Le mur de la platefor misation -
D’un côté une guérilla d’éditeurs en ordre (très) dispersé, de l’autre de puissantes plateformes dopées aux algorithmes et à l’expérience client.
Ce qui se joue à Bruxelles est symptomatique des difficultés rencontrées par la presse à l’ère du digital. La polémique sur la création d’un droit voisin au droit d’auteur a beau être remise à l’agenda en septembre prochain, elle illustre parfaitement 20 années de cafouillage en matière de diffusion de contenus de presse sur Internet. Les éditeurs souffrent plus que jamais des déséquilibres qui s’y sont installés. En cause, la part de marché grandissante des nouveaux intermédiaires anglo-saxons sur la chaîne de valeur de la distribution de l’information. Entre des “petits” éditeurs nationaux et des grandes plateformes internationales, le rapport de force est à ce point déséquilibré qu’il n’est pas sans raviver chez les éditeurs le souvenir du big bang vécu par les marques de produits de consommation à la création des premières chaînes de grande distribution dans les années 70. Il a suffi de quelques années pour que les canaux de distribution classique de la presse soient totalement remis en cause. La première forme de distribution en point de vente – kiosques ou maisons de la presse – est moribonde (voir encadré). La seconde, le portage, comme on l’appelle dans le jargon – autrement dit la Poste – est fortement concurrencée par le digital. En 2018, le numérique s’est d’ailleurs définitivement imposé comme le premier canal de diffusion des contenus de presse. “La distribution digitale des journaux est en croissance. Pas celle des imprimés. Le papier devient complémentaire”, constate froidement Alain Weil, le patron d’Altice France. Illustration avec la diffusion payante du quotidien ‘Le Monde’, qui a passé un cap symbolique en janvier dernier avec 124 000 abonnements on line devant les abonnements papier (86 000) et les ventes en kiosque (37 500), selon les chiffres publiés par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM). Pour Patrick Eveno, “les circuits traditionnels d’accès à la presse écrite – les kiosques pour la vente au numéro ou la Poste pour l’abonnement – sont tout simplement voués à disparaître. La distribution de la presse se fait de plus en plus par des canaux nouveaux : Internet, réseaux sociaux, mails…”. La dernière étude du Reuters Institute justifie le rôle décisif du numérique dans la distribution de la presse. C’est là où se trouvent les publics. Près de 7 Français sur 10 s’informent sur Internet, un chiffre stable ces dernières années. Reuters note une augmentation notable de l’usage des réseaux sociaux pour s’informer, en particulier Facebook, mais aussi pour partager de l’information, ce que pratiquent régulièrement 31 % des Français.
Le déséquilibre producteurs-distributeurs
“Plateformes et lecteurs ont pris un poids de plus en plus important dans la circulation de nos articles”, reconnaît Philippe Colombet, le directeur digital du groupe Bayard. Ce phénomène porte un nom : la plateformisation. La diffusion des contenus est éclatée en un schéma complexe : site web, réseaux sociaux, référencement naturel, Google actu, Apple news, newsletters… “Les relations entre l’éditeur de presse et ses lecteurs sont très fortement bousculées. La place prise par les intermédiaires de digital comme les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateformes d’intermédiations crée de vives tensions qui ne sont toujours pas résolues”, constate le sociologueg des médias JJeanMarie Charon. État des lieux des forces en présence sur le front de la bataille de la distribution de la presse : d’un côté une guérilla d’éditeurs en ordre (très) dispersé, de l’autre de puissantes plateformes dopées aux algorithmes et à l’expérience client. Sur le marché de l’info grand public, les leaders sont connus : Google, Facebook, Apple… “Ils ont pris le pouvoir dans la distribution car ils nous apportent des lecteurs pour des coûts de diffusion quasi-nuls. Nous ne pouvons plus nous passer d’eux”, concède Pascal Chevalier, le Pdg de Reworld Media. Autre intermédiation très en vogue : celle des kiosques numériques, comme celui de SFR Presse qui rencontre un succès certain (200 000 téléchargements par jour) et vient juste de faire peau neuve. Le marché de l’information pour les professionnels est lui aussi tombé sous la coupe réglée de puissantes multinationales. À côté de quelques acteurs nationaux “historiques” comme l’Argus de la Presse en France, se trouvent Kantar Media (groupe WPP) et Factiva Presse (groupe NewsCorps-Murdoch) qui se taillent la part du lion d’un marché b-to-b de la rediffusion de contenus estimé à 130 millions d’euros annuel. “Avec ces nouveaux acteurs de la distribution de la presse, nous sommes dans une relation compliquée à plusieurs facettes. Facebook comme Google donnent de l’exposition à nos contenus et les mettent en valeur. Reste que nous devenons de plus en plus dépendants de ces plateformes”, fplateformes”,, déploraitp Pierre Louet,, le nouveau PDG des ‘Échos’, du ‘Parisien’ et d’‘Aujourd’hui en France’ sur France Inter en mai dernier. Que reprocher à ces nouveaux intermédiaires ? D’imposer leurs règles unilatéralement et de ne pas procéder à un partage équitable de la valeur avec les éditeurs qui financent à grands frais la production des contenus. Une normalisation est souhaitée, ce qui est bien normal. Les nouveaux acteurs du digital se pressent mollement mais leur silence n’est plus aussi assourdissant qu’auparavant. Richard Gingras, le “Monsieur information” de Googleg Monde,, rappelaitpp dans les colonnes des ‘Échos’ en avril dernier les efforts de la multinationale en faveur des professionnels de la presse. “Nous avons 2 millions de clients éditeurs d’information au sens large pour nos activités publicitaires et 70 % de la
“La distribution digitale des journaux est en croissance. Pas celle des imprimés. Le papier devient complémentaire.”
“La place prise par les intermédiaires de digital comme les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les plateformes d’intermédiations crée de vives tensions entre acteurs qui ne sont toujours pas résolues”