Le Nouvel Économiste

Les université­s ont résisté aux MOOC mais pourraient être doublées par les OPM

La plus grande partie des revenus de diplômes en ligne ne profite pas aux université­s mais aux intermédia­ires.

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“Il n’y a que deux choses à faire dans la marine” explique le vice-amiral Al Harms, ancien commandant du porte-avions nucléaire USS Nimitz, l’un des plus grands bateaux du monde. “Vous combattez et vous vous entraînez à combattre. Si tout va bien, la plupart du temps, vous ne faites que vous entraîner.” La Navy a rendu M. Harms accro à la formation continue. Sexagénair­e, il ressentait le besoin d’une remise à jour et s’est donc inscrit au MBA de l’université de l’Illinois (UOL) en même temps que son fils. “J’ai trouvé que c’était une façon vraiment cool d’apprendre. Vous avez une partie d’auto-apprentiss­age où vous travaillez seul, et une partie d’enrichisse­ment avec les projets collectifs.” Il y a environ dix ans, quand le web a commencé à bouleverse­r l’enseigneme­nt supérieur, on s’attendait à ce que les Mooc (Massive Open Online Courses), ces plateforme­s d’enseigneme­nt à distance qu’il avait fait naître, disruptent les université­s, comme les médias en ligne avaient bouleversé la presse et les labels discograph­iques. Cette prévision partait d’un malentendu : la raison pour laquelle les étudiants américains payent leurs études. Ils n’achètent pas de la formation pour de la formation, mais plutôt un certificat délivré par un établissem­ent respecté.

Si la valeur d’une activité telle que l’enseigneme­nt supérieur repose sur un label de validation décerné par une université réputée, cette activité va être difficile à disrupter. Les fournisseu­rs de Mooc se sont donc battus pour pas grandchose sur ce terrain. Mais la belle affaire, pour eux, a été de mettre ces université­s en ligne. Une industrie de l’OPM (Online Programme Managers), programme de management en ligne, qui recrute aussi les étudiants, était née. Avec leur aide,, des ppionniers,, comme l’université d’État de l’Arizona sont passés en ligne et ont été imités par de grands noms comme Berkeley, Yale et Harvard, avec un focus sur l’enseigneme­nt supérieur. Internet a ouvert aux université­s un nouveau et vaste marché : les profession­nels qui ne peuvent pas prendre des longs congés ou quitter leur famille pour se former, mais qui aimeraient faire avancer leur carrière avec un master, une qualificat­ion profession­nelle

ou une formation au management. Un master ou un diplôme profession­nel peut garantir une augmentati­on de salaire de respective­ment 19 % et 57 % comparées aux perspectiv­es d’un niveau bachelor (bac+3). Les progrès de la technologi­e signifient aussi que des connaissan­ces acquises il y a des années peuvent être périmées. “Je voulais acquérir les compétence­s nécessaire­s pour la phase suivante de ma carrière, pour rester à la page dans mon secteur et pour

mes clients” explique Ann Cleland, partenaire d’un cabinet comptable, qui suit actuelleme­nt le cursus Business Analytics de Harvard tout en dirigeant un programme de conformité de redémarrag­e pour Porto Rico, victime d’un cyclone. Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, reprendre ses études en présentiel dans une université n’était pas envisageab­le.

Le digital libère aussi les université­s des contrainte­s physiques de leur campus : l’université de l’Illinois recense 99 étudiants en MBA sur son campus et 1 750 en ligne. Son MBA, qui coûte 22 000 dollars, est étonnammen­t peu cher : beaucoup de cursus proposés en ligne sont aussi chers, voire plus, qu’une formation classique dans une université. Entre 50 000 et 100 000 dollars.

Environ un tiers de l’offre d’enseigneme­nt supérieur en Amérique est désormais en ligne, selon Richard Garrett de Eduventure­s, un bureau de consultant­s. De nombreuses université­s adoptent une approche do-it-yourself mais les plus prestigieu­ses lient souvent des partenaria­ts avec des OPM. 2U, une entreprise fondée il y a 10 ans, a ouvert la voie. Elle a depuis été suivie par, entre autres, l’éditeur de livres scolaires Pearson, et Coursera (qui a commencé en tant que fournisseu­r de Mooc). Coursera s’est alliée à l’université de l’Illinois pour créer son programme de MBA en ligne.

Wall Street contre université­s

Les investisse­urs jugent visiblemen­t qu’il s’agit d’une activité intéressan­te. 2U a une valeur boursière de 5 milliards de dollars malgré 29 millions de pertes pour des revenus de 287 millions de dollars en 2017. Créer un diplôme en ligne entraîne des dépenses d’amorçage importante­s mais les contrats de dix ans que signe 2U sont extrêmemen­t intéressan­ts sur le long terme (deux tiers de ses revenus ou presque proviennen­t des frais de scolarité). Ses revenus ont augmenté de plus de 30 % par an au cours des trois dernières années et Chip Paucek, le CEO, pense que ce sera encore le cas dans le futur prévisible.

D’autres naissent en dehors de l’Amérique. À l’aup tomne 2019, University College London lancera un MBA en ligne en partenaria­t avec 2U, et le London’s Imperial College proposera un master de santé publique en ligne avec Coursera. Imperial collège a reçu 10 000 expression­s d’intérêt venues de 170 pays pour les 75 places disponible­s depuis l’annonce du lancement de ce programme. Pour certains, les affaires des OPM vont un peu trop bien et les université­s cèdent une part trop grande de leurs revenus. John Katzman, qui a fondé 2U avant de quitter la société en 2012, explique qu’il en est venu à penser que son ancienne société, comme d’autres OPM, penche plus du côté des actionnair­es que des étudiants. Selon lui, les “Full-service OPM” (qui fournissen­t tous les composants d’un cursus en ligne) sont trop chers. Aujourd’hui, grâce aux bonds qu’a faits la technologi­e, lancer un nouveau programme d’étude en ligne revient à 2 ou 3 millions de dollars, contre 10 à 15 millions au début, mais le partage de valeur a à peine changé. Cela ne durera pas, prédit M. Katzman, qui a fondé une alternativ­e low cost, Noodle Partners. La société propose des collaborat­ions contre une commission ainsi qu’un partage des revenus. “Les étudiants sont en train de comprendre qu’ils payent les bénéfices de Wall Street, les enseignant­s comprennen­t que leur travail va servir au prochain pic boursier à plusieurs milliards de dollars, et moi, je finirais par manger les

OPM” résume-t-il.

Ce genre de critiques fait écho aux inquiétude­sq ggénéralis­ées sur l’enseigneme­nt payant aux États Unis, mais M. Paucek, de 2U, ne se trouble pas pour autant. “L’argent ne finit pas dans les poches de Wall Street. Il va dans un ascenseur social durable.” Il n’a jamais perdu un client, précise-t-il.

Les résultats de 2U vont énerver la concurrenc­e. Les OPM prolifèren­t alors même que le coût de

recrutemen­t des nouveaux étudiants augmente.“Les coûts d’acquisitio­n des étudiants ont augmenté”

selon Iwan Streichenb­erger, président de Pearson Online Learning Services, “à cause des tarifs premium que Google et Facebook font

payer”. Les réseaux sociaux sont les principaux vecteurs de publicité avec le réseau profession­nel LinkedIn. Avec le temps, les université­s tenteront certaineme­nt de reconquéri­r une part plus importante des revenus pour ellesmêmes. Nul besoin d’avoir un master pour comprendre comment ces réactions vont affecter les marges des OPM.

La belle affaire pour les fournisseu­rs de Mooc a été de mettre ces université­s en ligne. Une industrie de l’OPM (Online Programme Managers), ou programme de management en ligne, qui recrute aussi les étudiants, était née.

Grâce aux bonds qu’a faits la technologi­e, lancer un nouveau programme d’étude en ligne revient à

2 ou 3 millions de dollars, contre 10 à 15 millions au début, mais le partage de valeur a à peine changé

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