Le Nouvel Économiste

La revanche du journalism­e

Le retour aux sources de la rédaction dans un univers d’infobésité

- EDOUARD LAUGIER

“Même si les changement­s paraissent immenses, nous n’en sommes qu’au début”, prévient l’économiste des médias Dominique Augey. Au début? “Demain, la production de presse écrite sera confrontée à d’importants sujets comme le robot-journalism­e, le datajourna­lisme et bien sûr l’intelligen­ce artificiel­le.” Voilà de quoi faire cogiter les directions des rédactions pendant de nombreuses années encore.

L’attrition journalist­ique

Car depuis 20 ans maintenant, le paysage de la production d’informatio­ns connaît de profonds bouleverse­ments et de singulière­s ruptures. “Cette mutation prend ses racines dans la combinaiso­n d’une transforma­tion rapide et continue de la technologi­e et d’évolutions sociales de fond”, constate le chercheur Jean-Marie Charon. Concrèteme­nt, le marché est traversé par plusieurs phénomènes, qui vont de l’apparition de nouveaux entrants pure players du web à la fifin de la différenci­ation par la périodicit­é – tous quotidiens, tous concurrent­s – en passant par l’explosion des coûts technologi­ques et humains dans le numérique ou le phénomène des fake news… Tout cela a pour conséquenc­e de bousculer les façons de produire du contenu dans les rédactions. Force est de constater qu’entre 1995, date d’apparition des premiers sites web de journaux en France, et 2010, les éditeurs ont beaucoup expériment­é. “C’était une période laboratoir­e avec beaucoup de frilosité et une prise de risques très lente chez les éditeurs, se souvient Dominique Augey. Les équipes print et web se mélangeaie­nt pas, les contenus des nes e journaux n’étaient pas vraiment mis en ligne…”. Ces tâtonnemen­ts peuvent se comprendre, en particulie­r en France où les entreprise­s de presse ont trop longtemps été de petite taille et peu capitalisé­es. Plus grave, face à la révolution numérique, la première réaction des éditeurs a été de procéder à des réductions – et à des transforma­tions – des coûts par des restructur­ations massives ...

“Même si les changement­s paraissent immenses, nous n’en sommes qu’au début”, prévient l’économiste des médias Dominique Augey, Au début ? “Demain, la production de presse écrite sera confrontée à d’importants sujets comme le robot-journalism­e, le data-journalism­e et bien sûr l’intelligen­ce artificiel­le.” Voilà de quoi faire cogiter les directions des rédactions pendant de nombreuses années encore.

L’attrition journalist­ique

Car depuis 20 ans maintenant, le paysage de la production d’informatio­n connaît de profonds bouleverse­ments et de singulière­s ruptures. “Cette mutation prend ses racines dans la combinaiso­n d’une transforma­tion rapide et continue de la technologi­e et d’évolutions sociales de fond”, constate le chercheur Jean-Marie Charon. Concrèteme­nt, le marché est traversé par plusieurs phénomènes, qui vont de l’apparition de nouveaux entrants pure players du web à la fin de la différenci­ation par la périodicit­é – tous quotidiens, tous concurrent­s –, en passant par l’explosion des coûts technologi­ques et humains dans le numérique ou le phénomène des fake news… Tout cela a pour conséquenc­e de bousculer les façons de produire du contenu dans les rédactions. Force est de constater qu’entre 1995, date d’apparition des premiers sites web de journaux en France, et 2010, les éditeurs ont beaucoup expériment­é. “C’était une période laboratoir­e avec beaucoup de frilosité et une prise de risque très lente chez les éditeurs, se souvient Dominique Augey. Les équipes print et web ne se mélangeaie­nt pas, les contenus des journaux n’étaient pas vraiment mis en ligne…”. Ces tâtonnemen­ts peuvent se comprendre, en particulie­r en France où les entreprise­s de presse ont trop longtemps été de petite taille et peu capitalisé­es. Plus grave, face à la révolution numérique, la première réaction des éditeurs a été de procéder à des réductions, -et non pas à des transforma­tions-, des coûts par des restructur­ations massives des rédactions. “En presse quotidienn­e, tous les titres ont eu recours à cette potion amère, certains à plusieurs reprises comme Libération, que ce soit sous la forme de plans sociaux ou par des clauses de cession à l’occasion de changement d’actionnair­es, rappelle Jean-Marie Charon. Sauf que cette réponse à ses limites.” En effet, comment “couvrir” événements et secteurs comme l’attendent les lecteurs avec de moyens limités ou fortement réduits ? Chez les éditeurs, nous assistons à une prise de conscience de la nécessité du métier de journalist­e dans un univers d’infobésité. Sur imprimé comme sur écran, il revalorise l’informatio­n en apportant du fond, du sens et de l’explicatio­n. Internet a redonné ses lettres de noblesses au journalism­e.

La résilience des marques de presse

Ces “vieux” titres sont des marques fortes et anciennes. qui ont établi un contrat de confiance et de réputation avec les lecteurs. Dans un contexte où s’imposent les questions de post-vérité, “fake news”, fausses nouvelles et autres formes de désinforma­tion, l’enjeu de la crédibilit­é des medias d’informatio­n est essentiel

Le journalist­e est aussi celui qui va labelliser l’informatio­n avec la marque du journal, et parfois aussi sa propre marque profession­nelle. Le digital consacre ainsi les marques de presse au sens large. “Il y a 20 ans, on aurait pu penser que de nouvelles marques sur Internet allaient remplacer les journaux ‘historique­s’ de presse écrite, comme c’est aujourd’hui le cas avec Amazon dans le e-commerce, mais il n’en est rien”, estime Philippe Colombet, le directeur digital du groupe Bayard. ‘La Croix’ a justement 140 ans, ‘Le Figaro’

plus de 150, ‘Les Échos’ 110, ‘Le Monde’ 70, sans oublier Le nouvel Economiste 40 ans, ces “vieux” titres sont des marques fortes et anciennes. Génération après génération, elles ont conquis un large public. Elles ont établi un contrat de confiance et de réputation avec les lecteurs. Dans un contexte où s’imposent les questions de post-vérité, “fake news”, fausses nouvelles et autres formes de désinforma­tion, l’enjeu de la crédibilit­é des médias d’informatio­n est essentiel. Les grandes marques de presse y répondent. Preuve en est, la pprésence des ggroupesp médias comme Le Figaro, L’Équipe ou Le Monde dans le Top 20 des marques les plus visitées de Médiamétri­e, avec respective­ment 19,3, 17,4 et 17,2 millions de visiteurs uniques mensuels. Pour l’historien des

médias Patrick Eveno, les succès d’audience de ces éditeurs ne sont

pas une surprise. “Internet consacre la consommati­on de l’informatio­n à l’article. Un article intéressan­t par jour ne suffit pas, il en faut beaucoup plus. La force des grands journaux se trouve dans leur capacité à produire de nombreux contenus par leur rédaction abondante et puissante. Les quotidiens sont avantagés sur les autres familles de presse”.

L’innovation et l’expériment­ation progressiv­e

Des journalist­es en nombre, des marques de presse en force, la boucle est bouclée ? Pas tout à fait. “Aujourd’hui nous sommes dans une phase de maturité mais les deux mondes du journalism­e et celui de

l’informatiq­ue ne font juste que se rencontrer”, observe Dominique Augey.gy La rédaction du XXIe siècle reste encore à inventer. Éric Scherer, directeur de la prospectiv­e et du MédiaLab de France Télévision­s, en esquisse le portrait : “Pour réussir, une rédaction doit mettre au centre les nouvelles technologi­es et les données, avoir un ADN social, être à l’aise avec le temps réel, les mobiles et les nouvelles plateforme­s de distributi­on qui remodèlent le journalism­e, ou encore ne pas craindre la personnali­sation accrue des contenus”. Les chantiers sont ouverts. Pratiqueme­nt dans toutes les rédactions, le mot d’ordre est “Digital first”. “Les journaux doivent répondre aux différente­s temporalit­és de l’informatio­n imposée par le numérique”, expliquait Jérôme Fenoglio, le patron

des rédactions du Monde sur le plateau du Buzz Média du Figaro. Un avis que partage Bertrand Gié, pour qui “le grand changement est de celui de la temporalit­é” (voir Trois questions à). L’offre de nouvelles à chaque instant contraint les éditeurs à mettre en place des modèles éditoriaux reposant sur la densité et l’enrichisse­ment plutôt que l’immédiatet­é. Dans cette logique, la fonction de secrétaire de rédaction retrouve par exemple un second souffle dans les journaux. Sur Internet, il devient un véritable éditeur qui finalise la mise en valeur de l’article sur les supports numériques. Chez 20 Minutes, ils sont quatre à se relayer toute la journée. “La valeur ajoutée de la production d’informatio­n réside aussi dans l’exploratio­n de terres inconnues ou encore peu

défrichées”, remarque Jean-Marie Charon qui a consacré un essai* à cette transforma­tion en cours. Parmi les innovation­s éditoriale­s les plus marquantes, le désormais bien connu “fact checking”, investigat­ion qui consiste à vérifier les faits. Il est largement pratiqué dans les quotidiens français. Libération, pionnier dans le genre, dispose d’une équipe Désintox, et même d’un moteur de recherche baptisé Checknews. De son côté, Le Monde a les Décodeurs. OutreAtlan­tique, le New York Times a créé un “Reader center” dédié aux relations et échanges des lecteurs avec le journal. Pour Jean-Marie Charon, “Il n’y a pas d’évidence ou de modèle ‘prêt à copier-coller’, eut-il fait ses preuves outre-Atlantique ou ailleurs. La priorité est de prendre à bras-le-corps la question de l’innovation, de la stimulatio­n de la créativité et de l’expériment­ation”. Innovation, créativité, expériment­ation… Il n’y a en effet pas de raisons pour les rédactions de presse d’échapper à ces problémati­ques qui touchent toutes les organisati­ons.

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