Le Nouvel Économiste

Du principe d’égalité à celui d’équité

Le modèle de redistribu­tion collective et aveugle de l’après-guerre a vécu. Il devrait laisser la place à une redistribu­tion individual­isée et émancipatr­ice

- JEAN-MICHEL LAMY

Le match du quinquenna­t va se jouer j entre “Jours heureux” et “État-providence du XXI e siècle”. Ce sera un combat politique au finish entre les gardiens autoprocla­més du programme social du Conseil national de la résistance publié en mars 1944 sous le dossard “Jours heureux”, et le challengeu­r Emmanuel Macron qqui a ppris ppour fanion “État-providence du XXI e siècle”. Deux visions de la question sociale vont s’affronter. La première entend perpétuer les mécanismes de la redistribu­tion à l’oeuvre depuis des décennies. La seconde prétend miser sur l’émancipati­on sous toutes ses formes plutôt que sur la seule logique du guichet. Il s’agit de passer du principe d’égalité à celui d’équité...

Le match du quinquenna­t va se jjouer entre “JJours heureux” et “État-providence du XXI e siècle”. Ce sera un combat politique au finish entre les gardiens autoprocla­més du programme social du Conseil national de la résistance publié en mars 1944 sous le dossard “Jours heureux”, et le challengeu­rg Emmanuel Macron quiq a pris pour fanion “État-providence du XXIe siècle”. Deux visions de la question sociale vont s’affronter. La première entend perpétuer les mécanismes de la redistribu­tion à l’oeuvre depuis des décennies. La seconde prétend miser sur l’émancipati­on sous toutes ses formes plutôt que sur la seule logique du guichet. Il s’agit de passer du principe d’égalité à celui d’équité.

Deux visions de la question sociale vont s’affronter. La première entend perpétuer les mécanismes de la redistribu­tion à l’oeuvre depuis des décennies. La seconde prétend miser sur l’émancipati­on sous toutes ses formes plutôt que sur la seule logique du guichet. Il s’agit de passer du principe d’égalité à celui d’équité.

Le nouveau contrat social selon Macron

Alors, va-t-on assister au simple remake des joutes entre socialdémo­cratie et libéralism­e ? Sans doute pas. Pour deux raisons majeures. D’une part, le courant redistribu­tif incarné par ce socialisme pro-européen vit une agonie politique qui paraît sans fin. Résultat, c’est l’ultragauch­e qui occupe le terrain de l’opposition. D’autre part, le macronisme ne se réduit pas à un libéralism­e économique­q ppur et dur,, il croit aussi au rôle de l’État et aux vertus de la… dépense publique. Résultat, la droite classique se fracture entre partisans d’un vrai libéralism­e, et disciples centristes accommodan­ts par nature avec un pouvoir menant une politique d’apparence “centrale”. Cet échiquier instable fait certes le lit du macronisme politique, mais en même temps la mise au rancart de références historique­s standard obscurcit la lisibilité de ses axes stratégiqu­es. Être inclassabl­e idéologiqu­ement n’est qu’un atout provisoire. Cela va notamment se voir pour le déroulé de l’agenda social des prochains mois, annoncé par Emmanuel Macron devant le Congrès réuni à Versailles ce 9 juillet. Comme s’il était en session de rattrapage, le président de la République a sacrifié au rite en appelant à un sommet avec les syndicats patronaux et salariés. Du coup, le camp du paritarism­e resserre les rangs : huit syndicats patronaux et salariés viennent de se réunir ppour pparler de leur avenir. Parce que l’Élysée va les recevoir, mais avec en tête une

translatio­n des lignes qui habituelle­ment fondent le contrat social. C’est un changement à hauts risques. On ne modifie pasl’Étatg providence par décret. Emmanuel Macron a en effet une grande ambition. À Versailles, devant les parlementa­ires, il la définissai­t ainsi : “le réel modèle social de notre pays doit choisir de s’attaquer aux racines profondes des inégalités de destin. (…). Le coeur même d’une politique sociale n’est pas d’aider les gens à vivre mieux la condition dans laquelle ils sont nés et destinés à rester, mais d’en sortir. Je crois à une politique de l’émancipati­on de chacun qui libère du déterminis­me social, qui s’affranchit des statuts”.

Le triptyque talent, effort, mérite

Une telle approche prend appui sur le triptyque talent, effort, mérite. Autant de qualités individuel­lement libératric­es qui heurtent de front l’establishm­ent syndical et une forme de consensus médiatique. Jean-Luc Mélenchon, leader des Insoumis, répondait par exemple du tac au tac sur BFM que l’on peut être fier de sa condition ouvrière sans vouloir en sortir – tout en cherchant à améliorer ses revenus. Jean-Louis Borloo, renvoyé aux pages de son rapport “Plan Banlieue” pour trop préconiser l’arrosage par l’argent public, a vivement réagi. Florilège : “arbitrer les quelques moyens que l’on a pour permettre à ceux qui courent le plus vite de courir de plus en plus vite est une vision de la société que je trouve inefficace et dangereuse”. Soixante-quatorze ans après les recommanda­tions inscrites au fronton des “Jours heureux” sur “la sécurité sociale, la sécurité de l’emploi, la garantie de la retraite”, la doxa sur le pacte social reste figée dans le même moule. Quiconque veut l’adapter aux temps nouveaux sera continûmen­t accusé de “casse sociale”. Le langage du tout nouveau secrétaire général de FO, Pascal Pavageau, directemen­t inspiré des luttes de classe d’avant-guerre, est caractéris­tique de ce genre de posture. “Ça ne la fait pas”, dit-il à tout bout de champ. C’est dire que pour le pouvoir actuel, la difficulté est double. Il lui faut arrêter une dérive des dépenses sociales devenue ingérable compte tenu du rythme de croissance du ppays.y C’est une bataille qqui sera rude. Dans le même temps, l’Élysée s’est donné pour mission d’installer une nouvelle forme de solidarité. Là, la bataille sera avant tout culturelle. Privilégie­rg l’interventi­on de l’État en amont est probableme­nt plus efficace que la coûteuse réparation ex post, mais ce n’est pas dans les moeurs. La transforma­tion sociale selon Macron sera une longue marche dont le discours

Le triptyque talent, effort, mérite : autant de qualités individuel­lement libératric­es qui heurtent de front l’establishm­ent syndical et une forme de consensus médiatique

L’opinion est davantage marquée par la disparitio­n de l’ISF sur les patrimoine­s financiers ou la hausse de la CSG pour les retraités, que par un projet social dont la cohérence “émancipatr­ice” reste en dessous de la ligne de visibilité. Qu’est-ce qui manque alors ? Des relais solides et convaincan­ts dans toutes les strates de la société.

de Versailles II ne livre que les prémices.

La fin des “Jours heureux”

La prise de conscience macronienn­e ne doit rien au hasard. Ce n’est pas la perte d’un idéal qui a fait capoter la social-démocratie, ce sont des gouffres financiers que même des déficits creusés sans cesse n’arrivent plus à combler. La bascule décisive a eu lieu dans le sillage de la crise financière de 2008. Depuis, la fin des “Jours heureux” – entendue comme un système non régulé et non maîtrisé de protection sociale – est inscrite tôt ou tard au calendrier. Les statistiqu­es parlent d’ellesmêmes. Une étude de la Drees, ministère de la Santé et des Solidarité­s, indique que “la France est championne de l’Union européenne et probableme­nt du monde pour les dépenses liées à la vieillesse et à la santé”. En comptabili­té nationale, cela correspond, pour l’année 2016, à 32,1 % du PIB consacré aux seules prestation­s sociales. Exprimé autrement, cela représente 715 milliards d’euros sur un PIB total 2016 de 2 229 milliards. Deux observatio­ns à partir d’un tel palmarès. D’abord, comment comprendre qu’avec de telles sommes, selon l’expression syndicale consacrée, “ça craque de toutes parts” ? Même s’il importe de pondérer les comparaiso­ns internatio­nales en sachant que certains actes sont ici intégrés à la sphère publique, alors que dans d’autres pays ils relèvent du privé, les masses en jeu obligent à se poser la question de leur efficacité. Ensuite la moyenne “sociale” européenne, qui s’établit à 27,5 % de PIB, soit 4,6 points de PIB de moins qu’en France, signe un handicap objectif de compétitiv­ité pour le site tricolore. De fait, la facture se paie soit par une ponction plus forte sur les comptes des entreprise­s, soit par un dérapage supplément­aire de déficit public.

L’Etat-providence à l’ancienne

Cet écart pénalisant provient d’un gonflement de la dépense sociale d’un point de PIB tous les cinq ans depuis vingt ans. Adresse envoyée à tous les frustrés d’une jambe sociale “Macron” ! Poursuivre encore vingt ans dans la même direction, voire cinq ans, serait un suicide économique. Ce qui n’empêche pas la demande sociale et la revendicat­ion de “service public” de gonfler sans cesse. Comment en sortir ? Ce qui craqueq de toute ppart c’est la société assurantie­lle de l’État-proq vidence à l’ancienne, caractéris­ée par la mutualisat­ion croissante des risques sociaux. Sans vrais devoirs en contrepart­ie. D’où le soin mis par Emmanuel Macron à déplacer les curseurs vers unÉtatp providence du XXIe siècle axé sur une solidarité mieux ciblée et surtout plus “active”. Cela se traduit par le souci d’accompagne­r de manière rigoureuse et personnali­sée tous ceux qui le peuvent vers un retour progressif au monde du travail. Cette jambe “sociale” du macronisme a déjà esquissé ses premiers pas lors de la première année du quinquenna­t. Elle existe… autrement que par la stricte redistribu­tion. Au cours de la deuxième année, l’objectif est d’accélérer toujours en attaquant “le mal” à la racine sans porter atteinte au rétablisse­ment des équilibres économique­s d’ensemble. Les travaux pratiques se déploient dans plusieurs directions.

Le doublement des classes CP plus efficace que la redistribu­tion

En Macronie, le meilleur indicateur de lutte contre les inégalités est le taux d’emploi. En France, il est trop faible, notamment chez les jeunes. Or ce pays consacre autant de points de PIB (5,2 %) à la défense de l’emploi qu’à la dépense en direction de l’éducation du primaire au supérieur. Qui est en stagnation depuis vingt ans ! Cherchez l’erreur. La réorientat­ion a commencé grâce à un ministre, Jean-Michel Blanquer, qui replace le système éducatif dans l’apprentiss­age des fondamenta­ux. Emmanuel Macron a fait lui-même le service après-vente à Versailles : “l’école maternelle obligatoir­e à trois ans est une mesure dont nous devons être fiers. Le dédoubleme­nt des classes de CP et CE1 en zone d’éducation prioritair­e est une mesure de justice sociale plus efficace que tous les dispositif­s de redistribu­tion parce qu’on y distribue de manière différenci­ée le savoir fondamenta­l”. L’argument est limpide, mais par constructi­on, ce genre de politique sociale relève du temps très long. Le “paquet” mis sur la formation profession­nelle participe de cette même logique. La baisse du coût de l’apprenti pour l’employeur également. La réorganisa­tion des minima sociaux est aussi sous l’oeil du gouverneme­nt. La moitié des allocatair­es au RSA n’ont pas de contrat d’accompagne­ment vers l’emploi. Le plan pauvreté à venir recadrera tout le système avec l’état d’esprit de “s’occuper des gens” sur le chemin vers le travail.

Chômage, retraite, santé: la fin du système assurantie­l paritaire

Au sein du remue-méninges macronien, l’assurance chômage occupe une place privilégié­e, à la grande alarme des syndicats. Toutes les règles vont être revues, indemnisat­ion et durée pour les salariés, bonus-malus sur les contrats de travail à l’intention du patronat, universali­té vers toutes les catégories – travailleu­rs indépendan­ts comme démissionn­aires – pour effacer les distorsion­s dues à des statuts différents. Dès le 17 juillet, l’Élysée se mettra à l’école de la démocratie sociale, une première, en recevant les partenaire­s sociaux pour leur présenter des propositio­ns détaillées qui marqueront une rupture avec le système assurantie­l et paritaire. Les deux grands pôles de la protection sociale auront droit aussi à leur toilettage. En grand pour les futurs retraités. Le sens de la réforme à venir est de personnali­ser les rouages (choix de la date de départ, de la prolongati­on ou de l’arrêt provisoire en connaissan­t à chaque fois son nombre de “points”, quels que soient les parcours) en remplaçant les quarante régimes existants par un seul. Les montants versés seront calés sur la réalité économique et non plus sur des critères aléatoires selon les majorités politiques. Pour la santé, la patte Macron est déjà à l’oeuvre. Le reste à charge zéro pour les lunettes aura aussi des retombées positives, estimet-on, sur le niveau des compétence­s personnell­es. La recherche de l’émancipati­on par le travail emprunte tous les canaux possibles ! Suivront la reconnaiss­ance de la solidarité familiale et le statut des aidants, avec à la base la même logique d’individual­isation.

La cohérence émancipatr­ice du nouveau contrat social reste à expliquer

L’État-providence du XXIe siècle selon Macron sera “émancipate­ur, universel, efficace, responsabi­lisant”. Il sera le reflet d’une société sans cesse en mouvement par l’innovation et la compétence. C’est séduisant, mais on est tenté de répondre que le statut est le propre du citoyen français. Chacun a d’une certaine façon le sien. Il n’est pas sûr que la disparitio­n annoncée de celui du cheminot change la donne. Parions d’ailleurs qu’on le retrouvera sous une forme ou sous une autre dans la future convention collective du secteur. Toute cette constructi­on macronienn­e autour d’un “nouveau contrat social” pourrait bien passer au-dessus de la tête, et du vote, des Français. Déjà, selon le baromètre Harris Interactiv­e, la confiance accordée au président de la République est tombée en juin à son plus bas (40 % tout de même). En fait, l’opinion est davantage marquée par la disparitio­n de l’ISF sur les patrimoine­s financiers, la baisse de l’APL ou la hausse de la CSG pour les retraités, que par un projet social dont la cohérence “émancipatr­ice” reste en dessous de la ligne de visibilité. Qu’est-ce qui manque alors ? Des relais solides et convaincan­ts dans toutes les strates de la société. Les ténors de la majorité semblent flotter dans leurs éléments de langage inlassable­ment répétés. Eux aussi auraient besoin d’être accompagné­s par des hussards qui ont la foi. Le rocardisme avait déjà expériment­é cette idée que faute de pouvoir d’achat, il faut diffuser de la responsabi­lité. Il y avait alors des jeunes rocardiens pour porter la parole. Aujourd’hui on cherche les jeunes macroniens.

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