Le Nouvel Économiste

Un juge conservate­ur à la Cour suprême

La politique fait les juges de la Cour suprême, mais ils ne lui rendent pas toujours la politesse

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Ainsi donc Brett Kavanaugh, le nominé de Donald Trump à la Cour suprême, a un pied dans la fonction la pplus pprestigie­useg pprévue par les pères fondateurs des États-Unis. Il a le pedigree requis, la constituti­on ne prévoit pas d’autres qualificat­ions qu’une “bonne conduite”, mais de plus en plus l’usage veut que les candidats soient issus de la branche la plus élitiste de la magistratu­re, les cours d’appel fédérales, ce qui est son cas. Là n’est pas le problème, chaque nomination est l’enjeu d’une bataille politique et celle-ci s’annonce épique. Rien n’est plus passionnan­t que les auditions d’un candidat à la Cour suprême. C’est le concours de la magistratu­re, avec la médiatisat­ion des Jeux olympiques. Pendant des heures et des jours, les chaînes d’informatio­n continue vont diffuser des débats dont la majeure partie est inintellig­ible pour le commun des mortels, mais qui vont néanmoins déchaîner les passions autour de quelques mots magiques, comme avortement ou mariageg homosexuel. À chaque vacance d’un poste à la Cour, les deux partis, démocrates et républicai­ns, raniment l’enthousias­me de leurs bases autour de ce que l’on appelle Roe v. Wade, le nom technique de l’arrêt qui a légalisé l’interrupti­on de grossesse, en 1973. Durant ces 45 dernières années, cet arrêt a résisté à 14 changement­s dans la compositio­n de la Cour et a été confirmé par une seconde décision en 1992. La Cour déteste se déjuger, c’est ce qu’elle appelle le “stare decisis” (s’en tenir à ce qui a été décidé). Ce principe devrait jouer encore plus pour le mariage homosexuel, légalisé en 2015. Bien qu’il n’y ait pas de recensemen­t officiel, le nombre de couples homosexuel­s mariés dépasserai­t un demi-million. Est-il matérielle­ment possible de jeter plus d’un million de personnes dans un vide juridique? Il y a davantage de probabilit­és qu’une cour plus conservatr­ice pèse sur des sujets moins grand public comme le droit à la propriété ou le droit du travail. L’un des arrêts les plus lourds de conséquenc­es lors de la dernière session est celui qui dénie aux syndicats le droit d’exiger des cotisation­s de tous les employés, y compris ceux qui ne sont pas membres, sous prétexte qu’ils bénéficier­ont aussi du résultat des négociatio­ns. Cette décision pénalise non seulement les syndicats, mais aussi le parti démocrate, qui s’appuie sur leurs ressources en période électorale. Les pères fondateurs ont imaginé la Cour suprême comme un organe neutre, qui arbitrerai­t les relations entre les deux autres ppiliers du ppouvoir, exécutif et législatif,g ou entre l’État fédéral et les États, et serait l’ultime recours des citoyens devant la justice. Son seul critère de jugement est théoriquem­ent la conformité d’une décision à la Constituti­on. Cet esprit estil respecté ? Oui et non.

80 cas par an

Chaque année, environ 8 000 cas sont présentés à la Cour suprême et elle n’en retient qu’un centième. Selon les dernières statistiqu­es disponible­s, celles de 2017, la moitié des décisions rendues par les 9 juges ont été adoptées à l’unanimité. Les votes 5-4 ou 6-3 ne représente­nt que 14 % du total. Si l’on regarde le “docket”, c’est-à-dire la liste des cas examinés cette année-là, on y trouve des litiges sur la distributi­on de l’eau, sur l’attributio­n des brevets commerciau­x, sur l’acquisitio­n de sociétés. En 2018, la Cour s’est prononcée sur un cas dont les répercussi­ons commercial­es ont été énormes : le droit des États àpercep voir des taxes sur les achats en ligne effectués sur leur territoire. Mais à côté de ces dossiers techniques, d’autres ont manifestem­ent un caractère politique, comme ceux concernant l’environnem­ent, l’immigratio­n, “l’affirmativ­e action” ou les lois électorale­s. Le plus flagrant exemple de conséquenc­es politiques a été la validation de l’élection de George W. Bush en 2000. Pendant la bataille pour la confirmati­on de Brett Kavanaugh, les sénateurs démocrates ne manqueront pas de souligner ses liens avec George Bush – il faisait partie de son équipe juridique et sa femme était la secrétaire du président. La grande inconnue de la Cour est la personnali­té des juges qui, en place jusqu’à ce que la lassitude ou la mort les en écartent, ont toute latitude pour penser davantage à leur héritage intellectu­el qu’à leur loyauté politique. Il y a généraleme­nt un ou plusieurs juges qui glissent vers le centre pour devenir ce que l’on appelle un “swing vote”, le vote qui va d’un côté ou de l’autre. C’était la position occupée par le sortant, Anthony Kennedy, nommé par Ronald Reagan en 1988. Bien qu’il ait fait son apprentiss­age auprès du juge Kennedy, il est peu probable que Brett Kavanaugh assume ce rôle, si tant est qu’il soit confirmé par le Sénat. Le plus susceptibl­e de reprendre le flambeau est John Roberts, devenu Juge, puis Chef Juge en 2005. Il a depuis lors provoqué la fureur des conservate­urs, qui avaient applaudi sa nomination, et surpris les démocrates, qui l’avaient décriée, en refusant de déclarer inconstitu­tionnel le système d’assurance de santé mis en place par Barack Obama. Hormis ce coup d’éclat, on ne peut pas dire que le juge Roberts se soit reconverti à gauche, mais un nouveau juge qui enverrait le balancier conservate­ur trop loin pourrait le pousser à honorer ce qu’il a affirmé : “Les juges ne sont pas des politicien­s, même s’ils arrivent là grâce à ceux qui le sont”.

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