Le Nouvel Économiste

Le mur de la platefor misation -

D’un côté une guérilla d’éditeurs en ordre (très) dispersé, de l’autre de puissantes plateforme­s dopées aux algorithme­s et à l’expérience client.

- EDOUARD LAUGIER

Ce qui se joue à Bruxelles est symptomati­que des difficulté­s rencontrée­s par la presse à l’ère du digital. La polémique sur la création d’un droit voisin au droit d’auteur a beau être remise à l’agenda en septembre prochain, elle illustre parfaiteme­nt 20 années de cafouillag­e en matière de diffusion de contenus de presse sur Internet. Les éditeurs souffrent plus que jamais des déséquilib­res qui s’y sont installés. En cause, la part de marché grandissan­te des nouveaux intermédia­ires anglo-saxons sur la chaîne de valeur de la distributi­on de l’informatio­n. Entre des “petits” éditeurs nationaux et des grandes plateforme­s internatio­nales, le rapport de force est à ce point déséquilib­ré qu’il n’est pas sans raviver chez les éditeurs le souvenir du big bang vécu par les marques de produits de consommati­on à la création des premières chaînes de grande distributi­on dans les années 70. Il a suffi de quelques années pour que les canaux de distributi­on classique de la presse soient totalement remis en cause. La première forme de distributi­on en point de vente – kiosques ou maisons de la presse – est moribonde (voir encadré). La seconde, le portage, comme on l’appelle dans le jargon – autrement dit la Poste – est fortement concurrenc­ée par le digital. En 2018, le numérique s’est d’ailleurs définitive­ment imposé comme le premier canal de diffusion des contenus de presse. “La distributi­on digitale des journaux est en croissance. Pas celle des imprimés. Le papier devient complément­aire”, constate froidement Alain Weil, le patron d’Altice France. Illustrati­on avec la diffusion payante du quotidien ‘Le Monde’, qui a passé un cap symbolique en janvier dernier avec 124 000 abonnement­s on line devant les abonnement­s papier (86 000) et les ventes en kiosque (37 500), selon les chiffres publiés par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM). Pour Patrick Eveno, “les circuits traditionn­els d’accès à la presse écrite – les kiosques pour la vente au numéro ou la Poste pour l’abonnement – sont tout simplement voués à disparaîtr­e. La distributi­on de la presse se fait de plus en plus par des canaux nouveaux : Internet, réseaux sociaux, mails…”. La dernière étude du Reuters Institute justifie le rôle décisif du numérique dans la distributi­on de la presse. C’est là où se trouvent les publics. Près de 7 Français sur 10 s’informent sur Internet, un chiffre stable ces dernières années. Reuters note une augmentati­on notable de l’usage des réseaux sociaux pour s’informer, en particulie­r Facebook, mais aussi pour partager de l’informatio­n, ce que pratiquent régulièrem­ent 31 % des Français.

Le déséquilib­re producteur­s-distribute­urs

“Plateforme­s et lecteurs ont pris un poids de plus en plus important dans la circulatio­n de nos articles”, reconnaît Philippe Colombet, le directeur digital du groupe Bayard. Ce phénomène porte un nom : la plateformi­sation. La diffusion des contenus est éclatée en un schéma complexe : site web, réseaux sociaux, référencem­ent naturel, Google actu, Apple news, newsletter­s… “Les relations entre l’éditeur de presse et ses lecteurs sont très fortement bousculées. La place prise par les intermédia­ires de digital comme les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateforme­s d’intermédia­tions crée de vives tensions qui ne sont toujours pas résolues”, constate le sociologue­g des médias JJeanMarie Charon. État des lieux des forces en présence sur le front de la bataille de la distributi­on de la presse : d’un côté une guérilla d’éditeurs en ordre (très) dispersé, de l’autre de puissantes plateforme­s dopées aux algorithme­s et à l’expérience client. Sur le marché de l’info grand public, les leaders sont connus : Google, Facebook, Apple… “Ils ont pris le pouvoir dans la distributi­on car ils nous apportent des lecteurs pour des coûts de diffusion quasi-nuls. Nous ne pouvons plus nous passer d’eux”, concède Pascal Chevalier, le Pdg de Reworld Media. Autre intermédia­tion très en vogue : celle des kiosques numériques, comme celui de SFR Presse qui rencontre un succès certain (200 000 télécharge­ments par jour) et vient juste de faire peau neuve. Le marché de l’informatio­n pour les profession­nels est lui aussi tombé sous la coupe réglée de puissantes multinatio­nales. À côté de quelques acteurs nationaux “historique­s” comme l’Argus de la Presse en France, se trouvent Kantar Media (groupe WPP) et Factiva Presse (groupe NewsCorps-Murdoch) qui se taillent la part du lion d’un marché b-to-b de la rediffusio­n de contenus estimé à 130 millions d’euros annuel. “Avec ces nouveaux acteurs de la distributi­on de la presse, nous sommes dans une relation compliquée à plusieurs facettes. Facebook comme Google donnent de l’exposition à nos contenus et les mettent en valeur. Reste que nous devenons de plus en plus dépendants de ces plateforme­s”, fplateform­es”,, déploraitp Pierre Louet,, le nouveau PDG des ‘Échos’, du ‘Parisien’ et d’‘Aujourd’hui en France’ sur France Inter en mai dernier. Que reprocher à ces nouveaux intermédia­ires ? D’imposer leurs règles unilatéral­ement et de ne pas procéder à un partage équitable de la valeur avec les éditeurs qui financent à grands frais la production des contenus. Une normalisat­ion est souhaitée, ce qui est bien normal. Les nouveaux acteurs du digital se pressent mollement mais leur silence n’est plus aussi assourdiss­ant qu’auparavant. Richard Gingras, le “Monsieur informatio­n” de Googleg Monde,, rappelaitp­p dans les colonnes des ‘Échos’ en avril dernier les efforts de la multinatio­nale en faveur des profession­nels de la presse. “Nous avons 2 millions de clients éditeurs d’informatio­n au sens large pour nos activités publicitai­res et 70 % de la

“La distributi­on digitale des journaux est en croissance. Pas celle des imprimés. Le papier devient complément­aire.”

“La place prise par les intermédia­ires de digital comme les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateforme­s d’intermédia­tions crée de vives tensions entre acteurs qui ne sont toujours pas résolues”

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