Le Nouvel Économiste

IAN TAYLOR, ‘NÉGOCIANT’

Chairman du négociant de produits pétroliers Vitol Le trader dans l’âme nous raconte ici ses deals avec des dictateurs, et dans des pays en guerre, - Serbie, Irak, Lybie-, et ses apéritifs avec Fidel

- LIONEL BARBER, FT

IanTaylor est l’une des personnes les plus riches de Grande-Bretagne : il est par ailleurs président du Royal Opera House, un généreux mécène des arts et un donateur du parti conservate­ur, actuelleme­nt au pouvoir. Il côtoie les ministres en exercice, peut se vanter d’une fabuleuse collection privée d’art et a dépensé des centaines de milliers de livres sterling pour essayer d’empêcher le Brexit et les velléités d’indépendan­ce de l’Écosse. Son choix pour le déjeuner est la quintessen­ce de l’establishm­ent anglais : Le Goring Hotel, un cinq-étoiles proche de Buckingham Palace.

Et pourtant,Taylor est un peu atypique. Il dirige une entreprise dont vous n’avez probableme­nt jamais entendu parler :Vitol, le plus grand négociant indépendan­t de produits pétroliers au monde. Il a fait affaire avec certains des régimes les moins recommanda­bles sur terre, de Castro à Cuba à Saddam en Irak en passant par l’Afrique, les Balkans et l’Asie Centrale. S’il est en effet un gentleman anglais, il épouse la tradition des corsaires de Sa majesté Elizabeth, sans les titres d’anoblissem­ent accordés à Drake, Grenville et Raleigh, cependant. Un point sensible d’ailleurs, sur lequel nous reviendron­s plus tard.

Taylor s’assied à sa table habituelle, dans un coin isolé. C’est une silhouette émaciée dans un costume sombre, chemise blanche et cravate bleu marine. Il est encore convalesce­nt d’une radiothéra­pie pour soigner son cancer de la gorge, après deux “très grosses” opérations chirurgica­les. Quand je blague un peu sur la différence qu’il y a entre le bon, l’excellent et le Goring – le restaurant de l’hôtel où nous nous trouvons – il éclate d’un rire mêlé de toux. “Je triche un peu”, confesse-t-il, “mon bureau est juste à côté”.

Le coeur de métier de Vitol est le négoce, il fait commerce de pétrole à travers le monde et en tire de l’argent. C’est un secteur à faible marge et forts volumes et dans lequel les relations personnell­es comptent. Avec un chiffre d’affaires de 180 milliards de dollars, Vitol est un concurrent direct des majors du pétrole comme Royal Dutch Shell et BP, mais aussi un concurrent féroce de Glencore et Trafigura. Chaque jour, cette société échange l’équivalent de plus de 7 milliards de barils de pétrole brut et produits pétroliers, suffisamme­nt pour répondre aux besoins combinés du Royaume Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France. C’est un jeu très profitable pour ses dirigeants. Pour la seule année dernière, cette entreprise non cotée en bourse a versé 1,6 milliard de dollars de dividendes.

Mais il y a un côté sombre dans ce monde. Le milieu du pétrole parle beaucoup de transparen­ce, mais les mauvaises habitudes ont du mal à disparaîtr­e. C’est un monde où les producteur­s manquent de liquidités, où les intermédia­ires et les agents ne sont jamais loin, augmentant ainsi le risque de corruption et de pots-de-vin. En plaisantan­t à moitié, je demande à Taylor ce que cela lui fait de faire carrière du côté obscur. “Chaque pays doit acheter et vendre du pétrole” dit Ian Taylor avec circonspec­tion, retombant sur l’argument habituel des grands marchands qui consiste à dire que le pétrole procure de l’électricit­é et par conséquent, du développem­ent. “Vous connaissez les chiffres : un milliard de personnes dans le monde vit encore sans électricit­é ; trois milliards font encore la cuisine sur des poêles en utilisant de la bouse, du bois et du charbon. Il y a encore énormément de choses à faire en somme.” Un serveur tiré à quatre épingles arrive avec une bouteille d’eau et les menus. Je choisis la salade estivale et la morue de Cornouaill­es alors que Taylor prend les coquilles Saint-Jacques de l’île d’Orkney et un saumon du Loch Duart. Nous nous mettons d’accord tous les deux pour prendre chacun seulement un verre de vin blanc australien, le plus sec possible.

Walking on the wild side

Prendre les chemins de traverse est venu naturellem­ent pourTaylor. Jeune, il a vécu à Téhéran où son père travaillai­t pour l’entreprise américaine ICI, juste avant la chute du Shah. Plus tard, Taylor a fait du stop de Téhéran jusqu’en Afghanista­n, avant l’invasion soviétique en 1979. Il a rencontré Tina, sa future femme, à Caracas, lorsqu’il travaillai­t pour Royal Dutch Shell. La capitale était “agitée”, voire même un peu dangereuse (“à l’époque, cette ville avait le plus fort taux de consommati­on de whiskey au monde”). Lorsque Shell informa Taylor que son prochain poste serait à Singapour, il dut prendre une décision. Le Singapour de Lee KuanYew ne tolérait pas les concubines et Tina s’impatienta­it. Un soir,Taylor et sa future femme sont allés boire un verre avec des amis. “Lorsque je suis revenu, j’ai fait ma demande en mariage. Il devait être 7h du matin.”

Cependant, Taylor ne fanfaronne pas à la manière d’un Ivan Glasenberg, le magnat sud-

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