Le Nouvel Économiste

Une vision archaïque

À l’opposé des pères fondateurs, déterminés à en faire un État reposant sur des principes avant tout démocratiq­ues

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Le 19 juillet, juste avant la fin de la session parlementa­ire israélienn­e et la trêve estivale, vers 3h du matin, la Knesset a adopté une loi qui marque un tournant dans l’histoire politique d’Israël. Par 62 voix contre 55, les députésp ont fait du texte baptisé “Israël, État nation du peuple juif” une Loi Fondamenta­le, qui vient s’ajouterj aux qquinzaine­s d’autres lois organiques g définissan­t les statuts de l’État d’Israël en l’absence de Constituti­on. À l’issue du vote, nombre de députés arabes ont déchiré ce texte de loi, criant à “l’apartheid” et déplorant d’avoir assisté à la naissance officielle du fascisme en Israël. De même, dans les rues de Tel-Aviv, des milliers d’Israéliens se sont rassemblés pour protester contre ce qu’ils estiment être une trahison de l’esprit de la Déclaratio­n d’indépendan­ce de 1948, qui proclame “l’égalité complète des droits politiques et sociaux de tous ses habitants, indépendam­ment de leur religion,g de leur race ou de leur sexe”, ainsi que “la fondation de l’État juif dans le pays d’Israël”. La différence sémantique est de taille.

Pourquoi cette nouvelle loi pose-t-elle

problème? Une partie des points qu’elle propose ne suscite guère la polémique. Le rappel des symboles nationaux du pays – hymne, drapeau, calendrier hébraïque, menorah à sept branches assortie de rameaux d’olivier comme emblème d’État – et le devoir de pprotectio­n de l’État juif envers sa diaspora à travers le monde ne fait qu’entériner des situations existantes, que personne ne conteste.

En revanche, en proclamant qu’Israël est le “foyer national du peuple juif”, ce texte inscrit dans la loi qu’Israël n’appartient qu’aux juifs, et à eux seuls, excluant de facto de la notion d’appartenan­ce nationale plus de 20 % de la population israélienn­e : les Arabes musulmans, ainsi que les Druzes. Ayman Odeh, le chef de file des députés de la Liste arabe unie, a résumé toutes leurs craintes : “ce texte consacre la suprématie juive, nous disant que nous serons toujours des citoyens de seconde classe”.

Un élément capital brille en effet par son absence dans cette loi, qui se veut pourtant une définition de l’identité d’Israël, et c’est peut-être le point le plus grave : le mot “démocratie” n’y est jamais mentionné. Le principe d’égalité entre hommes et femmes, entre les communauté­s, même s’il n’était pas toujours respecté dans les faits, faisait la fierté d’un pays qui constituai­t l’une des rares véritables démocratie­s du Moyen-Orient. Désormais, c’est l’inégalité entre juifs et arabes qui aura force de loi : avec ce texte, l’arabe est une langue dégradée,g ppromise à recevoir un vagueg “statut spécial” – alors que le statut de langue d’État de l’arabe, à égalité avec l’hébreu, était l’une des conditions posées par l’ONU pour qu’Israël intègre l’organisati­on en 1949. Le droit à l’autodéterm­ination est “unique au peuple juif”, et non propre à tous les citoyens israéliens. Deux points enfin qui ne pourront qu’attiser les haines : Jérusalem est déclarée “capitale complète et unie d’Israël” alors que son statut ne doit être tranché qu’au terme de négociatio­ns

En proclamant qu’Israël est le “foyer national du peuple juif”, ce texte inscrit dans la loi qu’Israël n’appartient qu’aux juifs, et à eux seuls, excluant de facto de la notion d’appartenan­ce nationale plus de 20 % de la population israélienn­e : les Arabes musulmans, ainsi que les Druzes

finales de paix entre Israéliens et Palestinie­ns, et l’État hébreuenco­up rage officielle­ment le développem­ent des “communauté­s juives”, autrement dit des colonies israélienn­es en territoire palestinie­n.

Le choix difficile de l’identité d’Israël

Comment ne pas comprendre le sentiment d’exclusion très fort manifesté par les citoyens arabes après ce vote ? Naturellem­ent, les centristes et travaillis­tes, ainsi que l’intelligen­tsia israélienn­e et ceux qui appellent de leurs voeux un judaïsme réformé, ont vivement réagi aux côtés des leaders politiques arabes du pays contre ce qui est considéré comme un déni de démocratie et un signal très inquiétant envoyé par le gouverneme­nt de Netanyahu, tant pour l’avenir d’Israël que pour celui du processus de paix avec les Palestinie­ns.

En saluant ce “moment charnière de l’histoire du sionisme et de l’État d’Israël”, Netanyahu, leader d’une droite israélienn­e qui n’a jamais été aussi dure et rétrograde qu’aujourd’hui, assume d’abandonner l’identité démocratiq­ue de son pays au profit d’une identité ethnique et religieuse. Si ce texte ne changera rien dans l’immédiat, il ne pourra qu’attiser les tensions jamais complèteme­nt en sommeil entre juifs et arabes, en territoire israélien et en dehors.

Mais Netanyahu semble désormais assumer ouvertemen­t ces positions extrêmemen­t clivantes aux dépens de l’équilibre et de la paix du pays. Il faut dire qu’il est encouragé en cela par l’administra­tion Trump, particuliè­rement agressive à l’encontre du monde arabo-musulman en général, exception faite de l’Arabie saoudite, qui avait déjà posé la première pierre de l’édifice en reconnaiss­ant Jérusalem comme capitale, unilatéral­ement et au mépris du droit internatio­nal, en décembre 2017. La droite israélienn­e ne fait que poursuivre ce fait accompli, rayant d’un trait de pplume l’hypothèsey­p d’une capitale p pour deux États, possibilit­é toujours retenue dans les différents plans de paix étudiés depuis les accords d’Oslo.

Depuis 70 ans, le choix difficile de l’identité d’Israël, entre démocratie ou État juif, n’a jamais été complèteme­nt résolu par les Israéliens. Par ces prises de position qui réaffirmen­t la suprématie d’une ethnie sur une autre, Netanyahu et le Likoud s’imposent comme les héritiers idéologiqu­es du Parti révisionni­ste sioniste de Zeel Vladimir Jabotinsky, qui souhaitait un État juif de part et d’autre du Jourdain, incluant également l’actuelle Jordanie. Une vision d’Israël ancestrale, pour ne pas dire archaïque, totalement à l’opposé de celle des “pères fondateurs” de 1948 menés par p David Ben Gourion, déterminés à en faire un État reposant sur des principes avant tout démocratiq­ues.

À quoi s’attendre après le passage d’une telle loi ? Certaineme­nt pas à une avancée dans le processus de paix avec les Palestinie­ns dans les territoire­s occupés, surtout si une partie non négligeabl­e de la population israélienn­e se sent reléguée au second plan. En outre, favoriser une communauté au détriment d’une autre ne peut que nourrir le ressentime­nt à l’égard du “privilégié”. Il se peut que Netanyahu obtienne, en fin de compte, exactement l’inverse de ce qu’il souhaitait : en voulant réaffirmer l’identité juive pour renforcer la nation israélienn­e, il a peut-être posé les bases d’une dangereuse fracture qui risque, à terme, de l’affaiblir.

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Ahmed Tibi, membre du Knesset (Parlement Israélien).

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