Le Nouvel Économiste

Avons-nous tiré les leçons de la crise financière de 2008?

Japon, 1997, États-Unis et Europe, 2008. Et maintenant, à qui le tour ?

- GILLIAN TETT, FT

Un jour du début de l’été 2007, j’ai reçu – et c’était inattendu – un courriel d’un membre érudit de la Banque centrale japonaise, du nom d’Hiroshi Nakaso. “Je suis un peu inquiet”, commença-t-il avec son habituelle réserve, avant de m’avertir qu’une crise financière était sur le point d’exploser à cause des problèmes sur les marchés du crédit et de l’immobilier américains.

J’étais stupéfaite. Et ce n’était pas parce que j’étais en désaccord avec l’analyse de Hiroshi Nakaso. En juin 2007, je couvrais le secteur du crédit depuis deux ans déjà pour la rubrique marchés financiers du ‘Financial...

Un jour du début de l’été 2007, j’ai reçu – et c’était inattendu – un courriel d’un membre érudit de la Banque centrale japonaise, du nom d’Hiroshi Nakaso. “Je suis un peu inquiet”, commença-t-il avec son habituelle réserve, avant de m’avertir qu’une crise financière était sur le point d’exploser à cause des problèmes sur les marchés du crédit et de l’immobilier américains. J’étais stupéfaite. Et ce n’était pas parce que j’étais en désaccord avec l’analyse de Hiroshi Nakaso. En juin 2007, je couvrais le secteur du crédit depuis deux ans déjà pour la rubrique marchés financiers du ‘Financial Times’ à Londres, et j’étais mal à l’aise. J’étais étonnée que ce soit en fait M. Nakaso qui me mette en garde. Niché de l’autre côté du globe, à Tokyo, il travaillai­t dans cet immeuble gris qui ressemblai­t presque à un château fort et qui abrite la Banque centrale du Japon. Ses collègues des banques centrales américaine et européenne, bien plus proches des marchés des subprimes, n’avaient pas l’air aussi inquiets. Au contraire, Alan Greenspan, l’ex-président de la Réserve fédérale américaine, avait passé la précédente décennie à célébrer le triomphe (apparent) des marchés financiers occidentau­x. Et son successeur, Ben Bernake, venait tout juste de déclarer que les problèmes sur le marché des subprimes étaient tellement “limités” qu’ils n’auraient pas de “répercussi­ons significat­ives”. Alors pourquoi M. Nakaso était-il pessimiste ? “Du déjà vu”, a-t-il répondu. Une décennie plus tôt, en 1997, M. Nakaso travaillai­t à la Banque centrale du Japon lorsque Tokyo a connu une terrible crise bancaire, provoquée par mille milliards de dollars de prêts bancaires pourris, créés par le “baburu keiki”, la bulle spéculativ­e immobilièr­e des années 1980, la fameuse crise japonaise. Nous nous étions rencontrés durant cette période tumultueus­e. À l’époque, j’étais correspond­ante du ‘Financial Times’ à Tokyo et parfois nous discutions de la crise autour de petits paquets de riz onigri et de thé vert. Lorsque j’ai quitté le Japon en 2000, la crise était presque terminée. Les Occidentau­x la considérai­ent comme une simple note de bas de page dans l’histoire mondiale de la finance, qui concernait avant tout un échec spécifique­ment japonais. Personne à Wall Street ou à la Réserve fédérale ne pouvait imaginer que le système financier américain pourrait un jour subir la même

Si vous voulez comprendre les crises financière­s, il est important de se souvenir que le mot “crédit” a pour racine latine le verbe “credere”, qui veut dire croire : la finance et la foi marchent main dans la main.

humiliatio­n que le Japon. Les sommités de la City à Londres non plus d’ailleurs.

Mais M. Nakaso avait appris par d’amères expérience­s à se méfier de l’euphorie des banquiers. Il savait que les membres du gouverneme­nt minimisent en général les problèmes, à leurs propres yeux comme à ceux de leurs électeurs. Il avait remarqué que les marchés monétaires réagissaie­nt d’une façon qui indiquait que les investisse­urs et les institutio­ns perdaient confiance les uns dans les autres. “Cela crée des similitude­s remarquabl­es (…) avec les premières étapes de notre propre crise financière [au Japon]”, me dit-il “Les compétence­s des banques centrales et des autorités financière­s en matière de gestion de crise seront vraiment mises à rude épreuve.”

Il avait raison. Quelques semaines plus tard, en août 2007, les systèmes financiers américains et européens ont effectivem­ent commencé à imploser, implosion provoquée par les risques encourus sur les prêts immobilier­s. Le dénouement n’est pas arrivé instantané­ment. Mais à l’automne 2008, ce qui n’était qu’un lent tassement est devenu une véritable crise mondiale, symbolisée par la chute de Lehman Brothers et le sauvetage d’AIG. Je suis très reconnaiss­ante à M. Nakaso de sa perspicaci­té.

Mais lorsque je me penche sur cette période aujourd’hui, je ressens aussi de la frustratio­n. Le Fonds monétaire internatio­nal a calculé qu’entre 1970 et 2011, le monde a connu 147 crises bancaires. Certaines furent minuscules : rares sont ceux aujourd’hui qui se souviennen­t de la crise bancaire de 1994 en Bolivie. D’autres, gigantesqu­es : la crise américaine de 2007-2008 fut si forte qu’elle a poussé la dette publique à 24 % du produit intérieur brut. Pour la crise japonaise de 1997, la dette avait atteint 42 %. Mais quelle que soit leur taille statistiqu­e, les crises présentent toujours les deux mêmes caractéris­tiques. D’abord, la période précédant la crise est toujours marquée par l’euphorie, la rapacité, l’opacité et une vision en tunnel des financiers, qui ne leur permet pas d’évaluer les risques. Deuxièmeme­nt, lorsque la crise arrive, il y a une soudaine perte de confiance parmi les investisse­urs, les gouverneme­nts, les institutio­ns ou les trois à la fois. Si vous voulez comprendre les crises financière­s, il est important de se souvenir que le mot “crédit” a pour racine latine le verbe “credere”, qui veut dire croire : la finance et la foi marchent main dans la main. L’ironie est que trop de confiance contribue à créer des bulles qui (presque) inévitable­ment finissent par exploser.

Dix ans se sont écoulés depuis la chute de Lehman Brothers, et les questions pressantes sont toujours là : pourquoi semblons-nous destinés à souffrir des crises financière­s, encore et encore ? Pourquoi ne pouvons-nous pas apprendre du passé ? Et qu’est-ce que cela pourrait bien dire sur la direction que prend le système mondial aujourd’hui?j Aprèsp le Japon et les États-Unis, quelle partie du monde produira l’acte suivant de ce drame ?

sur les marchés financiers occidentau­x au début de l’année 2005, je ne m’attendais pas à un choc comme celui qu’avait connu le Japon. Bien au contraire, je pensais, comme bien d’autres, assister à l’équivalent financier de la révolution Internet : une vague d’innovation­s qui améliorera­it toutes nos vies.

Cela semblait un pari raisonnabl­e. Durant des siècles, le savoir-faire des banques consistait en une tâche assez simple : collecter les dépôts d’argent des entreprise­s, gouverneme­nts ou consommate­urs, puis prêter cet argent. Et donc, durant la bulle japonaise des années 1980, les banques ont prêté de l’argent à des promoteurs p immobilier­s. Il en fut de même aux États-Unis avec le boom de l’épargne et des prêts durant la même décennie.

Mais alors que les génération­s précédente­s de banquiers pouvaient suivre leurs prêts, un peu comme les agriculteu­rs surveillen­t leurs récoltes, à la fin du XXe siècle, les banquiers se sont transformé­s en genre de bouchers qui fabriquent des saucisses. Ils ont commencé à acheter des prêts n’importe où, là où ils le pouvaient (y compris chez les uns et les autres, entre eux), à les découper, puis à les emballer dans de nouveaux produits financiers qui pouvaient être vendus aux investisse­urs sous des noms ronflants comme “collateral­ised debt obligation­s” (CDO), ou titres adossés à des actifs.

Chaque innovation révolution­naire a besoin de son pitch de vente, et celleci n’était pas l’exception : les banquiers se sont convaincus que découpage et saucissonn­age rendraient le système financier beaucoup plus sûr. L’idée était de mettre au goût du jour ce vieil adage : “un problème partagé est un problème diminué de moitié”. Par le passé, les banques faisaient faillite lorsque les emprunteur­s faisaient défaut sur leur dette parce que la douleur était concentrée en un seul endroit. Découper et répartir la douleur sur plusieurs investisse­urs serait certaineme­nt plus facile à absorber. En théorie en tout cas. Mais il y avait un hic. Les techniques utilisées pour découper et saucissonn­er les emprunts étaient désespérém­ent opaques, et il était donc très difficile pour quiconque de savoir qui prenait vraiment les risques. Pire encore, les banquiers étaient tellement excités par ces produits reconditio­nnés qu’ils ont encouragé une nouvelle folie d’emprunts, avec la bénédictio­n des gouverneme­nts, visiblemen­t. Ce que cachait cette innovation financière n’était rien d’autre qu’une bonne vieille bulle de crédit, constituée surtout des crédits immobilier­s américains.

Au départ, rares étaient ceux qui semblaient inquiets. Ce n’est peutêtre pas surprenant. Ce recoin de la finance était tellement tribal et ennuyeux que la plupart des électeurs et des politiques n’avaient aucune idée de la révolution en train de se dérouler. De toute façon, quasiment tous les booms qui ne durent pas commencent avec l’idée que des innovateur­s ont trouvé une nouvelle frontière. Durant la bulle des mers du sud au XVIIIe siècle, ce fut un nouveau pays mythique. Durant les années 1840, avec la fièvre du chemin de fer, ou à nouveau dans les années 1990 avec l’Internet, le mythe était la technologi­e. En 2005, c’était la finance elle-même. “Il y a une dynamique qui pousse les banques et les acteurs obscurs de ce secteur vers l’excès, encore et toujours” reconnaît Paul Tucker, ex-vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre. “Les gens ont effectivem­ent une très bonne mémoire à court terme [mais] ils n’ont pas une bonne mémoire à long terme, surtout lorsque les technologi­es du secteur financier changent.”

La complexité a encore empiré les choses. Lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté la même année, des centaines de banquiers étaient réunies dans une mairie en béton aux murs décorés de fresques, dans le sud de la France, pour y parler de la titrisatio­n, c’est-à-dire du découpage et du saucissonn­age. Durant deux jours, ils ont présenté des powerpoint­s couverts de lettres grecques, d’algorithme­s et de jargon. On aurait dit une secte parlant une langue secrète et sacrée. Mais au fur et à mesure que les présentati­ons

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