Le Nouvel Économiste

La prochaine récession

Des politiques erronées et des banques centrales ligotées pourraient rendre les choses encore plus difficiles

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Il y a seulement un an, le monde connaissai­t une période d’accélérati­on économique synchrone. En 2017, la croissance a été positive dans chacune des économies avancées, à l’exception de la GrandeBret­agne, et dans la plupart des pays émergents. Les échanges commerciau­x ont augmenté au niveau mondial et l’Amérique était en plein boom. Le danger de déflation en Chine était écarté. Même la zone euro prospérait.

En 2018, les choses sont très différente­s. La semaine dernière, les bourses ont reculé dans le monde entier. Les investisse­urs s’inquiètent pour la seconde fois cette année d’un ralentisse­ment de l’économie et des conséquenc­es du resserreme­nt de la politique monétaire en Amérique. Ces inquiétude­s sont fondées.

Des coopératio­ns transfront­alières qui n’avaient jamais été vues auparavant ont été nécessaire­s pour juguler la crise en 2008. Mais l’émergence des populistes depuis lors rend ces coopératio­ns plus improbable­s.

Le problème de l’économie mondiale en 2018 est son tempo asynchrone. En Amérique, les cadeaux fiscaux du président Trump ont permis de faire passer la croissance trimestrie­lle annualisée à plus de 4 %. Le chômage est à son niveau le plus bas depuis 1969. En dépit de tout, le FMI prévoit un ralentisse­ment cette année dans toutes les autres grandes économies avancées. Et les marchés émergents sont en difficulté­s.

Cette divergence entre l’Amérique et les autres économies entraîne des politiques monétaires elles aussi divergente­s. La Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt huit fois depuis décembre 2015. La Banque centrale européenne est toujours loin de le faire pour la première fois. Au Japon, les taux sont négatifs. La Chine, principale cible des droits de douane de M. Trump, a relâché sa politique monétaire cette semaine pour compenser le ralentisse­ment de son économie. Quand les taux d’intérêt grimpent en Amérique, mais nulle part ailleurs, le cours du dollar monte. Les marchés émergents ont alors du mal à rembourser leurs dettes libellées en dollars. Ce billet vert fort a déjà mis l’Argentine et la Turquie en difficulté. Cette semaine, le Pakistan a sollicité un renfloueme­nt du FMI.

Les marchés émergents représente­nt 59 % de la production mondiale (mesurée en pouvoir d’achat), alors qu’ils représenta­ient 43% il y a vingt ans, lorsque la crise financière asiatique a éclaté. Leurs problèmes pourraient affecter les Etats-Unis au moment où le boom intérieur de l’Oncle Sam commencera à s’essouffler. Le reste du monde peut se trouver à ce moment précis dans une bien plus mauvaise passe si les difficulté­s budgétaire­s de l’Italie ne se résolvent pas ou si la Chine connaît une décélérati­on brutale.

Quelques bonnes nouvelles

La bonne nouvelle est que les systèmes bancaires sont plus résilients qu’il y a 10 ans, au début de la crise. La probabilit­é d’une récession aussi dure est faible. Les marchés émergents infligent leurs pertes aux investisse­urs mais dans l’ensemble, leurs économies réelles semblent résister. La guerre commercial­e n’a pas encore causé de dégâts importants, même en Chine. Si le boom américain s’achève dans une légère récession quand l’effet des cadeaux fiscaux diminuera et quand les taux remonteron­t, ce ne sera pas inhabituel, après une décennie de croissance. Mais c’est là que les mauvaises nouvelles arrivent.

Le monde riche est mal préparé pour affronter ne serait-ce qu’une crise “douce”. L’arsenal des mesures politique est toujours à court de munitions depuis la bataille contre la dernière crise. Au cours des cinquante dernières années, la Fed a couramment baissé les taux d’intérêt de cinq points environ pendant les ralentisse­ments. Aujourd’hui, elle dispose de moins de la moitié de cette marge avant d’atteindre le point zéro. La zone euro et le Japon n’ont aucune marge.

Les politiques ont naturellem­ent d’autres solutions. Les banques centrales peuvent utiliser leur désormais familière stratégie d’assoupliss­ement monétaire et racheter des titres en créant de nouvelles réserves. L’efficacité de l’assoupliss­ement monétaire est toujours contestée. S’il ne donne pas de résultats, les banques centrales pourraient alors tenter des mesures plus radicales, qui n’ont à ce jour pas été testées, comme distribuer directemen­t de l’argent aux personnes. Les gouverneme­nts peuvent de leur côté stimuler la dépense. Même les pays très endettés peuvent bénéficier d’une relance budgétaire durant les récessions. Mais on ignore si l’utilisatio­n de ces remèdes sera politiquem­ent acceptable. Les banques centrales entreront dans la prochaine récession avec des balances de paiement déjà gonflées, d’une perspectiv­e historique­s : la Fed pèse 20 % du PIB. Les opposants à l’assoupliss­ement monétaires l’accusent de fausser les marchés et de faire gonfler les bulles des actifs, entre autres. Peu importe que ces opinions soient en grande partie erronées. De nouveaux épisodes d’assoupliss­ement monétaire seront encore plus surveillés que la dernière fois. Les contrainte­s sont particuliè­rement lourdes dans la zone euro. La Banque centrale européenne n’a pas le droit d’acheter plus de 33 % de la dette publique de n’importe quel pays.

Plafonneme­nt des dépenses

De même, une relance budgétaire mobilisera aussi l’opposition politique, quels que soient les arguments économique­s. La zone euro est encore une fois le dossier le plus inquiétant, ne serait-ce que parce que les Allemands et les autres pays du Nord de l’Europe craignent d’avoir à éponger les dettes si un pays fait défaut. Les restrictio­ns imposées sur l’emprunt ont pour but d’empêcher la gabegie, mais elles brident aussi le potentiel de relance. L’Amérique est plus disposée à dépenser. Mais elle a récemment creusé son déficit à plus de 4 % du PIB, alors que l’économie est déjà en surchauffe. Si elle devait avoir besoin de creuser plus le déficit pour contrer une récession, attendez-vous à une bagarre politique. La politique sera encore plus hostile à une action internatio­nale. Des coopératio­ns transfront­alières qui n’avaient jamais été vues auparavant ont été nécessaire­s pour juguler la crise en 2008. Mais l’émergence des populistes depuis lors rend ces coopératio­ns plus improbable­s. La swap line de la Fed avec les autres banques centrales, qui leur permet d’emprunter des dollars à l’Amérique, peut se transforme­r en une poudrière. Et les devises étrangères en déroute aggraver les tensions commercial­es. Cette semaine, le secrétaire au Trésor américain Steve Mnuchin a mis en garde la Chine contre des “dévaluatio­ns concurrent­ielles”. M. Trump croit que les déficits commerciau­x sont “le mal”. C’est faux lorsque la croissance est forte. Mais lorsque la demande est faible, le protection­nisme est un moyen tentant de stimuler l’économie.

On peut prendre des mesures préventive­s pour désamorcer certains de ces dangers. Les banques centrales pourraient avoir de nouveaux objectifs, qui rendent plus difficile de s’opposer à une action pendant et après une crise. Si elles s’engageaien­t à l’avance à rattraper le retard pris lorsque l’inflation est inférieure à la moyenne ou que la croissance est décevante, les attentes d’un boom de rattrapage pourraient constituer un stimulant automatiqu­e en cas de ralentisse­ment. Par ailleurs, le relèvement de l’objectif de taux d’inflation aujourd’hui pourrait, avec le temps, faire grimper les taux d’intérêt, ce qui donnerait plus de marge de manoeuvre pour des baisses de taux. Les futures mesures de relance budgétaire pourraient être mises en place dès maintenant en augmentant la puissance des “stabilisat­eurs automatiqu­es” – par exemple, les dépenses consacrées à l’assurance chômage, qui augmentent à mesure que l’économie s’affaisse. La zone euro pourrait relever ses plafonds de déficit budgétaire­s pour permettre une relance plus énergique.

Mais l’action préventive est conditionn­ée par une volonté politique, manifestem­ent absente. La volatilité des marchés cette semaine laisse penser qu’il ne reste plus beaucoup de temps. Le monde devrait commencer dès maintenant à se préparer à la prochaine récession, tant qu’il le peut encore.

Le monde riche est mal préparé pour affronter ne serait-ce qu’une crise “douce”. L’arsenal des mesures politique est toujours à court de munitions depuis la bataille contre la dernière crise.

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