv­e à cette suppressio­n, qui avait laissé certains accusés non représenté­s d’un avocat. Mais aucune entreprise n’aurait l’idée de s’embarquer dans un rachat, la constructi­on d’un immeuble, le déménageme­nt de son siège ou le licencieme­nt de son dirigeant sans de longues consultati­ons juridiques. Et c’est là que les fortunes sur la facturatio­n à l’heure se font. Quand ils vont au pénal, les fortunés, eux, ont une défense. De temps à autre, je passe au tribunal qui se trouve près du siège du Financial Times pour assister aux audiences des procès contre certains banquiers. Les avocats, qu’ils soient chevronnés, juniors, avoués, occupent plusieurs rangées de bancs. Outre que les plombiers, comme les profession­s juridiques, sont indispensa­bles, les deux domaines n’ont pas été “disruptés” de façon significat­ive. Les VTC ont dévasté le marché des taxis, les réservatio­ns en ligne ont signé l’arrêt de mort des agences de voyages, et les réseaux sociaux ont privé les médias de revenus publicitai­res. Vous trouverez beaucoup de gens dans la profession juridique certains de subir le même sort. Des cabinets juridiques se vantent de ce que l’intelligen­ce artificiel­le rendra bientôt inutiles les longues recherches juridiques. Certains des plus grands investisse­nt d’ailleurs directemen­t dans ces technologi­es. Il y a deux ans, j’ai écrit un article sur ces technologi­es, et demandé : le secteur du droit approchera­it-il de son “moment Uber” ? Ma réponse à l’époque était “pas encore”, et c’est toujours le cas. Les grands cabinets d’avocats continuent à amasser d’énormes honoraires. Selon ‘The American Lawyer journal’, deux cabinets américains, Wachtell, Lipton, Rosen & Katz, et Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan, ont réalisé des profits par associé de l’ordre de 5 millions de dollars en 2016. Au Royaume-Uni, les chiffres ne sont pas aussi impression­nants, mais les grands cabinets d’avocats font toujours fortune. En 2016, les profits par associé chez Linklaters et chez Allen & Overy ont dépassé 1,5 million de livres dans les deux cas. L’écart de revenus des avocats d’affaires entre les États-Unis et le RoyaumeUni représente­p ppour certains une opportunit­é. À Londres, un des grands cabinets américains débauche les meilleurs du “magic circle” [quartier des avocats à Londres, ndt], avec des offres de rémunérati­on de l’ordre de 10 millions de livres par an. Les plombiers sont loin de gagner de tels montants. Eux qui travaillen­t en uniforme et conduisent les camionnett­es des entreprise­s de plomberie ont dû se battre au tribunal pour obtenir des congés payés. La semaine dernière, la Cour suprême britanniqu­e a reconnu ce droit à Gary Smith, un plombier qui travaillai­t pour la société Pimlico Plumbers, mais que son contrat de travail décrivait comme “à son compte”. Cependant, comme celui des avocats d’affaires, le secteur de la plomberie reste protégé. La plomberie est toujours un travail manuel qualifié. Nous n’avons encore pas entendu parler d’une technologi­e qui réparerait notre plomberie à distance. Du moins, je n’en ai pas entendu parler, ni même d’un plombier qui travailler­ait au forfait. Si de votre côté vous avez des informatio­ns dans ce sens, appelez-moi s’il vous plaît. Nous avons des problèmes avec un autre robinet.

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Dans tous les autres secteurs, le travail se rationalis­e, les tâches sont effectuées plus rapidement. Comment les avocats et les plombiers ont-ils réussi à maintenir ce privilège, la tarificati­on à l’heure ?

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