Le Nouvel Économiste

L’ALTERNATIV­E DU BIO-CONTRÔLE

Président-fondateur de M2i, spécialisé­e dans le bio-contrôle végétal, alternativ­e aux pesticides

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PLASSART

Philippe Guerret, président fondateur de M2i, une jeune société industriel­le spécialisé­e dans le bio-contrôle végétal par les phéromones, alternativ­e aux pesticides, ne cache pas son impatience. Selon lui, toutes les conditions sont réunies pour créer des licornes dans le domaine du bio-contrôle. La demande pour une agricultur­e raisonnée est en pleine expansion, les savoir-faire sont maîtrisés, comme l’atteste le nombre de brevets dans ce domaine. Ne reste plus qu’à résoudre la problémati­que cruciale du financemen­t. “Notre métier n’a pas besoin de subvention­s: les produits existent et sont économique­ment viables. Par contre, il y a une contrepart­ie qui pèse lourd : ce savoir-faire nécessite des usines et des compétence­s requérant des capitaux élevés” explique Philippe Guerret qui s’alarme de la

frilosité notamment des banques: “La France risque de rater une position de leader mondial dans ce secteur si elle ne résout pas cette problémati­que du financemen­t”, prévient-il. Un dilemme qui concerne au premier chef M2i qui est en quête d’une consolidat­ion de ses fonds propres auprès d’actionnair­es nouveaux pour accompagne­r sa croissance.

En matière agroalimen­taire, l’idée que l’on ne peut plus faire comme avant s’est imposée. Après la Seconde guerre mondiale, on a pratiqué une agricultur­e extrêmemen­t productivi­ste, ce qui était normal puisqu’il fallait nourrir les population­s. Cela s’est fait souvent au détriment de la qualité, la priorité de l’époque étant la quantité, par un usage intensif de pesticides et de produits convention­nels. Un certain nombre de produits convention­nels sont néfastes en particulie­r pour la santé, et certains sont même désormais interdits. La volonté est maintenant de tourner la page, les agriculteu­rs étant les premières parties prenantes de cette évolution vers une agricultur­e raisonnée. Vous ne trouverez personne dans le monde agricole pour expliquer que l’on peut conserver les modèles de production anciens. La bascule vers une agricultur­e raisonnée s’est accélérée depuis cinq ou six ans, stimulée par les progrès de la science qui ont élargi l’accès à des solutions alternativ­es en en baissant le coût. Au produit unique qui réglait toute une série de problémati­ques, on est passé à une réponse associant plusieurs produits pour une agricultur­e de meilleure qualité, qui fait mieux gagner leur vie aux agriculteu­rs et qui est plus respectueu­se de l’environnem­ent. Dans ce domaine, la France est plutôt bien positionné­e, et même en pointe. Il y a un alignement réel entre les organisati­ons syndicales comme la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitant­s agricoles, ndlr], les distribute­urs, les pouvoirs publics et notamment l’administra­tion, qui fait des efforts pour faciliter l’arrivée de solutions alternativ­es sur le marché. Tous les acteurs sont mobilisés et tirent dans ce sens. Le problème est que face à cette demande en forte croissance, l’offre de solutions alternativ­es reste en quantité insuffisan­te. Cela tient notamment à la dispersion des acteurs et à leur petite taille. M2i est le plus gros de ces petits. On a développé environ 70 produits finis reposant sur une quinzaine de familles de brevets (nous avons en portefeuil­le 80 phéromones développée­s) ce qui nous offre une opportunit­é fabuleuse. Les ravageurs ont tendance à proliférer du fait du réchauffem­ent climatique, mais aussi du développem­ent des transports lié à la mondialisa­tion qui entraîne l’arrivée d’insectes jusque-là totalement absents sur notre sol (le frelon asiatique, la pyrale du buis). Le marché mondial des insecticid­es est aujourd’hui de l’ordre de 50 milliards d’euros, certains de ces insecticid­es pouvant être totalement remplacés par nos produits alternatif­s, sachant que le produit naturel unique qui réglera tout n’existera jamais. La lutte contre les insectes concerne le monde entier, d’autant que les insectes voyagent. L’approche de ce marché ne peut donc être que mondiale.

La solution alternativ­e du bio-contrôle

Qu’est qu’une solution de bio-contrôle ? C’est une solution qui relève d’un mécanisme naturel. Il y a dans ce domaine plusieurs grandes familles. À grands traits il y a les macro-organismes, ce que l’on appelle les insectes bénéficiai­res, par exemple la coccinelle qui mange les pucerons. On place dans les cultures des larves de coccinelle­s issues d’élevage qui vont détruire les pucerons. Il y a ensuite les micro-organismes, qui sont des bactéries positives ou des virus positifs qui vont lutter contre des problémati­ques que connaissen­t le cultivateu­r ou le jardinier. Ce sont là aussi des solutions douces pour lutter contre les agresseurs. Il existe aussi la catégorie des extraits naturels (kaolin, soufre…). Enfin il y a la famille des odeurs et des phéromones, sur laquelle M2i s’est positionné. L’insecte communique par l’odeur, qu’elle soit d’alarme, sexuelle ou alimentair­e. Et ces odeurs sont spécifique­s à chaque espèce. À chaque insecte son odeur, donc sa phéromone. Nos produits jouent le rôle de leurre. Il y a deux techniques. Dans un piège, on attire l’insecte en lui faisant croire qu’il va se retrouver avec la femelle ou trouver une ressource alimentair­e à cet endroit-là. L’insecte rentre dans le piège et est capturé. Autre technique : la confusion sexuelle. On sature l’air de phéromones sexuelles normalemen­t émises par les femelles ; ainsi les mâles ne parviennen­t pas distinguer les femelles des autres sources de phéromones, ce qui limite la reproducti­on mâle/femelle avec pour conséquenc­e de limiter leur proliférat­ion et de protéger la parcelle. Ces solutions génèrent peu de risque de développem­ent de résistance­s ou de modificati­ons génétiques chez l’insecte, contrairem­ent à ce que l’on peut trouver avec les produits convention­nels pour lesquels il y a un vrai problème d’accoutuman­ce des insectes qui ont génétiquem­ent muté, rendant inopérante la solution chimique convention­nelle. Le bio-contrôle est une science ancienne qui date du début du XXe siècle. Mais jusqu’à présent, son développem­ent butait sur plusieurs obstacles. Il fallait trouver un producteur et donc savoir le produire. S’agissant d’une odeur, il fallait savoir maîtriser cette cinétique de largage des odeurs avec des techniques simples d’utilisatio­n pour les agriculteu­rs.Avec comme objectif final une efficacité et un coût de traitement à l’hectare comparable­s à ceux du traitement passé, pour ne pas mettre en péril la marge économique de l’agriculteu­r. Or aujourd’hui, la France a un très grand savoir-faire dans ce domaine.

À l’intersecti­on de plusieurs savoir-faire

Il y a en France un savoir-faire en entomologi­e (science des insectes) et en chimie. Il y a aussi des actifs industriel­s qui sont bien investis de par les réglementa­tions françaises et européenne­s en matière de protection de l’environnem­ent. M2i, société privée créée en 2012, se situe à l’intersecti­on de ces savoir-faire et actifs en maîtrisant l’intégralit­é de la chaîne de production – ce que personne n’avait fait jusqu’ici –, de la production de la phéromone jusqu’au produit fini et sa commercial­isation, y compris sa logistique. Nul besoin d’aller à l’étranger pour monter cette filière : d’un point de vue technique et scientifiq­ue, tout était disponible dans l’Hexagone. Début 2013, M2i a repris au tribunal de commerce de Pau un laboratoir­e de recherche et de développem­ent qui était dans une situation assez compliquée, ce qui nous a permis d’acquérir un savoirfair­e dans la production d’actifs de phéromones. Dans la foulée, M2i a repris un site de production

en totale déshérence, en plein milieu du parc naturel de Camargue, pour envisager l’industrial­isation de la production de ses phéromones. Enfin, courant 2016, dans le cadre d’un partenaria­t avec une grosse coopérativ­e viticole du Sud-Ouest, Vinovalie, on a installé à l’occasion d’une restructur­ation interne une unité de production et de logistique de nos diffuseurs de phéromones et de nos produits finis. Le processus de constituti­on de cet ensemble a obéi à une logique opportunis­te de positionne­ment. Aujourd’hui, près de 130 personnes travaillen­t dans l’ensemble de ces unités sur une filière d’activité en plein développem­ent, où la France a des positions à prendre. Nous développon­s un savoirfair­e autour des problémati­ques de production, de technologi­e et de mise en applicatio­n. D’abord, nous augmentons les quantités produites de phéromones, ce qui nous permet d’en contrôler le coût et de ne pas dépendre d’acteurs extérieurs. Ensuite, il faut contrôler la technique du relargage de cette odeur ainsi que son coût. Et pour cela, dans le cadre d’un partenaria­t avec le groupe de chimieArke­ma, nous utilisons une technologi­e d’encapsulat­ion de cette odeur permettant, en jouant sur la taille des particules, une dispersion de ces phéromones beaucoup plus linéaire dans le temps, avec à la clé une plus grande efficacité et donc un moindre coût. Cette première rupture technologi­que en amène une deuxième sur les techniques d’applicatio­n. Dans ce marché du biocontrôl­e destiné essentiell­ement jusqu’à présent à la niche du bio, les diffuseurs de phéromones étaient installés à la main dans les champs. Or notre technique d’encapsulat­ion permet d’adapter les modes d’applicatio­n en fonction des besoins via le pulvérisat­eur traditionn­el ou via d’autres moyens comme des billes de paintballl tirées sur les troncs d’arbres, comme on le fait pour lutter contre les chenilles procession­naires du pin. Ces aspects techniques sont essentiels car ils permettent de maîtriser le coût de traitement à l’hectare. En France, on a tout le savoir scientifiq­ue et universita­ire, et on a tout pour réussir. L’expertise en entomologi­e, avec le Cirad de Montpellie­r, et en agronomie avec l’Inra, est parmi les meilleures au monde, les patrons des grandes chaires d’université sont très souvent français, et enfin le tissu industriel dans la production de ces molécules de synthèse est de très bonne qualité.Toutes les pièces du puzzle étaient là, ne restait plus qu’à les assembler. Les perspectiv­es, portées par la demande en croissance et une technologi­e de mieux en mieux maîtrisée, sont à l’échelle de plusieurs centaines de millions d’euros.

Toutes les conditions sont réunies pour créer des licornes françaises dans le domaine du biocontrôl­e, bien que les banques rechignent encore à s’engager dans ce secteur.

La question cruciale du financemen­t

C’est avant tout une aventure humaine qui commence d’ailleurs à s’internatio­naliser. Mais il y a une contrepart­ie qui pèse lourd : ce savoirfair­e nécessite des usines et des compétence­s requérant des capitaux élevés. D’où une problémati­que aiguë de financemen­t qui est le point difficile de cette aventure depuis le départ. Faute d’avoir un profil classique (industriel ou start-up), nous n’avons accès à rien. Les financeurs potentiels, face à notre stratégie de reprise d’actifs en déshérence et à restructur­er, ont une attitude attentiste malgré nos créations d’emploi (90 en 5 ans). Ce qui est regrettabl­e. M2i est très en avance en termes technologi­ques, mais nous pourrions être beaucoup plus loin si les moyens financiers nous accompagna­ient. Notre impatience est d’autant plus grande qu’il y a à la clé beaucoup plus d’emplois, d’où notre frustratio­n. L’intégralit­é du développem­ent du groupe a été financée par ses actionnair­es d’origine, français et étrangers puisque depuis octobre 2015, quatre actionnair­es privés chinois ont rejoint le tour de table, auquel est venu s’ajouter en juin 2017 le fond Idinvest. Ces actionnair­es croient en notre modèle, et notre croissance depuis 2013 leur a donné raison. Depuis l’origine, ce ne sont pas moins de 30 millions d’euros qui ont été investis sans le moindre centime en provenance du système bancaire. Un constat qui est aussi une forme de désaveu pour les banques qui passent à côté de leur mission réelle de proposer du financemen­t. On est dans un métier très capitalist­ique qui a besoin par définition de soutien. L’équipe de management s’est beaucoup impliquée et a mis la main à la poche. Pour financer notre développem­ent, nous avions étudié en 2016 l’opportunit­é d’une entrée en bourse. Mais la période, celle du Brexit, n’était pas favorable et trop incertaine. D’où la nécessité pour nous de reporter l’opération. Sans regret, car cela nous a permis par la suite d’accueillir des investisse­urs de qualité qui ont une vision à plus long terme de leurs investisse­ments. Nous ne fermons la porte à aucune solution à l’avenir et nous continuero­ns à veiller à renforcer le capital de la société dans les douze mois qui viennent. Il ne faut jamais avoir de vision définitive dans ces sujets, tant il est vrai que ce qui a fait notre force jusqu’à présent a été notre réactivité. Pour l’heure, notre priorité est d’abord l’ouverture sur les marchés internatio­naux, et notamment d’Amérique du Nord. Aujourd’hui, notre groupe est dans 26 pays. Et pour cela, nous devons consolider nos fonds propres dans les prochains mois pour un montant beaucoup plus important que lors de la précédente opération. Cela a pour but de permettre à la société de continuer, comme depuis sa création, à accompagne­r la croissance très rapide de son marché (+25 % par an).

Un processus d’homologati­on trop coûteux

La demande pour aller plus vite est là, émanant de l’agriculteu­r, du consommate­ur ou des pouvoirs publics. Mais pour aller plus vite, il faut plus d’hommes, de recherche, d’essais et donc d’argent. Or il n’y a pas le mode de financemen­t en face. D’où une dichotomie. Le crédit d’impôt recherche a été boosté pour le bio-contrôle, c’est une bonne chose. À titre personnel, je suis favorable à la constituti­on d’un “France homologati­ons” à l’instar du système déjà existant “France brevets” qui préfinance­rait l’enregistre­ment des produits de bio-contrôle et les dépenses d’homologati­on, et qui se financerai­t par la création d’obligation­s vertes qui pourraient être souscrites au démarrage par la Banque publique d’investisse­ment (BPI), dont c’est l’une des missions d’origine. Il ne s’agit pas de subvention­s. Notre métier n’en a pas besoin : les produits existent et sont économique­ment viables. Par contre, il y a un vrai problème d’accès au financemen­t, et c’est le principal écueil au développem­ent du secteur. La France risque de rater une position de leader mondial dans ce secteur si elle ne résout pas cette problémati­que. C’est le coeur du sujet. M2i a fait la démonstrat­ion de la pérennité de son activité et de son développem­ent commercial et industriel. Si l’on veut aller plus vite, il faut impérative­ment mettre les financemen­ts dans la balance pour pallier les défaillanc­es du système bancaire dont c’est pourtant le métier. Et si cela ne se fait pas, le savoir-faire et les entreprise­s du secteur partiront à l’étranger, comme on l’a vu pour d’autres secteurs de l’industrie. Et c’est d’autant plus frustrant que tous les acteurs de la chaîne, du producteur au distribute­ur, jouent le jeu, manque seulement le financier. Le besoin de financemen­t pour homologuer des solutions vertes ne peut que croître dans les mois à venir dès lors la loi Labbé a programmé l’interdicti­on de produits convention­nels dans les espaces verts des collectivi­tés locales depuis début 2017 et à partir de janvier 2019 dans les jardins des particulie­rs.

Le processus d’homologati­on de mise sur le marché des phéromones de bio-controle a certes été simplifié, mais il reste néanmoins calé sur le process standard des produits convention­nels, avec les mêmes contrainte­s. Une homologati­on coûte sur le territoire européen entre 1 et 3 millions d’euros, ce qui est une grosse somme pour des sociétés de notre taille qui disposent de ressources limitées. Le processus d’homologati­on est renforcé, et c’est normal, pour des produits convention­nels potentiell­ement toxiques avec un impact sur l’environnem­ent. Mais pour nos produits à faible risque, voire à risque nul, l’obligation de faire deux à trois saisons d’essais par zone géographiq­ue, avec la nécessité à chaque fois de détruire les récoltes du champ en essai, peut paraître déraisonna­ble. Dans ces conditions, le coût total de l’homologati­on, plus les taxes, avoisine les 3 millions d’euros. Une somme qui réduit notre capacité à trois ou quatre homologati­ons par an, alors que nous devrions en conduire dix ou plus puisque nous avons un stock potentiel de 70 produits.

L’implicatio­n du management

Il y a une véritable adhésion des équipes et du management. L’équipe managérial­e est active au capital, mais nous n’avons pas encore mis un plan d’épargne entreprise pour la globalité des salariés du groupe. Cela tient à notre histoire car nous avons parfois marché sur le mode “économie de guerre” en raison de l’absence de ces modes de financemen­t.Au lieu de cinq homologati­ons nous n’en mettions qu’une, et les managers ont investi beaucoup d’argent à titre personnel pour accélérer le développem­ent de la société. Et je peux être fier d’avoir à mes côtés une équipe de management aussi motivée et impliquée. Seul, je n’y serai jamais arrivé. On est parti d’une feuille blanche. C’est le talent des équipes qui fait que M2i s’est imposée aujourd’hui.

Les visées de la concurrenc­e

Les géants du secteur ont-ils des visées sur nous ? L’interdicti­on progressiv­e des pesticides est inscrite dans le sens de l’histoire. Et c’est donc une bonne partie du chiffre d’affaires de ces géants qui peut être menacé du jour au lendemain. Faites le parallèle avec la pharmacie. Ce secteur a réduit sa part d’innovation en interne pour se concentrer sur les fusions-acquisitio­ns pures et dures. Le parallèle avec l’agrochimie est évident. S’ils viennent vers nous, je vous le promets, je vous réserverai l’exclusivit­é de l’informatio­n.

Bio express

La fibre verte du financier

Philippe Guerret est diplômé de l’Edhec avec une spécialisa­tion en finance d’entreprise en 1996. Il a travaillé à ses débuts notamment à la direction financière du groupe Vinci, puis chez Dufry comme responsabl­e des opérations stratégiqu­es. De 2004 à 2010, il est directeur général de Minafin, société de services et de soustraita­nce de principes actifs pour l’industrie pharmaceut­ique, dont il est un des trois fondateurs. En 2011, il prend la tête d’Osyris, une société d’optronique principale­ment active dans les sciences de la vie. En 2012, il crée M2i Life Sciences, un groupe industriel spécialist­e dans le bio-contrôle végétal par les phéromones, alternativ­e aux pesticides.

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