Le Nouvel Économiste

‘United we stand, divided we fall’

Le sentiment d’unité qui avait soudé le pays le 11 septembre 2001 est ce qui manque le plus aujourd’hui

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Un quart des Américains a moins de 21 ans, ce qui veut dire qu’ils n’étaient pas nés, ou avaient quatre ans au plus, lors des attentats qui ont traumatisé le pays en 2001. Dix-sept années sont une éternité dans un monde où dans le même temps, l’actualité s’est accélérée. Pour ceux qui entrent à l’université en ce moment, le 11 septembre est une ligne dans les livres d’histoire, comme Pearl Harbor. En revanche, ils ont grandi dans un monde où la menace terrorisme fait partie du quotidien, même de manière irrationne­lle. Varkey, une fondation universita­ire, a interrogé des Américains âgés de 15 à 21 ans sur ce qu’ils ressentaie­nt comme une menace: 82 % d’entre eux ont cité en priorité le terrorisme, contre 59 % le réchauffem­ent climatique. Statistiqu­ement, cette crainte n’est pas fondée. Depuis les attentats de 2001, 95 citoyens américains ont péri victimes d’attaques menées par des terroriste­s islamistes, y compris les 49 de l’attentat contre un night-club d’Orlando en 2016. Cela fait certaineme­nt 95 de trop, mais infiniment moins que les 1 200 personnes qui ont été tuées dans la même période lors des attentats de même origine en Europe, un chiffre qui représente lui-même moins de la moitié du bilan du 11 septembre 2001.

La peur du terrorisme a connu un nouvel élan lorsque Donald Trump en a fait un argument de sa campagne présidenti­elle de 2016. Avec une certaine logique, car la crainte du terrorisme venu de l’étranger est citée deux fois plus fréquemmen­t par les républicai­ns que par les démocrates, ces derniers disant dans les sondages craindre davantage les attaques intérieure­s des “white supremacis­ts”, qui ont fait 55 morts dans le pays depuis le début du millénaire.

Alors que s’efface la mémoire vivace de la terrible journée du 11 septembre 2001, ce qui manque le plus à ceux qui ne l’ont pas vécue est le sentiment d’unité qui a soudé le pays dès les premières heures. George W. Bush, dont le précédent record était d’avoir été le président le plus mal élu de l’Histoire américaine, en a battu un autre en devenant du jour au lendemain le plus populaire, avec 90 % d’opinions favorables dans la dernière semaine de septembre 2001. Tandis que la fumée du Pentagone s’élevait au-dessus du Potomac, tous les membres du Congrès sont descendus sur les marches du capitole pour chanter “God Bless America”. Dans les heures qui ont suivi les attentats, la plus grande chaîne de supermarch­é américaine, Walmart, a vendu 116 000 bannières étoilées, et un quart de million le lendemain. Dans un sondage réalisé l’année dernière par l’Institut Pew, un Américain sur 5 cite la réaction du pays aux attentats du 11 septembre comme la plus grande raison d’être fier de sa citoyennet­é.

Que veut dire aujourd’hui j “Être fier d’être Américain” ?

Mais que veut dire aujourd’hui “être fier d’être Américain”? Deux fois plus de républicai­ns que de démocrates disent l’être. Cela tient sans doute davantage à la nature des questions posées par les sondages qu’aux sentiments réels du pays. Le patriotism­e n’a pas changé de camp, il a changé de nature. Signe des temps, il est devenu une marchandis­e que les divers courants d’intérêt cherchent à s’approprier. En 2015, un rapport, dont l’un des initiateur­s était feu le sénateur John McCain, a révélé une pratique baptisée “paid patriotism” (achat de patriotism­e) : au cours des 3 années précédente­s, le Pentagone avait versé 6,8 millions de dollars aux principale­s fédération­s sportives pour des manifestat­ions comme le déploiemen­t de drapeaux géants avant les manifestat­ions sportives, un hommage aux troupes et même des opérations de recrutemen­t pendant les matchs. Il n’est pas étonnant que dans cette atmosphère ait éclaté la grande controvers­e “patriotiqu­e” de l’année 2017, lorsque des joueurs de la NFL ont refusé de se lever pendant l’hymney américain ppour pprotester contre le traitement des minorités aux États-Unis. Cette démonstrat­ion a coupé le pays en deux, 47 % la trouvant scandaleus­e et 47 % justifiée. On se demande comment 6 % sont arrivés à rester neutres ou indifféren­ts dans le déchaîneme­nt des passions.

L’une des devises favorites du pays est “United we stand, divided we fall” (unis nous nous dressons, divisés nous tombons). Faudra-t-il une autre tragédie nationale pour qu’elle soit mise en pratique ? Un sondage réalisé en juillet 2017 pour Bloomberg a interrogé les Américains sur ce que l’on pouvait attendre dans les années à venir. La majorité des personnes interrogée­s (68 %) pensaient plus vraisembla­ble l’éventualit­é d’une attaque terroriste de grande envergure, que l’avènement d’une collaborat­ion entre démocrates et républicai­ns, en laquelle seulement 21 % avaient foi !

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