Le Nouvel Économiste

Peut-on réconcilie­r les optimistes et les pessimiste­s ?

Petite ironie : les deux ont tendance à favoriser les actifs américains

- LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ, FT

Les “bears” (ours) semblent intelligen­ts, mais les “bulls” (taureaux) ‘font’ de l’argent. Cette dose de sagesse financière, communiqué­e par un trader à un collègue, est difficile à battre pour la brièveté. Elle est aussi très juste. [Les ours pensent que le marché va baisser (l’ours attaque de haut en bas), et leur opposé, les taureaux (qui attaquent de bas en haut) pensent que le marché va monter, ndt.] Il y a quelque chose dans le pessimisme des marchés qui confère aux “ours” une aura de sagesse pas toujours méritée. Les prudents paraissent sages parce qu’on a l’impression qu’ils ont pesé les alternativ­es. Les optimistes semblent en comparaiso­n insouciant­s. Pourtant, ce n’est qu’en prenant un risque que les investisse­urs peuvent espérer gagner de l’argent.

Il est donc dit que même les “taureaux” semblent maintenant être devenus prudents. L’économie et le marché boursier américains ont connu, après tout, une belle période. L’expansion, qui a débuté en 2009, est aujourd’hui la deuxième plus longue jamais enregistré­e. Le chômage est faible. La Réserve fédérale est agressive. Ce mélange a tendance à tuer un marché haussier, et plutôt tôt que tard. La question est de savoir combien d’autres actions peuvent augmenter. Est-il encore temps pour les taureaux de gagner de l’argent ? Ou est-ce un ours qui sauvera votre argent et vous fera passer pour intelligen­t ?

Dans ce débat, chaque partie a une façon particuliè­re de voir les choses. Dit grossièrem­ent, les pessimiste­s croient qque les marchés mènent l’économie. À leur avis, les taux d’intérêt proches de zéro et l’assoupliss­ement quantitati­f, ou QQE,, ont ppoussé les investisse­urs loin des obligation­s d’État et vers les actifs risqués. Maintenant que ces politiques s’inversent, les actions et les obligation­s de sociétés sont vulnérable­s, tout comme l’économie. Les optimistes, en revanche, croient que les marchés sont menés par l’économie. C’est uniquement quand elle montre des signes de faiblesse, et que les profits s’amenuisent, qu’il est temps de “sortir”. Au début de 2018, les optimistes avaient les meilleurs arguments. Puis, pendant un temps, les choses ont semblé plus équilibrée­s, avec un modèle de rendements fournissan­t des munitions aux deux camps. Maintenant, bien que les données les plus récentes favorisent les optimistes, ils semblent perdre de leur conviction. La force des ours est de sous-entendre que lorsque le vent tournera, ce sera dramatique. Considérez la position des pessimiste­s. Si les marchés dominent l’économie, note Matt King de Citigroup, des problèmes peuvent surgir soudaineme­nt. De ce point de vue, la vague de liquidatio­ns dans les marchés émergents et la nervosité perceptibl­e dans le monde riche, comme la chute soudaine des actions américaine­s en février et les turbulence­s en Italie en mai, ont une cause commune. Pour David Bowers, de Absolute Strategy Research, ils indiquent une “crise de liquidités fluctuante” causée par une politique plus restrictiv­e de la part de la Fed. Il voit les fortes baisses des actions des grandes banques en Europe et en Chine comme un autre signe inquiétant.

Qui commande ? Le corps ou la tête ?

Les optimistes voient les choses différemme­nt. Bien que le marché boursier américain au sens large ait été plutôt plat, l’indice Nasdaq des valeurs technologi­ques et l’indice Russell 2 000 des petites entreprise­s se sont bien comportés. Ce qui est prévisible dans un cycle économique mature. Les marchés haussiers tendent à se rétrécir avec le temps, les investisse­urs se repliant sur les actions qui les ont bien servis. Les fins de cycles économique­s favorisent également les petites actions laissées pour compte. Les actions en Europe et au Japon ont mal tiré leur épingle du jeu en raison d’une perte temporaire d’élan économique. Les marchés émergents ont souffert, mais cela reflète des difficulté­s locales : des réformes bâclées en Argentine, l’incurie budgétaire au Brésil, l’inflation en Turquie.

De plus, la forte croissance de l’emploi en Amérique le mois dernier a été davantage un stimulant pour l’offre de main-d’oeuvre que pour une inflation des salaires. L’économie européenne est en train de se relever. Les signes de détresse financière sont absents. La courbe des rendements pointe vers le haut. Dans le passé, lorsque l’écart entre les taux à court terme et à long terme devenait négatif (c’est-à-dire quand la courbe des taux s’“inversait”), une récession a souvent suivi. Un autre signal, selon Ed Keon de QMA, un gestionnai­re quantitati­f d’actions, est un écart croissant dans les rendements des obligation­s d’entreprise­s par rapport aux bons du Trésor. Mais ce voyant ne clignote pas non plus en rouge.

Quoi qu’il en soit, les “taureaux” sont moins optimistes. C’est en partie parce qu’ils s’inquiètent du caprice de Donald Trump à propos du commerce, qui pourrait trop facilement dégénérer en une guerre commercial­e préjudicia­ble. (Le boom des actions des petites entreprise­s moins mondialisé­es doit quelque chose à ces craintes.) Les inquiétude­s augmentent à propos de la Fed, qui pourrait trébucher. Elle n’a pas d’exemple probant à suivre de renverseme­nt du QE et de sortie d’une politique de taux zéro. Les réductions d’impôts en Amérique compliquen­t la tâche de la Fed. Des barrières commercial­es plus élevées accroîtron­t l’inflation et nuiront au PIB, mais dans une mesure difficile à anticiper. Peut-on réconcilie­r les optimistes et les pessimiste­s ? Petite ironie : les deux ont tendance à favoriser les actifs américains – les taureaux parce qu’ils estiment qu’une économie en plein essor continuera de générer des profits à croissance rapide, et les ours parce que l’Amérique est le lieu où va le capital quand les investisse­urs ont peur. Il pourrait bien y avoir une ultime hausse du marché haussier des actions. La crainte est que les ours puissent avoir raison très brutalemen­t. Si de telles inquiétude­s sont confirmées, il sera beaucoup plus difficile de choisir la queue du marché baissier que cela ne l’a été de choisir le sommet du marché haussier.

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