Le règne de la data -
Les éditeurs en quête d’intelligence publicitaire
“En publicité, le digital mange la presse.” Brutal. Mais le commentaire est réaliste. Actuellement président de l’agence de marketing digital iProspect (groupe Dentsu Aegis), Pierre Calmard observe les effets du digital sur les médias depuis bientôt 25 ans. “La presse est le média le plus impacté par la révolution numérique. En 2006, elle représentait 45 % de l’achat média et le digital 3,5 %. En 2017, la presse est tombée à 18,5 % et le digital a atteint les 36 %.” Imparable. Le support imprimé de presse écrite est en effet la première grande victime des arbitrages publicitaires des annonceurs réalisés depuis plus d’une décennie au profit du numérique. En 10 ans, les dépenses de communication des annonceurs en presse papier en France ont été divisées par plus de deux, passant de 4,4 milliards d’euros en 2007 à tout juste 2 milliards en 2017 (voir encadré).
La fin de l’âge d’or publicitaire
Pour les éditeurs de journaux, les temps sont durs. Elle est loin, la période où la presse pensait récupérer sur Internet les investissements publicitaires perdus sur le papier. Nombreux sont les médias qui se sont construits sur un modèle publicitaire en ligne. Ce modèle n’est pas fini mais il semble avoir atteint ses limites, notamment parce que 78 % des investissements des annonceurs en numérique sont captés par les seuls Google et Facebook. “Non seulement ces plateformes captent les deux tiers du gâteau publicitaire, mais elles mettent aussi la main sur 92 % de la croissance du marché. Autrement dit, elles prennent de plus en plus de place et accroissent leur domination”, constate Bertrand Gié, le directeur délégué au pôle News du Figaro. Comment analyser ce raz de marée ? Deux raisons. D’abord les usages. Comme l’explique Jean-Luc Chetrit, le directeur général de l’Union des annonceurs, “la grande transformation est celle de l’audience”. Les consommateurs plébiscitant la lecture de la presse sur des supports numériques, il est normal pour les annonceurs de suivre le même chemin du “digital first”. La mesure ensuite. Aux yeux des annonceurs, des questions se posent quant à l’efficacité comparée des deux médias. Le numérique se mesure très bien, le print très mal. Le digital permet de connaître l’efficacité du message publicitaire de façon pointue et immédiate. Une campagne en ligne peut générer des ventes très rapidement. La logique business est tout de suite perceptible. “Avec Internet, nous sommes entrés dans un modèle où tout est mesuré. Les annonceurs veulent du retour sur investissement et des données précises sur la rentabilité des investissements marketing. 100 % du chiffre d’affaires de Google est réalisé à la performance. Ce modèle est train de complètement détruire le marché de la Sur un marché publicitaire en pleine restructuration, on peut trouver pire : les annuaires. Le désintérêt des grands annonceurs pour les Pages Jaunes and co n’a pourtant pas de quoi rassurer les autres médias, au premier rang desquels la presse écrite. Sous toutes ses formes, l’imprimé souffre. La désaffection des marques pour le papier est flagrante. Chaque année l’Irep, Kantar Media et France Pub éditent un baromètre des dépenses du marché par média. En 10 ans, les dépenses de communication des annonceurs ont été divisées publicité traditionnelle”, analyse Pascal Chevalier, Pdg de Reworld Media, éditeur des magazines comme ‘Auto-Moto’, ‘Télémagazine’, ‘Marie-France’ ou ‘Be’. Ce qui intéresse les marques est la capacité des Google et autres Facebook à cibler pertinemment leurs audiences. Il est évident que les éditeurs de presse ne pourront rivaliser avec la poignée de géants mondiaux de l’Internet qui se partagent le gâteau.
78 % des investissements des annonceurs sur Internet sont captés par les seuls Google et Facebook
“Le marché et nos métiers se sont complexifiés ; ces changements sont de formidables opportunités d’étoffer la palette de solutions de communication pour nos annonceurs”
Remettre l’église au centre du village
La baisse des recettes publicitaires contraint les éditeurs à par plus de deux, passant de 4,4 milliards d’euros en 2007 à tout juste 2 milliards en 2017. En une décennie, la presse a ainsi vu disparaître 2,4 milliards d’euros de recettes ! Certes, cette somme a largement basculé sur Internet (740 millions d’euros de dépenses de communication en 2007, contre 2,5 milliards en 2017) mais la presse n’est pas le principal bénéficiaire des investissements on line des marques. Les Gafa se taillent la part du lion. Concernant les investissements en communication en 2017, la famille de la presse magazine peine particulièrement à séduire les annonceurs, avec une baisse de 11 % de dépenses sur un an à 751 millions d’euros. En 2007, la presse magazines réalisait plus d’1,5 milliard d’euros de CA publicitaire, soit le double ! L’autre famille de presse en grande difficulté est la presse quotidienne, en particulier nationale. Là aussi en une décennie, les annonceurs ont divisé par plus de deux leurs dépenses de communication dans la PQN. Elles sont passées de 260 millions d’euros en 2007 à 122 millions l’an passé.