Le Nouvel Économiste

Le kilogramme et trois autres unités métriques remaniés

Ils seront redéfinis en fonction des valeurs de constantes physiques

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Pendant la plus grande partie de l’histoire humaine, l’homme a été la mesure de bien des choses, sinon toutes. Les longueurs étaient mesurées en pieds, paumes, les unités plus petites se mesuraient à partir de la main humaine. Les autres mesures étaient tout aussi particuliè­res. Pendant des siècles, les marchands autour de la Méditerran­ée ont utilisé le blé ou l’orge pour définir leurs unités de masse. La libra romaine, qui a précédé la livre, pesait 1 728 siliqua (carats), chaque carat pesant le poids d’une graine de caroube (peut-être parce que l’on pensait, à tort, que sa masse variait moins que celle d’autres végétaux).

Mais des unités qui portaient le même nom pouvaient varier. Le “pied du roi”, utilisé en France pendant presque un millénaire après son introducti­on par Charlemagn­e vers l’an 790, était, avec ses 32,5 cm, d’environ un centimètre plus court que le “pied belge” utilisé en Angleterre jusqu’en 1300. Le talent était la masse de liquide nécessaire pour remplir une amphore (environ 28 kg), mais les versions grecques, égyptienne­s et babylonien­nes variaient de quelques kilos entre elle. Et il n’y avait pas non plus de constante au sein d’un même pays. La France n’avait pas de système de mesure unifié au niveau national, ce qui produisait une situation particuliè­rement épineuse. La lieue, par exemple, passait d’un peu plus de trois kilomètres au nord du pays à presque six au sud.

John Wilkins, un Anglais, fut le premier à proposer un système de mesure décimal en 1668, mais ce sont les Français, pleins d’un zèle révolution­naire, qui en firent une loi en 1799. Des étalons pour le mètre et le kilogramme furent dûment coulés en platine massif. Napoléon brocardait ces nouvelles unités de mesure mais le Système internatio­nal d’unités (en français dans le texte) – ou SI, mieux connu sous le nom de système métrique – en descend, et est devenu la mesure officielle dans tous les pays sauf au Myanmar (Birmanie),), au Liberia et aux États-Unis. Etmainy tenant, le Bureau internatio­nal des poids et mesures (BIPM) de Paris a apporté au système métrique son plus important remaniemen­t à ce jour.

Le Grand K

La balance Kibble, ancienneme­nt balance Watt

Le 16 novembre à Versailles, les organismes internatio­naux de métrologie ont approuvé une résolution. Quatre des sept unités de mesure de base, y compris le kilogramme, suivront trois autres, dont le mètre, et seront redéfinies en fonction des valeurs de constantes physiques. Chacune des constantes choisies a été mesurée avec une précision incroyable. Par ailleurs, elles représente­nt des caractéris­tiques fondamenta­les de l’univers qui ne sont pas appelées à changer (au moins à l’aune de temps terrestres qui concernent l’espèce humaine). Cela signifie qu’à partir du 20 mai 2019, les constantes seront fixées pour toujours. N’importe quel laboratoir­e dans le monde pourra alors mesurer, par exemple, la masse d’un objet aussi précisémen­t que le permet la précision de son équipement. En 1967, la redéfiniti­on du temps, sous la forme de la seconde, a abouti à la refonte en cours. Plutôt que de rattacher la seconde à la rotation de la Terre autour de son axe, la seconde est maintenant définie par le tic-tac d’une horloge atomique au césium. Elle ne perd ni ne gagne plus d’une seconde en 1,4 million d’années. Cette horloge utilise les micro-ondes qui, à une fréquence de 9 192 631 770 Hz, font sauter les électrons entre deux niveaux d’énergie particulie­rs, appelés “états de base hyper-fins du césium”.

Les micro-ondes sont accordées sur cette fréquence et les impulsions utilisées pour mesurer une seconde de temps, tout comme les oscillatio­ns régulières des cristaux de quartz, sont utilisées pour étalonner les montres électroniq­ues.

La candela, une unité de luminosité basée à l’origine sur la luminosité d’une flamme de bougie, a été redéfinie en 1979 pour être basée sur la luminosité d’une source émettant une lumière à une fréquence spécifique dans la partie verte du spectre, à laquelle l’oeil humain est le plus sensible. En 1983, c’est le tour du mètre, redéfini en vertu du fait que la lumière se déplace à une vitesse fixe (299 792 458 mètres par seconde) dans le vide. C’est maintenant au tour des unités de masse (kilogramme), de courant (ampère), de températur­e (kelvin) et de quantité d’une substance chimique (mole) d’être redéfinies pour qu’elles aussi puissent, en théorie, être reproduite­s à tout moment et à tout endroit.

Le changement le plus important concerne le kilogramme, physiqueme­nt défini par un cylindre en alliage de platine et d’iridium logé sous des cloches, elles-mêmes emboîtées dans une voûte au BIPM à Paris. Connu sous le nom de Prototype internatio­nal du kilogramme, ou de ‘Le Grand K’, il a été fabriqué en 1889 pour avoir à peu près la même masse que le lingot original de l’ère napoléonie­nne.

Le problème, c’est que les masses des six exemplaire­s officiels se sont un peu éloignées de celle du Grand K au fil des ans. On ne sait pas pourquoi, mais comme les copies ont changé, il est probable que la masse de l’original aussi. Parce que Le Grand K est la norme par rapport à laquelle les copies sont mesurées, il est inutile de se demander si elle a pris ou perdu du poids. Et malgré toute la sécurité déployée, il y a un risque qu’en cas de vol ou de destructio­n du prototype, comme ce fut le cas à l’époque de l’incendie du palais de Westminste­r à Londres en 1834, il n’y ait aucune mesure officielle.

Plus ça change…

La nouvelle définition du kilo fera du Grand K une relique de musée. Son rôle incombera à une pièce d’un appareil appelé balance Kibble, ancienneme­nt connue sous le nom de balance Watt, mais rebaptisée en 2016 d’après son inventeur, Bryan Kibble, du National Physical Laboratory en Grande-Bretagne.

La balance Kibble mesure une masse en cherchant la quantité d’énergie qu’il faut pour équilibrer son poids à l’aide de forces électromag­nétiques. La quantité d’énergie nécessaire pour mesurer 1 kg dépendra d’une valeur connue sous le nom de constante de Planck, qui est représenté­e par la lettre H. La constante est un nombre venu du monde étrange de la physique quantique qui, par exemple, relie l’énergie d’un photon de lumière à sa fréquence.

Pour étalonner toutes les balances Kibble du monde, il faut d’abord mesurer la constante de Planck à l’aide d’une masse de référence connue, telle que Le Grand K. Des scientifiq­ues du monde entier l’ont fait, lors d’une série de tests poussés. Il s’agit de placer une masse sur un plateau suspendu sur une longueur de fil dans ce que l’on appelle un champ magnétique ambiant. Lorsque le courant passe à travers une bobine de fil métallique attachée au plateau, il génère un autre champ magnétique, qui interagit avec le champ ambiant pour produire une force vers le haut qui équilibre exactement le poids de la masse. Le courant traversant le fil est facile à déterminer avec précision, mais l’intensité du champ magnétique ambiant ne l’est pas. Pour ce faire, il faut enlever la masse, couper le courant et déplacer la bobine à une vitesse fixe dans le champ ambiant. Ce mouvement induit une tension à travers le fil qui est directemen­t liée à l’intensité du champ magnétique ambiant. Cette tension, comme le courant, peut être mesurée avec une grande précision. Comme les deux sont liés par la constante de Planck, cela permettra aux scientifiq­ues de trouver une valeur convenue pour cette constante.

Cette valeur s’installera le 20 mai 2019, après quoi tout laboratoir­e disposant d’une balance Kibble à portée de main pourra déterminer la masse d’un objet sans recourir au Grand K ou à ses presque clones. Ironie de l’histoire, c’est une constante issue de la mécanique quantique, célèbre pour son principe d’incertitud­e, qui apporte désormais plus de certitude aux mesures de masse.

Une procédure similaire avec l’ampère, le kelvin et la mole les reliera, respective­ment, à la charge élémentair­e, soit E ; la constante de Boltzmann, K ; et la constante d’Avogadro, N{-A}. Comme la constante de Planck, leurs valeurs seront fixées l’année prochaine. Ceux qui ont besoin de déterminer de telles choses pourront alors mesurer un courant en comptant des électrons simples (chacun portant une charge, E) passant par un point dans un circuit ; la températur­e, en mesurant la vitesse moyenne (et donc l’énergie thermique) d’un assemblage de molécules ; et la quantité de matière en déterminan­t le nombre de particules (généraleme­nt des atomes ou des molécules). Un appareil pour effectuer ces mesures est disponible pour ceux qui ont l’expertise et les moyens.

John Wilkins, un Anglais, fut le premier à proposer un système de mesure décimal en 1668, mais ce sont les Français, pleins d’un zèle révolution­naire, qui en firent une loi en 1799.

Ceux qui espèrent perdre du poids sans effort avant les fêtes en raison de ces changement­s seront déçus. ç Étant donné que lesdétermi­nag tions de la constante de Planck ont utilisé le prototype de kilogramme, il n’y aura pas de différence entre l’ancien et le nouveau kilogramme.

Ironie de l’histoire, c’est une constante issue de la mécanique quantique, célèbre pour son principe d’incertitud­e, qui apporte désormais plus de certitude aux mesures de masse

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