Le Nouvel Économiste

FAKE CITY (1)

À Marseille, le pire est toujours l’hypothèse d’avenir la plus probable, et huit morts et 2 000 réfugiés n’y changeront rien. 1720… 1938… 2018.

- PAR PIERRE-LOUIS ROSYNÈS

Jean-Claude, cher Jean-Claude, très cher Jean-Claude, trop cher Jean-Claude,

Oui je sais, vous qui êtes gros consommate­ur de bondieuser­ies, vous traversez un calvaire. Rien qu’à lire le nombre de fois que vous prononcez le mot “compassion” à propos des victimes de la rue d’Aubagne, je me dis que ça doit être terrible pour vous, de compatir devant ces morts. Ils sont tout ce que vous détestez : des pauvres, des métèques, des gauchistes, des sans-papiers, des familles décomposée­s…

Mais avant toute chose, promettezm­oi surtout de pas démissionn­er, ni de passer l’arme à gauche. Ce serait un comble. À la question de votre départ lors d’une conférence de presse, vous avez éructé : “Vous croyez qu’un capitaine démissionn­e pendant la tempête ? !”. Mais les événements s’accélérant, un mois après leur déclenchem­ent, plus rien n’est impossible, n’est-ce ppas ? Il suffirait qque vous obteniez des gages. Que l’État s’engage par exemple. Ce qui vous permettrai­t de la jjouer sacrificie­l. QQu’aurait-il à gagner, l’État ? Rien, des emmerdes et des dépenses supplément­aires. On y reviendra.

Dois-je tout d’abord vous remercier de m’avoir fait replonger ? Trois ans sans une ligne. Quelques tweets, mais rien de sérieux. Juste de quoi purger un agacement matinal après une nuit sonore. Chaque matin, mon ordinateur me livrait au réveil une pièce du puzzle de la décomposit­ion du cadavre. Une déclaratio­n indécente, la vôtre ou celle d’un des vôtres, la photo d’un chantier jamais fini, d’une piscine publique à l’abandon, d’une poubelle qui déborde, d’un trottoir affaissé, d’une chaussée explosée, un chiffre bidon, la facture trois fois plus élevée qu’ailleurs d’une patinoire inutile ou d’une batterie de caméras de vidéo-surveillan­ce, un permis de construire illégal accordé à un adjoint ou, mieux encore, à un adversaire pour acheter son silence, des fouilles archéologi­ques recouverte­s vite fait… mais jjamais de façadesç lézardées. À l’époque, c’est-à-dire jusqu’au mois dernier, quand on levait les yeux avec inquiétude, c’était pour scruter le ciel et la météo, pas les fissures des bâtiments.

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Les dernières années ont été si fascinante­s qu’elles ne pouvaient susciter que silence et sidération. Trump à la maison blanche, le PS réduit à la taille de la SFIO après 68, le parti gaulliste transformé en boutique poujado-pétainiste… Tout ça au profit d’un énarque trentenair­e de droite étiqueté à gauche, accidentel­lement élu au nom d’un dégagisme légitime et d’un prétendu monde d’après. Je pensais que le silence que ça m’inspirait serait définitif. Je m’éloigne du sujet ? Non.

D’autant que pendant ce tempslà, Marseille se portait comme un charme, à vous entendre, vous et vos gens, et à lire la presse. Des touristes en masse, des paquebots en pagaille, des tournages en série, des centres commerciau­x aux quatre coins de la ville, des journalist­es parisiens élogieux, des blogueuses ravies. La guerre des gangs et la pauvreté dans les cités, c’était pour la façade, enfin si on peut encore employer ce mot.

Et puis soudain… Ces bonnes nouvelles n’auraient donc été que fake news ? Rassurez-vous, une loi a été votée il y a peu qui condamne ceux qui en diffuserai­ent en période électorale, et en période électorale uniquement et sur Internet exclusivem­ent. Preuve qu’il ne s’agit, sous couvert de défendre la démocratie, que de protéger les politicien­s pendant les soldes, et pas les consommate­urs, ces salauds d’électeurs. D’ailleurs, quelle importance. Ne vous représenta­nt pas, votre bilan ne pourra plus être un argument de vente pour vos gens lorsqu’ils tenteront de vous succéder. Personne n’ira en prison pour mensonges électoraux.

Finir en haut de la liste des maudits de l’Histoire, vous n’aviez pas prévu ça, ni personne, d’ailleurs. Pour ma part, je n’en rêvais même plus. Le sujet, Marseille, ne provoquait plus que ce haussement d’épaules caractéris­tique du fatalisme ambiant. C’est Marseille… disait-on, c’est comme ça.

Depuis des décennies, la vérité n’avait plus sa place. Toute critique était fustigée. “Marseille bashing”, répondiezv­ous avec cet accent qui, paraît-il, est la clé de votre marketing politique.

Vous par contre… Votre prison sera intérieure, si elle ne l’est déjà. Votre légende vire soudain au cauchemar. Votre enterremen­t de première classe, identique à celui de Defferre en 1986, a été annulé. Finir en haut de la liste des maudits de l’Histoire, vous n’aviez pas prévu ça, ni personne, d’ailleurs. Pour ma part, je n’en rêvais même plus. Le sujet, Marseille, ne provoquait plus que ce haussement d’épaules caractéris­tique du fatalisme ambiant. “C’est Marseille, c’est comme ça…” disait-on.

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Depuis des décennies, la vérité n’avait plus sa place. Toute critique était fustigée. “Marseille bashing”, répondiez-vous avec cet accent qui, paraît-il, est la clé de votre marketing politique.

Depuis trente ans et des poussières, vous êtes au pouvoir, cinquante si l’on remonte jusqu’à votre délégation d’adjoint… à l’urbanisme sous Defferre et votre élection à la présidence de la région Paca avec les voix du Front national, détail que vous aimeriez faire oublier ; et soudain, on parle ces jours-ci de vous pousser à la démission. Le peuple crie sous vos fenêtres éteintes. Il pétitionne, il semble enfin vouloir votre ppeau. Il en appellepp les jjours pairs à l’État, ce monstre froid contre lequel il manifeste les jours

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