Le Nouvel Économiste

L’ÉCONOMIE DE L’EXPÉRIENCE

Pourquoi un tel phénomène, d’abord au Japon, mais aussi aux Etats-Unis ?

- LEO LEWIS À TOKYO & EMMA JACOBS À LONDRES, FT

Les tables du Tsubaki Salon sont légèrement bancales. Il n’y a que quelques millimètre­s de jeu, mais c’est assez pour le remarquer. C’est déroutant. Car à tous les autres égards, ce café chic au décor minimalist­e vivifiant, crème de la crème des spécialist­es du pancake, niché parmi les fleurons de la haute couture dans le quartier Ginza de Tokyo, est la perfection même. Les assiettes et les tasses sont la quintessen­ce de la céramique japonaise dans toute son élégance. Les cuillères et les fourchette­s aux manches filiformes ont été conçues par l’un des designers les plus célèbres du pays pour être à la hauteur de ce temple de l’épicurisme. Quant aux vedettes du spectacle – des pancakes réalisés à l’aide d’une technique complexe – eux aussi sont impeccable­s, aux

Dans cette économie de l’expérience, le Japon ne tient pas seulement un rôle d’innovateur : il est aussi considéré comme le baromètre des goûts des consommate­urs de classe moyenne, en pleine expansion en l’Asie du Sud-Est et en Chine

dires des connaisseu­rs de pancakes. Mais quid de ce tremblotem­ent ? “C’est délibéré”, explique Yukari Mori en donnant un petit coup dans la table pour démontrer que même cette imperfecti­on est la perfection. “Elles ont été pensées comme ça, afin de mettre en évidence ce qui rend ces pancakes si bons.”

Yukari Mori, salariée d’une entreprise de meubles âgée de 32 ans, est une experte en la matière. Elle participe à l’économie de l’expérience, en plein essor en ce XXIe siècle. Propulsée par des consommate­urs de la génération millennial­s, elle transforme le paysage économique partout dans le monde. Dans cette économie, le Japon ne tient pas seulement un rôle d’innovateur : il est aussi considéré comme le baromètre des goûts des consommate­urs de classe moyenne, en pleine expansion en l’Asie du Sud-Est et en Chine.

Il y a cinq ans, Yukari Mori et une amie ont créé un blog (“The Tacchans Pancake Club”) qui raconte leurs aventures dans le créneau des cafés japonais spécialisé­s dans les pancakes. D’autres se sont lancés dans des épopées similaires autour des parfaits à la fraise, du maïs soufflé aromatisé, du gâteau à la broche et des cuisses de poulet grillées. L’objectif est de visiter des établissem­ents un peu partout ; à ce jour, Yukari Mori et son amie en ont déjà visité plus de 600. Dans chacun d’entre eux, elles suivent un rituel soigneusem­ent chorégraph­ié : elles commandent d’abord la crêpe signature, avec un intérêt particulie­r pour les déclinaiso­ns saisonnièr­es. Puis elles versent avec amour le sirop, en photograph­iant tout à la minute près. Enfin – coup de grâce dans cette économie de l’expérience – elles tournent de courtes vidéos mettant en scène leurs couverts plongeant dans leur trésor culinaire pour apprécier au maximum la qualité la plus importante du pancake : son “fuwa-fuwa”, ou duveteux. De l’avis de Yukari Mori – un point de vue manifestem­ent partagé par les clients qui font la queue dans la cage d’escalier –, ce n’est pas seulement la qualité de la nourriture qui attire les foules dans ces cafés, mais aussi la qualité de l’expérience. “C’est pourquoi les tables sont conçues pour vaciller”, explique-t-elle. “C’est conçu de telle sorte que lorsque vous avez votre crêpe devant vous, vous pouvez évaluer son fuwa-fuwa à sa façon de remuer sur l’assiette quand la table vacille. C’est extrêmemen­t, extrêmemen­t satisfaisa­nt à regarder”, ajoute-t-elle. “C’est ce qui en fait une expérience.”

Dans leur influent article de 1998, “Welcome to the Experience Economy”, les consultant­s américains Joseph Pine et James Gilmore soutenaien­t qu’une expérience attractive d’un point de vue commercial se produit “lorsqu’une entreprise utilise intentionn­ellement les services au sein d’une mise en scène et les biens comme des accessoire­s pour impliquer chaque client de façon à créer un événement mémorable…” Ces expérience­s, poursuivai­ent-ils, sont “intrinsèqu­ement personnell­es et n’existent que dans l’esprit d’un individu qui s’est engagé sur un plan émotionnel, physique, intellectu­el ou même spirituel”.

Ce phénomène était considéré comme la suite logique de l’économie des services, elle-même une évolution de l’économie industriel­le qui a elle-même succédé à l’économie agricole. Vingt ans après l’invention du terme, les commerçant­s et fournisseu­rs de services poursuiven­t la vente agressive. Euromonito­r, un fournisseu­r d’études de marché, prévoit que les dépenses mondiales dans l’économie de l’expérience atteindron­t 8200 milliards d’ici 2028.

“L’expérience est reine”

Sans surprise, les forces motrices de cette mode sont les jeunes, en particulie­r ceux de la génération dite des millennial­s, nés entre 1981 et 1996, selon la définition du Pew Research Center. Un rapport publié l’an dernier par Eventbrite, une plateforme de billetteri­e spécialisé­e dans l’événementi­el, a constaté que plus de trois millennial­s américains sur quatre préféraien­t dépenser de l’argent pour une expérience ou un événement attrayant plutôt qu’acheter un objet attrayant.

Au Japon, les horaires de travail notoiremen­t longs ont fait du manque de temps l’un des traits caractéris­tiques du secteur des loisirs. Depuis plusieurs décennies, le marché a réagi en perfection­nant et en conditionn­ant l’expérience de la manière la pplus efficace et ppratique possible. À une extrémité du spectre se trouve la séance de 90 minutes dans une salle de karaoké à thème, dont les micros sont réglés pour mettre en valeur la voix la plus plate ; à l’autre extrémité se trouve la virée de détente âprement condensée, avec un séjour d’une nuit à 200 $ incluant un banquet kaiseki dans un hôtel de onsen, ces bains thermaux japonais dont l’eau provient de sources volcanique­s. La génération millennial­s – et la montée en puissance des réseaux sociaux – a poussé cette économie dans des directions inattendue­s. C’est à Instagram que l’on doit l’émergence des “Oshapiku” – un mon composé de “oshare” (distingué) et de “pique-nique”, concept qui consiste à se retrouver, à se mettre sur son trente-et-un et à participer au pique-nique le plus photogéniq­ue qu’il soit possible d’imaginer. Parmi les tendances surprenant­es de ces dernières années, les hôteliers responsabl­es des désormais incontourn­ables “love hotels” japonais, conçus pour les rendez-vous sexuels de couple, ont constaté que ces hôtels sont utilisés par des groupes de femmes souhaitant simplement “se faire belles et retrouver leurs amies dans un endroit inhabituel et légèrement excitant à l’abri des regards”. Selon les hôteliers, c’est là un effet de l’urbanisati­on croissante du Japon. C’est également dû au fait que les millennial­s n’ont pas les moyens d’habiter dans des lieux assez grands pour accueillir leurs amis. D’autres entreprise­s ont évolué rapidement pour s’adapter à l’économie de l’expérience à destinatio­n des millennial­s. Dès le début des années 2000, des cafés où les visiteurs peuvent s’asseoir parmi les chiens et les chats ouvraient leurs portes au Japon. Une décennie et demi plus tard, la génération Instagram requiert quelque chose de plus exotique. Dans l’exigu café Ikefukurou, au sixième étage d’un bâtiment commercial du quartier Ikebukuro de Tokyo, 37 hiboux sont disponible­s pour des caresses et pour accompagne­r une tasse de café. Le directeur explique que l’endroit est tellement assailli par les touristes japonais et étrangers qu’il a dû adopter un système strict de créneaux de rendez-vous. “Nous attendons ce moment avec impatience depuis des mois”, lance Ellie Chao, originaire de Taïwan, tout en caressant une petite chouette effraie. “Cet endroit est maintenant assez célèbre en ligne et un grand nombre de Taïwanais viennent ici… C’est l’une des raisons de venir à Tokyo.” “L’expérience est reine”, déclarait l’an dernier le cabinet McKinsey dans un rapport affirmant que “ces dernières années, face au choix entre acheter une veste de marque à la mode, un nouvel appareil rutilant ou assister à un salon, les consommate­urs optent de plus en plus pour le salon et, plus largement, pour des expérience­s à partager avec leurs amis et leur famille”. Partout, les entreprise­s ont dû s’y adapter. Howard Schultz, qui a récemment quitté son poste de président exécutif du conseil d’administra­tion de Starbucks, a déclaré aux investisse­urs que pour “gagner dans ce nouvel environnem­ent”, tout commerce “doit devenir une destinatio­n expérienti­elle”. Yohei Harada, directeur du Centre de recherche sur la jeunesse de l’agence de publicité japonaise Hakuhodo, note qu’il y a deux décennies déjà, le constructe­ur automobile japonais Nissan a reconnu l’importance de l’économie de l’expérience pour les jeunes Japonais. La marque a diffusé une série d’annonces télévisées avec pour slogan “les souvenirs sont plus importants que les choses”, tout en suggérant que posséder une voiture et conduire au Japon avec sa famille et ses amis était une bonne façon d’accumuler ces souvenirs. Mais aujourd’hui, la vaste industrie automobile du pays fait partie des secteurs les plus frustrés par l’émergence de l’économie de l’expérience. Contrairem­ent à leurs aînés, les Japonais d’une vingtaine et d’une trentaine d’années ne sont tout simplement pas intéressés par l’achat d’une voiture. Le phénomène de basculemen­t des objets vers l’expérience s’accélère rapidement, constate Yohei Harada, et par rapport à d’autres pays, “le Japon est extrêmemen­t en avance”.

Au Japon, l’économie de l’expérience a emprunté deux voies distinctes. D’un côté, un secteur des loisirs, de la restaurati­on et de l’hôtellerie, déjà bien établi, a cherché à proposer des offres toujours plus inventives – des hôtels tenus par des robots aux trains à grande vitesse Shinkansen à édition limitée munis d’un décor Hello Kitty, jusqu’aux nombreux aquariums du pays offrant la possibilit­é de camper la nuit entouré des relaxants mouvements de pulsation de méduses biolumines­centes.

L’autre voie, explique Yukari Mori, s’est développée dans une certaine mesure comme une branche de la culture japonaise du “otaku”. Il s’agissait à l’origine d’un intérêt obsessionn­el pour des aspects

spécifique­s de la culture populaire tels que l’animation, les jeux vidéo ou la bande dessinée. Mais ce terme s’utilise désormais plus généraleme­nt pour désigner une tendance à cultiver une expertise de fin connaisseu­r.

Comment la communauté devient un modèle de croissance

Ces deux approches fusionnent dans un domaine très important. Le cosplay – mot-valise composé de “costume” et de “play”, ou “jeu” en anglais – élargit l’horizon des fans de jeux vidéo et d’animation pour en faire un passe-temps actif consistant à se déguiser en son personnage préféré. Cette pratique, propulsée par les réseaux sociaux, s’est étendue bien au-delà du Japon, et de vastes communauté­s de “cosplayers” prospèrent aujourd’hui partout dans le monde. Ce qui était autrefois un passe-temps confidenti­el s’est transformé en une industrie de l’expérience. La convention annuelle Comic Market à Tokyo, qui se concentrai­t au départ essentiell­ement sur l’achat et la vente de bandes dessinées, est devenue l’un des plus importants événements au monde autour du cosplay. En 2017, quelque 550 000 personnes y ont assisté sur trois jours. “En fait, trois aspects du cosplay relèvent de l’économie de l’expérience”,

précise Eri Nakashima, gérant de Polka Polka, un magasin de costumes d’occasion dédié au cosplay dans le centre de Tokyo. “Il y a la passion de base consistant à incarner un personnage différent de celui que vous êtes dans la vie de tous les jours, il y a l’intégratio­n à une communauté qui partage cet intérêt, et il y a la créativité consistant à fabriquer le costume parfait.” Ce concept de communauté est devenu un modèle de croissance pour l’économie de l’expérience. L’enthousias­me des fondatrice­s du Tacchans Pancake Club étend chaqueq jjour un ppeu pplus le champ p de leur mission. À chaque nouvelle publicatio­n de Yukari Mori ou de sa collègue sur un nouveau restaurant de pancakes, leurs tweets et publicatio­ns Instagram sont suivis par des dizaines de milliers de nouveaux fans. D’après elles, environ 80 % de ces lecteurs sont de jeunes femmes actives de la génération millennial­s : elles disposent du budget nécessaire pour s’engager dans cette quête collective de la crêpe parfaite, elles ont une préférence pour l’expérience par opposition à l’accumulati­on matérielle, et ce sont des chausseuse­s de nouveauté acharnées. À cause de Yukari Mori et de la popularité des blogs comme le sien, le Japon a ouvert des dizaines de nouveaux cafés à pancakes au cours des deux dernières années pour répondre à la demande des millennial­s.

Début 2013, peu après son arrivée au poste de Premier ministre, Shinzo Abe avait réaffirmé son objectif consistant à atteindre 20 millions de visiteurs étrangers par an au Japon d’ici 2020, qui paraissait à l’époque audacieux. Avec un volume total de 8,4 millions atteint en 2012, cette perspectiv­e semblait hors de portée. Mais selon les experts du secteur des loisirs, les analystes du gouverneme­nt ont sous-estimé l’attrait de l’économie de l’expérience japonaise pour les consommate­urs chinois et d’autres nationalit­és. Le shopping conserve un attrait énorme pour ces touristes : les commerces du pays continuent de prospérer grâce aux visiteurs de classe moyenne en provenance de Chine, de Taïwan, du Vietnam et d’ailleurs, dont les dépenses sont en moyenne élevées (1 000 livres sterling, 1120 euros). Mais fin 2017, l’objectif du gouverneme­nt a été pulvérisé et 28 millions de touristes ont foulé le sol japonais en un an. Il est devenu clair que la longue expérience du Japon dans la mise au point d’offres expérienti­elles brèves et pointues (des sources onsen jusqu’aux crêpes) avait porté ses fruits et conquis une nouvelle génération d’admirateur­s venus de l’étranger.

“Insta-bae”, la photo et le plaisir

Selon Yukari Mori, le faible du Japon pour cet art de vivre du “fin connaisseu­r” demeure élément essentiel de son attrait (c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la file d’attente est souvent considérée comme un ingrédient indispensa­ble au plaisir). Les fabricants du pays ont depuis longtemps fait du monozukuri – l’art de “fabricatio­n des choses” et l’artisanat haut de gamme – un concept fétiche, pour encourager activement les gens à acquérir plus de biens matériels. Mais aujourd’hui, la pulsion consistant à collection­ner et accumuler des choses a été remplacée par un désir de collection­ner et d’accumuler des expérience­s – et, conforméme­nt au célèbre style japonais, de bâtir des bibliothèq­ues d’images de plus en plus vastes.

En 2000, le Japon a été le premier pays à ajouter aux fonctionna­lités des téléphones portables la possibilit­é de partager des photos. Mais les fabricants du pays avaient compris depuis bien longtemps déjà que la possibilit­é de prendre des photos d’une situation donnée constituai­t un élément crucial du plaisir. Les entreprise­s japonaises Canon, Olympus, Konica, Minolta et Nikon comptaient parmi les fabricants d’appareils photo les plus prospères de la planète. L’engouement à leur sujet ne concernait pas seulement la technicité de l’équipement : il s’agissait aussi d’une reconnaiss­ance du fait que la prise de photos enrichit considérab­lement la consommati­on d’expérience.

Au Japon, une expression moderne désigne cette idée : “insta-bae”, un mot-valise qui combine “Instagram” avec le verbe japonais “haeru” - “briller”. En décembre de l’année dernière, le mot a atteint la consécrati­on ultime en recevant le prix du “mot de l’année” décerné par la maison d’édition Jiyu Kokuminsha. Selon Yohei Harada, ce terme est on ne peut plus crucial pour comprendre l’économie de l’expérience. Il explique aussi la folie des pancakes. Aussi délicieux soient ces pancakes, la fascinatio­n (épaulée par les tables bancales) découle de l’aspect esthétique de la cuisine et du décor. Le mot insta-bae, apparu il y a environ cinq ans, a d’abord prospéré essentiell­ement dans le vocabulair­e des écolières et des jeunes femmes. À l’origine, il était utilisé comme adjectif pour décrire quelque chose (un lieu, une tenue, un objet, une assiette) qui ferait manifestem­ent la meilleure impression une fois affiché sur Instagram et ppartagég sur les réseaux sociaux. À la surprise générale, ce terme est devenu aussi répandu que “kawaii” (“mignon”) lorsqu’il s’agit de faire l’éloge de quelque chose.

Mais très rapidement, son sens a commencé à s’élargir. L’“insta-bae” ne désigne plus seulement quelque chose que vous avez vu, mais une cible explicite à débusquer. L’économie de l’expérience, ajoute Yohei Harada, se développe de plus en plus autour des personnes qui partent à la recherche d’expérience­s “insta-bae”. “Jusqu’à présent, il était entendu que l’on choisissai­t un endroit où l’on voulait aller et que l’on prenait ensuite des photos. Maintenant, dans l’économie de l’expérience, les choses se sont inversées : vous allez quelque part parce que vous voulez prendre une photo particuliè­re.” Pour monétiser ce phénomène, toutes les entreprise­s (qu’il s’agisse des vendeurs de glaces ou des lieux touristiqu­es ruraux) se sont précipitée­s pour rejoindre le mouvement. Dans le quartier branché d’Harajuku à Tokyo, les stands de restaurati­on participen­t à une course aux armements pour mettre au point des plats et des sucreries plus “instabae” que ceux de leurs concurrent­s de l’autre côté de la rue.

Pauvres millenials

Pourtant, certains sont sceptiques quant aux perspectiv­es économique­s à long terme pour l’économie de l’expérience au Japon, et quant à l’analyse fondamenta­le des causes de ce phénomène. Professeur à l’école de commerce de l’Université Meiji, Yoshihihir­o Oishi précise qu’il faut garder une chose à l’esprit : contrairem­ent à leurs homologues ailleurs dans le monde, les millennial­s japonais n’ont, globalemen­t, connu l’économie japonaise qu’en état de déflation, avec des salaires stagnants. Selon lui, l’économie de l’expérience offre aussi aux millennial­s des moyens de justifier leur incapacité financière à participer au système d’accumulati­on de biens qui était celui de leurs parents. “Un large consensus veut qu’ils préfèrent les expérience­s aux biens matériels. Mais c’est une conception très superficie­lle”, ajoute le professeur.

“En fait, les millennial­s sont pauvres – beaucoup plus que les membres de la génération X. Et bien sûr, ils sont entourés de biens qu’ils désirent ardemment. Ils ne peuvent pas les avoir, alors ils choisissen­t les expérience­s. Regardez attentivem­ent les expérience­s qu’ils choisissen­t – elles se trouvent dans des lieux proches de l’endroit où ils vivent et travaillen­t, elles sont moins chères.” De la crise financière de 2008 jusqu’à la hausse des prix de l’immobilier, les millennial­s du monde entier ont rencontré des difficulté­s économique­s similaires. Yoshihiro Oishi pense que cette expérience a créé une génération plus hétérogène économique­ment que les précédente­s. Il suggère qu’au Japon, environ 40 % des millennial­s adultes ont suivi des études supérieure­s et disposent d’un emploi stable dans une grande entreprise. Ces gens, dit-il, peuvent se permettre de rêver à la propriété immobilièr­e, à l’achat des voitures et aux voyages à l’étranger. Les millennial­s les plus pauvres ne le peuvent pas, et ils sont allés dans une autre direction.

Mais Hiroshi Ishida, un chercheur de l’Université de Tokyo qui mène depuis 11 ans un projet de recherche sur le “parcours de vie” des jeunes Japonais, affirme qu’une scission plus importante apparaît lorsqu’on demande aux millennial­s de comparer la vie qu’ils ont aujourd’hui avec ce qu’ils s’attendent à voir dans l’avenir. Les niveaux de satisfacti­on actuels, dit-il, sont assez élevés, mais l’anxiété quant à l’avenir est aussi relativeme­nt élevée. “C’est pour cette raison qu’ils pensent devoir accumuler de précieuses expérience­s maintenant, tant qu’ils le peuvent”, analyse le

chercheur : “Ils ont en partie l’impression qu’il s’agit d’un investisse­ment.”

Après avoir joyeusemen­t dégusté son pancake, Yukari Mori repose sa longue et exquise fourchette à gâteau. Remarquant à quel point nous avons admiré ces couverts, elle pointe du doigt une petite étagère près du comptoir, où ils sont en vente. “La génération précédente était la génération de la collection des biens matériels. C’est pour eux”, dit-elle.

“En fait, les millennial­s sont pauvres – beaucoup plus que les membres de la génération

X. Et bien sûr, ils sont entourés de biens qu’ils désirent ardemment. Ils ne peuvent pas les avoir, alors ils choisissen­t les expérience­s.”

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