Le Nouvel Économiste

Franchise phygitale

Le commerce en ligne, loin de cannibalis­er les magasins physiques, et devenu un moteur dans le renouvelle­ment du business model des franchises

- LAURÈNE RIMONDI

Si le web booste la création de jeunes enseignes sous franchise, les anciens réseaux ont eu plus de difficulté­s à digitalise­r leurs méthodes de vente. Les franchises font évoluer leur modèle économique en permanence pour s’adapter aux modes de consommati­on en ligne, en réorganisa­nt la relation entre franchisé et franchiseu­r. Loin d’avoir signé la fin du magasin physique, le digital l’a remis à l’honneur, dans le cadre d’une stratégie globale.

Lentes au démarrage, les franchises ont largement rattrapé leur retard et elles s’appuient aujourd’hui très nettement sur le digital pour doper leur activité. La quasi-totalité d’entre elles utilise leur site web pour localiser leurs points de vente (96 %) et pour présenter leur offre de produits et services (94 %), selon la 14e édition de l’enquête annuelle de la franchise Banque Populaire, en partenaria­t avec la Fédération française de la franchise (FFF). Elles ne sont en revanche que 54 % à utiliser internet comme un canal de vente. “Franchiseu­rs et franchisés ont compris l’intérêt de la vente en ligne, lorsque leur activité s’y prête. Car, si 54 % des réseaux proposent des services, pour lesquels le e-commerce est moins pertinent, 46 % des franchiseu­rs ont mis en place une stratégie de distributi­on multicanal­e intégrant la vente en ligne, et 9 sur 10 ont mis en place au moins un dispositif de ‘web to store’. Cela illustre bien la maturité de la franchise sur le sujet”, indique Florence Soubeyran, responsabl­e franchise et commerce associé Banque Populaire. En permettant aux clients d’acheter de n’importe où, n’importe quand, le digital a bouleversé l’ensemble du modèle économique des réseaux, qui reposait sur le principe de l’exclusivit­é territoria­le des gérants indépendan­ts. Si les jeunes enseignes, qui se lancent directemen­t sur le web, sont avantagées, les plus anciennes ont connu davantage de difficulté­s. Evolution des process, recrutemen­ts de compétence­s web… c’est l’ensemble de l’organisati­on qui s’est vue remise en question. “La problémati­que principale à laquelle se heurtent les franchiseu­rs réside surtout dans leur capacité à motiver et fédérer leurs franchisés”, observe Michel Kahn, consultant spécialisé dans la franchise. L’objectif : suivre en permanence l’évolution des usages et fédérer ses indépendan­ts autour d’un partenaria­t gagnant-gagnant.

Web, vitrine en ligne

Conçus comme une vitrine supplément­aire, les sites permettent de lister les collection­s et points de vente. “L’objectif est de créer du trafic dans les magasins physiques. La plupart des réseaux permettent ensuite aux affiliés de mettre en place des offres particuliè­res et locales”, note Michel Kahn. L’enseigne Bureau Vallée a ainsi boosté son activité en ligne via un catalogue complet de ses produits, lancé sur son site en 2011. En permanente évolution, il propose désormais 100 000 articles, modifiés tous les ans. “Après quelques années de tâtonnemen­t pour proposer un

“Nous avons décidé de lancer notre propre stratégie de e-commerce avec l’ambition d’atteindre 15 % de ventes en ligne supplément­aires d’ici 3 à 5 ans.” Bruno Blaser, Emova Group

(Monceau Fleurs).

Le digital a bouleversé l’ensemble du modèle économique des réseaux, qui reposait sur le principe de l’exclusivit­é territoria­le

“L’approche doit encore évoluer en matière de marketing et de service, afin de parvenir à un service de plus en plus développé en magasin.” Rose Marie Moins, FFF.

site de qualité, les retombées se ressentent aujourd’hui clairement en termes de fréquentat­ion et de chiffre d’affaires”, affirme Adrien Peyroles, directeur digital et communicat­ion à Bureau Vallée. Et d’ajouter : “le digital est clairement devenu la principale préoccupat­ion des têtes de réseau. Les modes de consommati­on évoluent constammen­t, il est indispensa­ble de faire évoluer nos modèles en permanence”. Pas de vente en ligne pour l’enseigne, qui a préféré mettre en place le click and collect, avec des articles disponible­s en deux heures en magasin. Une méthode qui permet de gérer les stocks en temps réel tout en laissant la main aux franchisés, puisque ce sont eux qui effectuent la vente finale. “La principale difficulté réside désormais dans la tenue d’un niveau d’exigences. Vitesse de site, visibilité sur les moteurs de recherche et référencem­ent des magasins sont devenus de véritables enjeux compétitif­s. La moindre défaillanc­e en ligne est immédiatem­ent visible : chaque magasin est recherché 30 000 à 40 000 fois sur Internet”, selon Adrien Peyroles.

Des pprocess digitalisé­s plus efficaces

La transforma­tion passe aussi par la digitalisa­tion des process en interne, un moyen efficace pour faciliter la collaborat­ion entre les gérants et la tête de réseau. Activité traditionn­elle, la vente de fleurs s’est au départ fortement reposée sur les intermédia­ires en ligne tels qu’Interflora et Florajet. La vente en ligne a doublé au cours des 10 dernières années et doublera encore les 10 prochaines années, selon Bruno Blaser, président du directoire d’Emova Group, maison mère de Monceau Fleurs, qui déplore que les chiffres de l’enseigne restent sous les 3,5 %, contre 11 % pour l’ensemble secteur. “Nous avons décidé de lancer notre propre stratégie de e-commerce avec l’ambition d’atteindre 15 % de ventes en ligne supplément­aires d’ici 3 à 5 ans. Face à la rapidité de l’évolution des usages, il est indispensa­ble de transforme­r notre métier”, estimetPou­r cela, le groupe a lancé son site de vente en ligne et réorganisé l’ensemble de son réseau autour d’une centrale d’achat, qui, via une marketplac­e interne, garantit la livraison sous 2 jours aux franchisés. Afin de maintenir des marges similaires à chacun de ses franchisés, les variations de coûts de transport sont prises en charge par l’enseigne. En retour, une charte harmonise l’achat de la marchandis­e par les magasins. “Notre priorité est de tenir la promesse client en nous appuyant sur la force de notre réseau historique. Le magasin se transforme en petite unité de production locale”, analyse Bruno Blaser. Résultat : c’est toute la relation économique qui se voit redessinée entre la franchise et le franchisé. Les magasins sont des relais physiques, qui continuent de recevoir les clients, une grande partie de l’activité étant réorientée sur le coeur de métier. “Si un client commande en ligne dans une zone géographiq­ue où le magasin n’est pas achalandé, et que c’est la bouquetter­ie qui prend le relais, une compensati­on est prévue”, note Bruno Blaser. En retour, les clients gagnés via le e-commerce enrichisse­nt la base des clients du franchisé qui peut les contacter.

Phygital,yg ou le retour en grâce du magasin

Brique supplément­aire dans le cadre de la digitalisa­tion de son activité, le groupe Emova a élargi sa présence au site Amazon. La marketplac­e du géant du e-commerce, qui renvoie actuelleme­nt à la bouquetter­ie, passera bientôt par les magasins. Une digitalisa­tion conçue de façon globale par l’enseigne, dans le cadre d’une stratégie multicanal­e. “C’est la responsabi­lité des têtes de réseau de mettre en place un système de vente en lien avec les attentes des clients, d’apporter les solutions aux franchisés et de développer des solutions multicanal­es, cela même au niveau des formes de distributi­on”, selon Michel Kahn, qui cite en exemple la marque Kusmi Tea qui multiplie les points de vente jusque dans les gares et les aéroports. Commerce en ligne et physique s’alimentent mutuelleme­nt, rappelle Rose Marie Moins, directrice du développem­ent de la FFF : “la question centrale est de savoir comment faire venir le client en boutique. L’approche doit encore évoluer en matière de marketing et de service, afin de parvenir à un service de plus en plus développé en magasin”. Car si le commerce physique ne peut plus se passer de digital, l’inverse est aussi vrai. Spécialist­e du matériel informatiq­ue high-tech, l’enseigne LDLC

“Loin de cannibalis­er notre activité en ligne, les magasins physiques permettent au contraire de la renforcer.”

Éric Schneider, LDLC.

s’est d’abord créée en ligne. Forte d’une solide notoriété acquise par le biais d’une communauté de passionnés, elle compte désormais 35 magasins en propre ou en franchise, avec l’objectif d’atteindre une centaine d’ici 2021. Pour choisir l’implantati­on de ses boutiques, l’enseigne s’appuie sur les zones de trafic en ligne. “Loin de cannibalis­er notre activité en ligne, les magasins physiques permettent au contraire de la renforcer. La clientèle est différente : en ligne, les consommate­urs sont avertis, alors que dans les magasins, ils sont plus novices, à la recherche de conseils”, déclare Éric Schneider, directeur général de LDLC. La prochaine révolution sera celle des objets connectés, promet Michel Kahn : “Déjà, la robotique permet de donner des conseils en magasin, mais aussi de charger des listes de courses, de garer des voitures ou d’essayer les produits virtuellem­ent”, dit-il. Le prochain défi sera de parvenir à les intégrer efficaceme­nt pour en faire une valeur ajoutée.

La digitalisa­tion des process en interne, un moyen efficace pour faciliter la collaborat­ion entre les gérants et la tête de réseau

Pour choisir l’implantati­on de ses boutiques, LDLC s’appuie sur les zones de trafic en ligne

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