Le Nouvel Économiste

Comment meurt une démocratie

Les leçons à tirer de la montée en puissance des autocrates dans les États faibles

- THE ECONOMIST

La démocratie est-elle en difficulté ? Près de 30 ans après que Francis Fukuyama ait déclaré la fin de l’histoire et le triomphe de la démocratie libérale, cette question n’est plus farfelue. L’Amérique, qui a longtemps été un phare de la démocratie, a un président qui piétine ses règles. Xi Jinping dirige la Chine autoritair­e vers un régime à un seul homme. Et dans les pays émergents, les hommes forts avancent à grands pas. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a enfermé ou “purgé” plus de 200000 Turcs pour des raisons politiques, a remporté les élections du 24 juin, et assumera des pouvoirs dignes de ceux d’un sultan. Le régime nicaraguay­en arrache les ongles des pieds des manifestan­ts...

La démocratie est-elle en difficulté ? Près de 30 ans après que Francis Fukuyama ait déclaré la fin de l’histoire et le triomphe de la démocratie libérale, cette question n’est plus farfelue. L’Amérique, qui a longtemps été un phare de la démocratie, a un président qui piétine ses règles. Xi Jinping dirige la Chine autoritair­e vers un régime à un seul homme. Et dans les pays émergents, les hommes forts avancent à grands pas. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a enfermé ou “purgé” plus de 200 000 Turcs pour des raisons politiques, l’emportera probableme­nt lors des élections qui débuteront le 24 juin, et assumera des pouvoirs dignes de ceux d’un sultan. Le régime nicaraguay­en arrache les ongles des pieds des manifestan­ts. Vladimir Poutine est sur le point de réussir une énorme opération de propagande avec la Coupe du monde de football. Les indices de la santé de la démocratie montrent une détériorat­ion alarmante depuis la crise financière de 2007-2008. L’un d’eux, publié par The Economist Intelligen­ce Unit, filiale de notre groupe, indique que 89 pays étaient en régression en 2017, contre 27 seulement en améliorati­on. Certaines enquêtes montrent que moins d’un tiers des jeunes Américains pensent qu’il est “essentiel” de vivre dans une démocratie. Il n’est pas étonnant que cette année ait connu un boom des livres aux titres effrayants tels que ‘How Democracy Ends’ et ‘The People vs. Democracy’. Un tel pessimisme doit être replacé dans son contexte. C’est un revirement récent après les progrès remarquabl­es de la seconde moitié du XXe siècle. En 1941, il n’y avait qu’une douzaine de démocratie­s ; en 2000, seuls huit pays n’avaient jamais organisé d’élections. Un vaste sondage réalisé dans 38 pays montre qu’en général, quatre personnes sur cinq préfèrent vivre dans une démocratie. Et toutes les menaces contre le pluralisme ne sont pas du même ordre. Dans les démocratie­s matures comme l’Amérique, des freins et contrepoid­s forts encadrent même le président le plus avide de pouvoir. Dans les démocratie­s plus récentes, ces institutio­ns sont plus faibles, de sorte qu’un homme fort peut les affaiblir rapidement, souvent sans trop de problèmes. C’est pourquoi la détériorat­ion la plus inquiétant­e, tant par le nombre de pays que par la rapidité du recul, se situe dans les jeunes démocratie­s fragiles des pays émergents. Du Venezuela à la Hongrie, ces reculs montrent des similitude­s frappantes. Mais on peut y trouver des raisons d’être optimiste – ainsi que des leçons pour l’Occident.

Comment affaiblir une démocratie

En gros, les jeunes démocratie­s sont généraleme­nt démantelée­s en quatre étapes. Il y a d’abord une véritable colère populaire face au statu quo et, souvent, face aux élites libérales qui sont aux commandes. Les Hongrois ont été secoués par la crise financière, puis terrifiés par des foules de réfugiés syriens traversant leur pays en direction de l’Allemagne. La pieuse majorité musulmane turque se sentait marginalis­ée par les élites laïques. Ensuite, les hommes forts potentiels désignent les ennemis à livrer à la vindicte populaire. M. Poutine parle d’une conspirati­on occidental­e visant à humilier la Russie. Le président Nicolás Maduro met les problèmes du Venezuela sur le dos de l’Amérique; et le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, impute ceux de la Hongrie à Georges Soros. Troisièmem­ent, après avoir gagné le pouvoir en exploitant la peur ou le mécontente­ment, les hommes forts s’en prennent à la presse libre, à la justice impartiale et à d’autres institutio­ns qui forment la partie “libérale” de la démocratie – tout cela au nom de la lutte contre les ennemis du peuple. Ils accusent les juges honnêtes de malversati­ons et les remplacent par des comparses, ou bien ils lancent des contrôles fiscaux sur les chaînes de télévision indépendan­tes et forcent leurs propriétai­res à vendre. C’est l’étape de la “démocratie illibérale”, où les droits individuel­s et la primauté du droit sont affaiblis, mais les hommes forts peuvent encore prétendre être démocrates puisqu’ils remportent des élections libres. Finalement, à la quatrième étape, l’érosion des institutio­ns libérales conduit à la mort de la démocratie dont il ne reste que le nom. Les observateu­rs électoraux neutres sont muselés ; les candidats de l’opposition sont emprisonné­s ; les circonscri­ptions sont redécoupée­s ; les constituti­ons sont modifiées ; et, dans les cas extrêmes, les assemblées législativ­es sont émasculées.

L’homme fort ne remporte pas toujours la bataille

Ce processus n’est ni inévitable, ni incurable. L’Inde a une démocratie dynamique depuis 70 ans ; le Botswana depuis plus de 50 ans. Les détériorat­ions peuvent être stoppées et même inversées. Ces dernières semaines, les Malaisiens ont voté contre Najib Razak et le parti UMNO au pouvoir depuis l’indépendan­ce ; les manifestan­ts arméniens ont mis fin à une décennie de parti unique. En décembre dernier, les Sud-Africains ont chassé le président Jacob Zuma, un homme fort qqui a laissé ses amis ppiller l’État. Même la Turquie n’est pas condamnée : les partis d’opposition ont de bonnes chances de gagner le contrôle du parlement ce mois-ci. Il est difficile de dire quelles démocratie­s sont en danger. La stagnation économique et la montée en flèche de l’immigratio­n sont souvent précurseur­s des problèmes. Mais elles ne sont ni nécessaire­s ni suffisante­s. Peu de gens auraient pu prédire que la démocratie s’effondrera­it en Pologne, alors qu’elle profite, avec peu d’immigrants, d’une économie en plein essor, qui a grandement bénéficié de l’adhésion à l’Union européenne. Plus important que les conditions sous-jacentes, c’est la manière avec laquelle les autocrates en puissance apprennent les uns des autres – à diffuser de fausses nouvelles, à se débarrasse­r de journalist­es gênants et à jouer la carte du populisme. Leurs faiblesses sont aussi remarquabl­ement similaires. De la Malaisie à l’Afrique du Sud, des hommes forts ont finalement été écartés du pouvoir par une hostilité populaire à la hauteur de leur corruption. Ces similitude­s nous donnent des leçons. La principale, c’est l’importance des institutio­ns. La liberté des élections est souvent mise en avant quand on souligne les avantages de la démocratie occidental­e. En fait, les juges indépendan­ts et les journalist­es rebelles sont la première ligne de défense de la démocratie. Les donateurs et les ONG devraient redoubler d’efforts ppour soutenir l’État de droit et la liberté de la presse, même si les autocrates accusent inévitable­ment ceux qu’ils aident d’être des “agents étrangers”. La seconde leçon est que les changement­s de pouvoir sont le fait d’autocrates opportunis­tes plutôt que celui d’ électeurs adhérant à une idéologie antilibéra­le. En fin de compte, ces régimes sont fragiles. Lorsque les autocrates volent trop ouvertemen­t, aucune censure ne peut empêcher les gens de le savoir – et parfois même de leur retirer le pouvoir. La dernière leçon, plus désagréabl­e, est que l’exemple donné par les vieilles démocratie­s est important. Les puissantes institutio­ns américaine­s encadrent le comporteme­nt du président Donald Trump dans son pays. Mais elles n’empêchent pas que, à l’étranger, son mépris des règles démocratiq­ues – le mensonge en série, le fait de pactiser avec des dictateurs – puisse servir d’exemple à des autocrates en puissance. Les articles évoquant “la mort de la démocratie” sont certaineme­nt exagérés. Mais le système de gouverneme­nt le moins mauvais jamais conçu est en difficulté. Il a besoin de défenseurs.

La dernière leçon, plus désagréabl­e, est que l’exemple donné par les vieilles démocratie­s est important. Les puissantes institutio­ns américaine­s encadrent le comporteme­nt du président Donald Trump dans son pays. Mais elles n’empêchent pas que, à l’étranger, son mépris des règles démocratiq­ues – le mensonge en série, le fait de pactiser avec des dictateurs – puisse servir d’exemple à des autocrates en puissance.

 ??  ?? La stagnation économique et la montée en flèche de l’immigratio­n sont souvent précurseur­s des problèmes. Mais elles ne sont ni nécessaire­s ni suffisante­s.
La stagnation économique et la montée en flèche de l’immigratio­n sont souvent précurseur­s des problèmes. Mais elles ne sont ni nécessaire­s ni suffisante­s.

Newspapers in French

Newspapers from France