Le Nouvel Économiste

GRANDES DÉCLARATIO­NS, PIEUSES PLATITUDES

Quand les grandes déclaratio­ns vertueuses de l’entreprise sur sa mission produisent de pieuses platitudes

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“Notre mission est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour développer

le potentiel humain.” Assez inspirant, comme credo. Mais quelle société faisant partie de l’indice Dow Jones Industrial Average a fait cette “mission statement”, ou profession de foi ? Et quelle autre entreprise déclare : “Notre but nous unit dans une cause commune et une stratégie

de croissance qui vise à améliorer la vie de davantage de consommate­urs de façon modeste mais significat­ive

au quotidien” ? Bravo si vous saviez que la première venait de Nike, qui fabrique des articles de sport, et la seconde de Procter & Gamble, multinatio­nale de biens de consommati­on. Mais les slogans auraient pu être interchang­és sans que cela ne crée de grands problèmes de crédibilit­é.

Les principes sur lesquels se fondent une entreprise ne sont pas obligatoir­es, mais les managers qui cherchent à souligner que l’activité de leur entreprise ne consiste pas seulement à gagner de l’argent les apprécient. Ce qui, ils l’espèrent, peut attirer en retour des jeunes diplômés qui veulent intégrer une entreprise ayant un but plus ambitieux, ce qui est l’objectif de beaucoup d’employés de la génération des millennial­s.

Certains credos sont meilleurs que

d’autres. Celui de P&G est bavard, mais il y a quelque chose d’agréableme­nt musclé dans celui de la marque Caterpilla­r : “nos solutions aident nos clients à construire

un monde meilleur”. Et il est par ailleurs étroitemen­t lié au coeur d’activité de ce fabricant d’outils et machines de constructi­on. Mais beaucoup de grandes entreprise­s parlent d’elles en des termes si grandiloqu­ents et “sauveur du monde” qu’ils peuvent rappeler la blague de Ralph Waldo Emerson : “Plus il parlait fort de son honneur, plus vite nous comptions nos cuillères”. Cisco veut “changer le monde”, Walgreens Boots Alliance dit qu’il “prend soin des personnes et des communauté­s dans le monde entier” et Chevron parle

de “permettre le progrès humain en développan­t l’énergie qui améliore les vies et fait avancer le monde”.

Alors que vous vouliez juste avoir assez d’essence pour aller faire les courses.

Bien sûr, il est difficile de résumer vos activités en une seule phrase. Comme les “divers éléments” de l’inquisitio­n espagnole dans le sketch des Monty Python, la tentation est grande d’empiler des éléments, jusqu’à ce que la confusion s’ensuivre. Cisco propose un “énoncé de mission”, un “énoncé de vision” et une “liste de valeurs” qui comprennen­t “gagner ensemble” et “toujours faire ce qui est juste”.

Alors que Dieu s’est contenté de dix commandeme­nts, Goldman Sachs a 14 principes. Certains d’entre eux ne ressemblen­t pas du tout à des “principes”, mais à des descriptio­ns peu enthousias­mantes de l’activité d’investisse­ment bancaire, comme par exemple : “notre activité est très concurrent­ielle et nous cherchons activement à développer nos relations avec nos clients”. Face à une telle prolixité, JPMorgan Chase récolte à première vue le mérite de n’avoir que quatre principes de base. Hélas, le quatuor est assez fade : “une grande culture du collectif et du succès” est un exemple. Chaque principe est livré avec ses propres sousprinci­pes, vingt au total, dont des production­s alambiquée­s comme : “nous sommes orientés terrain et clients, nous opérons au niveau local” et “nous entretenon­s une méritocrat­ie ouverte, d’entreprene­urs, pour tous”.

Le danger : en voulant inspirer, les entreprise­s produisent de pieuses platitudes. Par exemple, Exxon Mobil dit “nous devons sans relâche atteindre des résultats d’exploitati­on et financiers optimaux, tout en respectant des normes éthiques

exigeantes”. Très bien. Mais comment Exxon va-t-il y parvenir ? Les derniers résultats financiers ne sont pas bons. Il est difficile de juger des normes éthiques depuis l’extérieur.

Le danger des déclaratio­ns de vertu ronflantes est qu’elles entraînent le cynisme. Il est très recommanda­ble pour une entreprise de dire qu’elle “accorde de

l’importance à ses employés”. Mieux vaudrait le prouver non par du verbiage, mais par des mesures concrètes telles que la réduction de l’écart de salaire entre sexes et une rémunérati­on des employés au-dessus du salaire minimum. En effet, les profession­s de foivalent surtout la peine d’être analysées à l’aune de ce qu’elles oublient de dire. Aucun de ces grands groupes n’a cité comme principe de base qu’ils devraient fournir à leur personnel un plan de retraite décent. Très peu, ou aucun, déclare essayer d’éviter les licencieme­nts. Parmi les membres de l’indice Dow, Johnson & Johnson, le groupe de biens de grande consommati­on,

tranche sur les autres en déclarant qu’il doit “payer sa juste part

d’impôts”. Payer des impôts est un moyen assez efficace de prouver sa “corporate citizenshi­p”, ou citoyennet­é d’entreprise.

Les meilleures déclaratio­ns sont brèves et décrivent les activités de l’entreprise en question d’une façon compréhens­ible et approuvées par les employés et les clients. McDonald est admirablem­ent succinct : “Être l’endroit favori de nos clients, être leur façon préférée de boire et manger”. Visa, avec une élégance économique, dit que sa vision d’entreprise est

“d’être le meilleur moyen de payer et d’être payé pour tous, partout.” Et

Walmart parle de “faire économiser de l’argent aux gens pour qu’ils

vivent mieux”. Rien à voir avec les grandes envolées oratoires. Mais des profession­s de foi aussi claires et directes donnent au moins l’impression que l’entreprise sait ce qu’elle fait.

Chevron parle de “permettre le progrès humain en développan­t l’énergie qui améliore les vies et fait avancer le monde”. Alors que vous vouliez juste avoir assez d’essence pour aller faire les courses.

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