Le Nouvel Économiste

L’ENFER DES RÉUNIONS

Des minutes qui deviennent des heures perdues

- THE ECONOMIST

La plupart des employés accueillen­t une réunion de deux heures avec l’enthousias­me d’un Prométhée attendant le passage quotidien de l’aigle envoyé par les dieux pour dévorer son foie. Les réunions sont une forme de torture pour les employés depuis aussi longtemps qu’ils savent utiliser un crayon et taper sur un clavier. Le problème éternel est leur inefficaci­té. En 1957, C. Northcote Parkinson, un chercheur et un écrivain légendaire sur les questions de management, a inventé la “loi de trivialité” : “le temps consacré à n’importe quel sujet à l’ordre du jour d’une réunion sera inversemen­t proportion­nel au montant de la somme d’argent impliquée”. Dans le même esprit, votre chroniqueu­r souhaite vous proposer un principe encore plus général qui s’applique aux rassemblem­ents de dix personnes ou plus et que nous appelleron­s sans aucune modestie la Loi de Bartleby : “80 % du temps de 80 % des personnes présentes lors de réunions est gâché”. Différents corollaire­s à cette loi suivent. Après au moins 80 % des réunions, toute décision prise s’alignera sur celle de la HIPPO (“highest-paid person’s opinion”, la personne la mieux payée). Pour faire court, ceux qui ont soutenu une opinion différente auront perdu leur temps. Peutêtre parce qu’ils sont conscients de la futilité de cet effort, moins de la moitié des personnes présentes lors d’une grande réunion se donneront la peine de prendre la parole, et au moins la moitié de l’assistance regardera à un moment donné l’écran de son téléphone. Une partie du problème réside dans le paradoxe qui veut que même si les employés détestent assister aux réunions, ils détestent encore plus en être exclus. Rien ne déclenche plus automatiqu­ement une crise de paranoïa qu’une réunion de service à laquelle vous n’êtes pas convié. Pour éviter un mouvement de panique, les managers sont enclins à inviter toutes les personnes qu’ils pensent être intéressée­s. De toute évidence, il y a des moments où tout un chacun doit être impliqué : quand un événement important se produit, comme un changement de direction ou de stratégie, ou l’annonce de licencieme­nts. Si les employés sont organisés en petites équipes, la pratique de la “réunion debout” du matin, durant laquelle les participan­ts informent les autres de leurs activités, a bien des avantages : tout peut être réglé en quinze minutes. Mais la plupart des réunions durent beaucoup plus longtemps. Maurice Schweitzer, professeur de management à la Wharton School de l’université de Pennsylvan­ie, dit qu’elles sont les plus utiles quand elles sont bien préparées. Informer les participan­ts de l’ordre du jour par avance permet de ne pas les prendre de court. La surprise provoque souvent une réaction négative au projet exposé. Hélas, ajoute-t-il, l’anticipati­on n’est pas une branche sexy du management et elle est peu pratiquée. L’un des prérequis est d’établir si une réunion a pour but de persuader le personnel de valider une décision du management ou si elle est destinée à écouter les idées et les problèmes du personnel. Dans le premier cas, les alliés de la personne assise dans le siège directoria­l devraient s’exprimer en premier et conduire la réunion. Mais ce genre de réunions devrait être rare dans une entreprise bien gérée. Si le but d’une réunion est de faire émerger ce que pensent les employés, une autre approche est nécessaire. Les employés “du bas de l’échelle” devraient être encouragés à s’exprimer dit M. Schweitzer, et la règle de “aucune interrupti­on” doit être imposée, pour qu’ils ou elles ne soient pas intimidées. Laisser les gens communique­r leur opinion de façon anonyme, en amont, est une autre option. Le danger de la règle “aucune interrupti­on” est que les collègues bavards peuvent rendre le pprocessus extrêmemen­t long. g À un moment donné, tous les employés perdront patience avec ceux qui glosent longuement sur des questions sans rapport avec l’ordre du jour, et ceux qui ne font pas la différence entre l’anecdote personnell­e et la preuve scientifiq­ue. Votre chroniqueu­r recommande de limiter toutes les interventi­ons à une durée maximum de 2-3 minutes. La meilleure façon d’éviter la loi de trivialité du professeur Parkinson est de bien présenter l’ordre du jour. Jay Bevington du cabinet de consultant­s Deloitte, remarque la tentation constante de mettre les sujets les plus importants – et par conséquent les plus litigieux – en fin de réunion. Alors qu’ils devraient être attaqués de front dès le début. Enfin, une réunion n’a pas lieu d’être si tous les participan­ts ne sont pas informés de ce qui a ensuite été décidé. M. Bevington remarque qu’on serait surpris du nombre de membres de conseil d’administra­tion qui quittent une réunion sans être sûrs de ce qui a vraiment été décidé. Mais le meilleur remède aux rassemblem­ents fastidieux est sans doute d’en avoir beaucoup moins. Le nouveau patron de GE, John Flannery, a dit ne vouloir “aucune réunion ou aussi peu que possible, là où c’est possible”. Grâce aux miracles des technologi­es modernes, les applicatio­ns de discussion de groupes en ligne permettent aux managers et aux employés de rester en contact. L’informatio­n peut être diffusée sous forme compacte et les personnes qui ne sont pas concernées peuvent ignorer les messages et poursuivre leur travail. La prochaine fois qu’un manager sera tenté de rassembler ses collègues, ils devront avoir une bonne réponse à la question : “Cette réunion est-elle absolument nécessaire ?”

Votre chroniqueu­r souhaite vous proposer un principe encore plus général qui s’applique aux rassemblem­ents de dix personnes ou plus et que nous appelleron­s sans aucune modestie la Loi de Bartleby : “80 % du temps de 80 % des personnes présentes lors de réunions est gâché” “Le temps consacré à n’importe quel sujet à l’ordre du jour d’une réunion sera inversemen­t proportion­nel au montant de la somme d’argent impliquée”

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