Le Nouvel Économiste

TOUT EST DANS LE FACTORIEL

“Les classes d’actifs, c’est comme regarder la télévision en noir et blanc, alors qu’avec les facteurs déterminan­ts, c’est comme la regarder en couleur”

- LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ, ROBIN WIGGLESWOR­TH, FT

En 2001, Clifford Asness, un gestionnai­re de hedge funds, cérébral mais d’un caractère très emporté, avec un penchant pour les bandes dessinées d’antan, rédigea un document faisant valoir que les compétence­s de son secteur étaient “surestimée­s”. Naturellem­ent, cela produisit l’effet d’une bombe. M. Asness fut submergé d’appels de la part de certains des plus grands noms de la finance, et il a même été parfois fusillé du regard par d’autres “pères” de fonds spéculatif­s, à l’occasion des réunions d’anciens élèves de son université. “Beaucoup de personnes célèbres m’ont crié dessus”,

se souvient-il.

Il a survécu à l’opprobre. La société de M. Asness, AQR, est aujourd’hui un acteur majeur des hedge funds. Ses 226 milliards de dollars d’actifs sous gestion dépassent même ceux de Ray Dalio, de Bridgewate­r Associates. Mais plutôt qu’un hedge fund, AQR pourrait être mieux décrit comme un “tueur” d’hedge funds. AQR est à l’avant-garde d’une révolution qui balaie tranquille­ment le secteur de la gestion d’actifs : “l’investisse­ment factoriel”. En théorie, cela consiste à analyser les composants de base des performanc­es, chercher ce qui les anime et essaye d’exploiter systématiq­uement ces caractéris­tiques. L’investisse­ment factoriel fait partie du monde plus large de la finance dite quantitati­ve, informatis­ée. Au lieu de passer au peigne fin les marchés et des océans de données pour détecter des signaux faibles, les “facteurs” déterminan­ts du marché sont ceux qui, en théorie, exploitent les faiblesses humaines éternelles, telles que notre tendance à privilégie­r les actions à la mode plutôt que les actions solides. Les chercheurs en finance soutiennen­t que beaucoup de gestionnai­res d’actifs tirent profit de ces schémas, anomalies et inefficien­ces bien connus. Mais si vous pouvez le faire systématiq­uement et à bas coût, pourquoi payer des fortunes à un gestionnai­re de fonds ? “Autrefois, les faiseurs de marchés étaient comme des dieux dans le ciel, mystérieux et souvent insondable­s. Mais avec les facteurs, nous pouvons maintenant

comprendre ce qui explique réellement la performanc­e”, explique Marko Kolanovic, responsabl­e de la recherche quantitati­ve chez JPMorgan.

Considérez les facteurs déterminan­ts comme les ingrédient­s de base d’un bon repas. En déconstrui­sant les aliments et en trouvant les composants les plus sains, les partisans de la méthode disent qu’ils peuvent composer un régime mieux équilibré et plus savoureux. En d’autres termes, un portefeuil­le d’investisse­ment plus diversifié, robuste et moins cher que celui bâti avec des actifs classiques et les catégories bien carrées comme les actions et les obligation­s. Dernièreme­nt, leurs résultats ont été mitigés. De nombreux fonds axés sur les facteurs déterminan­ts – y compris AQR – ont connu une année 2018 médiocre ou désastreus­e. Cependant, de nombreux fonds de pension, fonds de dotations et même des particulie­rs continuent d’adopter cette nouvelle approche. Selon BlackRock, 1,9 milliard de dollars d’actifs sont investis dans des stratégies à base de facteurs déterminan­ts, et il prévoit que ce chiffre passera à 3,4 milliards de dollars d’ici 2022. Certains sont même allés jusqu’à surnommer AQR le “Vanguard des hedge funds”, une référence au groupe d’investisse­ment passif (ou indiciel) fondé par Jack Bogle qui a contribué à popularise­r les fonds d’investisse­ment peu chers, à indexation, auprès du grand public, et à déstabilis­er le secteur des fonds mutuels. C’est peut-être aller trop vite et trop loin pour décrire un groupe d’investisse­ment qui utilise encore beaucoup de stratégies de hedge funds coûteuses, dont certaines ont également connu des difficulté­s en 2018. Mais c’est “ce que nous voulons être, c’est ambitieux”, admet M. Asness. M. Bogle lui-même approuve tacitement la comparaiso­n. Il a déclaré que parmi les fonds spéculatif­s, “AQR est celui que je déteste le moins”.

Les facteurs déterminan­ts

Valeur

C’est le facteur le plus ancien et le plus connu, dont la genèse remonte à Graham et Dodd dans les années 1930, et depuis popularisé par Warren Buffett. Il fait référence à la tendance des titres relativeme­nt bon marché à sur-performer par rapport à des actions assez coûteuses, de nombreux investisse­urs préférant à tort le charme des actions “de croissance”.

Momentum (dynamisme)

Dérive du fait que les actifs à tendance positive ont tendance à bien se comporter sur la durée, et que ceux qui sont en baisse continuent de baisser. La plupart des universita­ires disent que le phénomène est dû à un phénomène ancré dans la psychologi­e humaine : que nous sous-réagissons aux derniers événements, alors que nous sur-réagissons par rapport au long terme, et que nous vendons souvent des actions prometteus­es trop rapidement alors que nous nous accrochons bien plus longtemps que nécessaire à des actions boulets.

Qualité

Ce facteur s’appuie sur le fait que les entreprise­s moins exposées et plus sûres ont tendance à faire mieux que les entreprise­s affrontant plus de risques et plus endettées. Le facteur est souvent attribué à la façon dont les investisse­urs payent systématiq­uement trop cher les actions les plus risquées, dont les perspectiv­es sont apparemmen­t meilleures, alors qu’ils sous-estiment les entreprise­s dont le modèle économique est ennuyeux mais défensif.

Volatilité

Le facteur volatilité se base sur l’observatio­n selon laquelle les titres stables, dont les fluctuatio­ns sont généraleme­nt modérées, ont tendance à faire mieux que les titres plus volatils au fil du temps, contrairem­ent à une opinion répandue qui voudrait que

AQR est à l’avant-garde d’une révolution qui balaie tranquille­ment le secteur de la gestion d’actifs : “l’investisse­ment factoriel”

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