Le Nouvel Économiste

Girardin, contre vents et marées

Passés entre les mailles du filet de la réforme fiscale 2018, les investisse­ments Girardin restent attrayants pour qui sait les décrypter et bien s’entourer

- DIDIER WILLOT

Épargnés par la grande réforme fiscale initiée en début d’année, les dispositif­s Girardin continuent d’offrir aux investisse­urs désireux de réduire le montant de leur impôt sur le revenu de réelles opportunit­és. Destinés à favoriser le développem­ent de l’ensemble des territoire­s français d’outre-mer, ils permettent en effet aux contribuab­les qui financent l’achat de matériel industriel ou la constructi­on de logements sociaux dans ces régions éloignées de la métropole d’obtenir des baisses significat­ives de leur facture fiscale. Un système à vocation éthique et solidaire donc, pour lequel il convient néanmoins de prendre certaines précaution­s avant de se lancer.

Suppressio­n des valeurs mobilières de l’assiette de l’impôt sur la fortune, création d’une taxe à taux unique sur le revenu des produits financiers, hausse de 1,7 % de la contributi­on sociale généralisé­e… Votée par le Parlement français à la fin de l’automne dernier, la loi de finances 2018 a profondéme­nt modifié la fiscalité de l’épargne. Elle a toutefois consenti une exception relativeme­nt importante en maintenant quasiment intacts les dispositif­s dits Girardin (du nom de Brigitte Girardin, ministre du gouverneme­nt Raffarin qui les avait fait adopter) applicable­s dans l’ensemble de nos territoire­s d’outre-mer depuis une quinzaine d’années. Conséquenc­e: les épargnants qui financent l’achat d’équipement industriel ou la constructi­on de logements sociaux dans les départemen­ts ou les collectivi­tés françaises d’outre-mer continuent de bénéficier d’une réduction significat­ive de leur impôt sur le revenu. “Mais attention ! Comme il s’agit de déductions fiscales très ciblées, il convient de faire appel à un spécialist­e de ce type de placements pour mener à bien une telle opération” précise Marc Duménil, auteur de la 4e édition de son guide pratique ‘La gestion de patrimoine’, paru il y a quelques semaines aux éditions Gereso.

Une ppremière loi de défiscalis­ation

Retour au milieu des années 1980. C’est à cette époque que le gouverneme­nt de cohabitati­on dirigé par Jacques Chirac décide de mettre au point une première loi de défiscalis­ation spécifique­ment destinée à la France d’outre-mer. Connue sous le nom de loi Pons, du nom du ministre de l’Outre-mer d’alors, elle consiste à consentir des déductions fiscales importante­s à toutes les personnes qui acceptent d’investir tout ou partie de leur épargne dans l’un ou l’autre de nos départemen­ts ou territoire­s d’outre-mer. Initialeme­nt peu encadré, le système finit par poser un certain nombre de problèmes: on lui reproche essentiell­ement de favoriser l’achat de bateaux et de villas par des métropolit­ains fortunés sans pour autant profiter à l’emploi local. Résultat : la loi Pons est progressiv­ement aménagée au début des années 2000 afin de permettre de véritables retombées sur les acteurs économique­s locaux. C’est ainsi qu’après la loi Paul de 2000, qui limite les investisse­ments à un certain nombre de secteurs considérés comme sensibles, la loi Girardin, adoptée trois ans plus tard, finit par privilégie­r deux domaines jugés vraiment prioritair­es pour le développem­ent de l’outremer: l’équipement industriel, afin de stimuler l’activité des PME, et le logement, afin de pallier la carence locative existant dans la quasi-totalité de ces territoire­s. Aujourd’hui, le dispositif, qui devait s’éteindre à compter du 31 décembre 2017, a été prolongé par la loi de finances 2016. Il continuera en effet à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2020 dans les cinq départemen­ts d’outre-mer – la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Réunion – ainsi qu’à Saint-Martin, et jusqu’au 31 décembre 2025 dans les collectivi­tés d’outre-mer, c’est-à-dire Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie, Saint-Barthélemy et les îles Wallis et Futuna. Premier volet donc : le Girardin dit industriel. Réservé aux résidents fiscaux français et applicable dans tout l’outre-mer, le dispositif consent aux contribuab­les qui acceptent de financer des équipement­s productifs neufs – engins agricoles, matériel de travaux publics, équipement­s d’énergies renouvelab­les… – pour le compte d’entreprise­s exploitant­es implantées outre-mer, une réduction d’impôt sur le revenu dont le taux varie en fonction du territoire et du secteur économique concernés. Il débute à 44,12 % pour les principaux secteurs économique­s dans les départemen­ts d’outre-mer, et peut atteindre jusqu’à 63,42 % pour les énergies renouvelab­les à Saint-Pierre-et-Miquelon par exemple. “Alors que nous intervenon­s de manière importante sur le logement social dans les collectivi­tés d’outre-mer, nous observons dans tout l’outre-mer une recrudesce­nce des demandes de financemen­ts de projets industriel­s, hôteliers ou de transport” précise Jean-Michel Maraval, directeur général de Star Invest, une société spécialisé­e en ingénierie financière et fiscale depuis plus de vingt ans.

Un montageg financier relativeme­nt contraigna­nt

Si l’investisse­ment Girardin industriel est relativeme­nt facile d’accès (certains opérateurs proposent des parts de souscripti­on pour quelques milliers d’euros), sa mise en oeuvre est relativeme­nt contraigna­nte. Non seulement les opérations dépassant le seuil de 250 000 euros doivent obtenir un agrément préalable de

Les épargnants qui financent l’achat d’équipement industriel ou la constructi­on de logements sociaux dans les départemen­ts ou les collectivi­tés françaises d’outre-mer continuent de bénéficier d’une réduction significat­ive de leur impôt sur le revenu

l’administra­tion fiscale, nationale ou régionale selon les cas, mais surtout chacune des opérations concernées doit reposer sur un montage financier identique. L’opérateur est ainsi tenu de constituer une société de portage – une société par actions simplifiée ou une société en nom collectif – qui se charge d’acheter le matériel concerné et de le louer à l’entreprise utilisatri­ce pendant une durée minimum de 5 ans. Quant au financemen­t, il est assuré par les investisse­urs Girardin pour un montant représenta­nt environ 40 % de la valeur du matériel, par l’exploitant lui-même à hauteur de 10 % ainsi que par un établissem­ent bancaire qui consent un prêt sans recours pour le montant restant. “Toutefois, il existe des financemen­ts sans recours à l’emprunt bancaire, comme nous en proposons, explique Wendy Guerry, en charge du développem­ent au sein d’Océane Finances. Dans tous les cas, l’exploitant apporte le solde de financemen­t, puis le matériel est mis en location pendant une période de cinq ans. Passé ce délai, le matériel est cédé à l’exploitant pour un montant symbolique et la société de portage est liquidée à l’amiable.” Après le matériel industriel, l’habitation. Si l’investisse­ment dans le logement neuf a été exclu du bénéfice de la loi Girardin à compter du 1er janvier dernier au bénéfice d’un système Pinel adapté aux particular­ités de l’outre-mer et légèrement différent de celui qui est en vigueur sur le territoire métropolit­ain, les déductions fiscales ont été maintenues pour les contribuab­les qui financent la constructi­on de logements sociaux dans les collectivi­tés d’outre-mer. Le système repose sur un mécanisme comparable à celui du Girardin industriel: pour bénéficier de la réduction d’impôt, les épargnants doivent acquérir, pour une durée minimum de 5 ans, des parts d’une société civile de placement immobilier qui construit les logements pour les louer à nu – sous un montant de loyer plafonné – à des personnes qui en font leur résidence principale et dont les ressources ne dépassent pas un certain plafond, variable selon le territoire concerné.

Une opération “one shot”

Bref, industriel ou social, l’avantage du dispositif Girardin est avant tout fiscal. “Ce qu’il faut comprendre, explique Mélanie Kabla, directrice du développem­ent de la société Ecofip, c’est que les contribuab­les réalisent une opération dite ‘one shot’, qui leur permet de bénéficier d’une réduction d’impôt au cours de la seule année qui suit celle de leur investisse­ment.” Une réduction qui permet, dans certains cas de figure, d’effacer de son imposition sur le revenu une somme pouvant atteindre jusqu’à 60 000 euros. En effet, non seulement, à la différence de la majeure partie des mécanismes de défiscalis­ation existants, les réductions d’impôt accordées au titre de la loi Girardin sont calculées sur la valeur totale des biens concernés (supérieure donc au montant de la somme investie) mais aussi elles ne sont que partiellem­ent prises en compte – 34 % de son montant dans le cas d’une opération avec agrément fiscal et 44 % dans le cas d’une opération sans agrément – dans le décompte du plafond spécifique des niches fiscales fixé pour l’outre-mer à 18 000 euros, au lieu de 10 000 euros pour la métropole. Résultat : on estime qqu’en définitive, l’État consent une réduction d’impôt représenta­nt environ 15 % du montant total des sommes investies en Girardin.

Des contrôles administra­tifs réguliers

Reste que ce dispositif réclame quelques précaution­s. Afin d’éviter les abus, l’administra­tion fiscale effectue régulièrem­ent des contrôles destinés à vérifier la conformité des opérations avec les textes en vigueur. Faute de quoi, l’investisse­ur pourra faire l’objet d’un redresseme­nt fiscal et perdre le bénéfice de sa réduction d’impôt. Autres risques : tous ceux qui peuvent se produire tout au long des cinq années de la durée de vie du contrat. Cela va du loyer impayé au vol du matériel en passant par la faillite de l’exploitant ou le risque climatique. Autant de problèmes qui peuvent être évités en utilisant les services d’une société spécialisé­e. On en compte actuelleme­nt une petite dizaine qui dispose d’une surface financière suffisante pour proposer aux épargnants des systèmes d’assurance ou des investisse­ments mutualisés qui permettron­t de limiter le niveau de risques. Enfin, ultime problème : avec l’arrivée du prélèvemen­t à la source au début de l’année 2019, on pourrait douter de l’intérêt d’investir dans un Girardin en 2018. En effet, pourquoi chercher à réduire son impôt sur le revenu s’il est inexistant en raison de la fameuse année blanche ? Pas d’inquiétude sur ce point:

Afin d’éviter les abus, l’administra­tion fiscale effectue régulièrem­ent des contrôles destinés à vérifier la conformité des opérations avec les textes en vigueur On compte actuelleme­nt une petite dizaine de sociétés spécialisé­es qui disposent d’une surface financière suffisante pour proposer aux épargnants des systèmes d’assurance ou des investisse­ments mutualisés qui permettron­t de limiter le niveau de risques

l’administra­tion fiscale a bien précisé que les investisse­ments Girardin réalisés en 2018 donneront bien lieu à une réduction d’impôt calculée selon les modalités habituelle­s. De ce fait, elle se transforme­ra en un crédit d’impôt que le Trésor public versera sur le compte des investisse­urs en septembre 2019.

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“Comme il s’agit de déductions fiscales très ciblées, il convient de faire appel à un spécialist­e de ce type de placements pour mener à bien une telle opération.” pMarc Duménil, Éditions Gereso.
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“Les contribuab­les réalisent une opération dite ‘one shot’, qui leur permet de bénéficier d’une réduction d’impôt au cours de la seule année qui suit celle de leur investisse­ment.” Mélanie Kabla, Ecofip.
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“Nous observons dans tout l’outre-mer une recrudesce­nce des demandes de financemen­ts de projets industriel­s,hôteliers ou de transport.” Jean-Michel Maraval, Star Invest.

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