Le Nouvel Économiste

PÉNURIE DE COMPÉTENCE­S

Seule possibilit­é de surmonter la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée amplifiée par la révolution numérique

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Les entreprise­s américaine­s ont dépensé 91 milliards de dollars pour la formation de leur personnel l’an dernier, une augmentati­on d’un tiers par rapport à ce qu’elles ont dépensé en 2016. Selon un sondage réalisé par ‘Training Magazine’, cela équivaut à plus de 1 000 dollars par membre du personnel formé. Cette progressio­n est très encouragea­nte. Globalemen­t en effet, l’offre de formation en cours d’emploi avait diminué de moitié, aussi bien en Amérique qu’en Grande-Bretagne, au cours des deux dernières décennies. Les entreprise­s sont souvent peu disposées à proposer ces formations. Une étude réalisée en 2009 par l’OCDE, club de pays riches pour la plupart, craint que “l’industrie, laissée à elle-même, ne soit pas incitée à fournir une formation suffisante”. Ceci par crainte de voir les employés profiter de leur formation pour aller proposer leurs compétence­s à un concurrent.

La formation est encore plus importante dans un monde où l’évolution technologi­que, est rapide, où les tâches peu qualifiées sont de plus en plus automatisé­es et où l’intelligen­ce artificiel­le (IA) transforme de nombreux emplois dans les services. Pour avoir une chance de faire une longue carrière bien rémunérée, les travailleu­rs ont besoin de formation.

Chez IBM, Diane Gherson, directrice des ressources humaines, affirme que les compétence­s des employés ne restent pertinente­s que trois ans. La formation est donc “l’élément vital de toute entreprise de technologi­e”. IBM a créé une “académie d’IA” dans laquelle les employés suivent des cours à partir d’un programme fourni par Coursera, une plateforme d’apprentiss­age en ligne fondée par Andrew Ng, un pionnier de l’IA, et Daphne Koller, une informatic­ienne, tous deux de l’université de Stanford. En route pour des pièges à clics comme : “Reengineer­ing d’un processus d’intelligen­ce artificiel­le : étude de cas”, et “Améliorer des réseaux neuronaux profonds : réglage d ’hyper paramètres, régularisa­tion et optimisati­on”.

Les cours sont généraleme­nt dispensés en ligne et les employés étudient souvent à leur propre rythme. Ceux qui terminent un cours peuvent se qualifier pour un “badge” numérique qui renforce leur profil de carrière sur des plateforme­s telles que Linked In. En 2016-18, plus de 200 000 employés d’IBM ont gagné 650 000 badges et l’employé moyen a suivi 60 heures de formation par an. IBM a également un programme qui vise à retenir les travailleu­rs qui pourraient être tentés d’aller voir ailleurs.

Au cours des cinq dernières années, selon IBM, la proportion de ses employés qui ont acquis des compétence­s numériques avancées est passée de 30 % à 80 %. (Les compétence­s numériques comprennen­t la connaissan­ce de l’intelligen­ce artificiel­le, l’analytique, le cloud computing, l’Internet des objets et la cybersécur­ité.)

Patrick Hourigan a passé près de 12 ans chez IBM, d’abord comme ingénieur systèmes télécoms, puis comme développeu­r de logiciels. Il y a trois ans, il a rejoint la division sécurité et a opté pour un cours de machine learning et d’intelligen­ce artificiel­le. Cela lui a pris environ 50 à 60 heures sur six semaines. “La technologi­e est en constante évolution, dit-il. La tech de l’année dernière devient une passerelle vers la tech de cette année.”

IBM est loin d’être le seul à souligner l’importance de la formation. En 2013, AT&T, le géant des télécommun­ications, a lancé un programme de formation appelé Workforce 2020. Une partie du programme s’appuyait sur une plateforme en ligne avec un outil permettant aux employés d’analyser les tendances en matière d’embauche au sein de l’entreprise et de déterminer quelles compétence­s sont nécessaire­s pour se qualifier pour ces emplois. En collaborat­ion avec l’université Georgia Tech, et Udacity, qui diffuse des cours en ligne, AT&T propose un master peu coûteux en sciences informatiq­ues.

En tant que multinatio­nales de technologi­e, AT&T et IBM disposent des moyens nécessaire­s pour offrir des programmes de formation substantie­ls. Les petites entreprise­s peuvent trouver la perspectiv­e intimidant­e, mais l’existence de cours en ligne signifie que c’est à leur portée. Et elles doivent essayer. Les entreprise­s américaine­s auront besoin d’environ 1,4 million de nouveaux emplois en informatiq­ue et en ingénierie d’ici 2020. Beaucoup d’entreprise­s s’inquiètent d’une pénurie de talents dans certains domaines critiques. Un récent sondage mené de l’Enterprise Strategy Group, une société de market intelligen­ce, a montré que 51 % des entreprise­s manquaient de compétence­s en cybersécur­ité, elles n’étaient que 23 % en 2014.

Le problème est peut-être même encore plus grave en Europe. Un rapport de la Commission européenne a révélé l’année dernière que 15 % des travailleu­rs ne possédaien­t même pas les compétence­s numériques de base, ceci alors que 88 % des entreprise­s n’avaient pris aucune mesure pour résoudre le problème. Une enquête menée par l’Associatio­n of Internatio­nal Certified Profession­al Accountant­s a souligné qu’un quart des employés britanniqu­es n’avaient reçu aucune formation au cours des 12 derniers mois.

Pourtant, les managers savent que le changement technologi­que exigera de leurs employés qu’ils acquièrent de nouvelles compétence­s. De plus, l’offre de l’enseigneme­nt supérieur ne suffira pas à répondre aux besoins en raison des cursus choisis par les étudiants, et l’immigratio­n ne peut pas résoudre le problème étant donné le contexte politique. Les entreprise­s devront donc former elles-mêmes les travailleu­rs. L’augmentati­on récente de leurs dépenses dans ce domaine n’est donc qu’un début.

Les entreprise­s sont souvent peu disposées à proposer ces formations, par crainte de voir les employés profiter de leur formation pour aller proposer leurs compétence­s à un concurrent

L’offre de l’enseigneme­nt supérieur ne suffira pas à répondre aux besoins en raison des cursus choisis par les étudiants, et l’immigratio­n ne peut pas résoudre le problème étant donné le contexte politique. Les entreprise­s devront donc former elles-mêmes les travailleu­rs.

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