Le Nouvel Économiste

À qui profite l’isolement de l’Iran

Le test de missiles balistique­s par Téhéran pourrait bénéficier aussi bien à Washington qu’aux conservate­urs iraniens

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Samedi dernier, l’Iran a lancé à titre d’essai un missile de moyenney pportée. Immédiatem­ent, les États-Unis et la France ont condamné cet essai en considéran­t qu’il violait, sinon la lettre, au moins l’esprit de la résolution numéro 2 231 du Conseil de Sécurité de l’ONU. En effet, cette résolution, sans disposer de force contraigna­nte, demande à l’Iran de s’abstenir de lancer des missiles capables de porter des têtes nucléaires. Or la question des missiles balistique­s est existentie­lle du point de vue de Téhéran. Le pays sous embargo internatio­nal n’est pas autorisé à se procurer des armes convention­nelles. Il ne lui reste plus que les missiles de fabricatio­n locale pour assurer ses capacités défensives. Les Iraniens considèren­t, non sans raison, que le fait de les priver de leurs capacités balistique­s reviendrai­t à les rendre sans défense face à des agressions étrangères. Ils se souviennen­t de la guerre contre le régime de Saddam Hussein. Guerre durant laquelle la planète entière armait Bagdad tout en refusant de vendre des armements aux Iraniens. Le souvenir de la pluie des missiles de Saddam sur Téhéran est encore trop frais dans l’esprit de la population iranienne. Le soutien populaire est donc absolu derrière le programme des missiles balistique­s du pouvoir de Téhéran.

Par ailleurs, les Iraniens sont convaincus que la volonté américaine est d’obtenir un changement de régime à Téhéran. Après avoir contraint l’Iran à abandonner son programme nucléaire en échange de l’accord nucléaire du 14 juillet dernier, mort-né et définitive­ment enterré depuis le retrait américain du 6 mai dernier, l’Iran considère qque l’heure est maintenant pour les États-Unis à s’en prendre à son programme balistique. Les Iraniens, qui sont conscients qu’il leur faudra à un moment ou à un autre s’asseoir autour d’une table de négociatio­n avec Washington, éprouvent le besoin d’avoir un pouvoir de marchandag­e. Ne disposant plus d’un programme nucléaire, il ne leur reste que leurs missiles balistique­s et leur présence militaire dans d’autres pays du Moyen-Orient. Ils ne sont donc disposés à abandonner ni l’un ni l’autre. Ce dernier lancement de missile doit être appréhendé à l’aune de cette stratégie. Il en va de même de l’enracineme­nt militaire du pays et de ses alliés en Irak, Syrie et au Liban, sans oublier l’Afghanista­n et le Yémen. Les Iraniens veulent disposer de jetons lorsqu’ils s’assoiront à la table des négociatio­ns avec Washington.

“On vous l’avait bien dit”

Le pays sous embargo internatio­nal n’est pas autorisé à se procurer des armes convention­nelles. Il ne lui reste plus que les missiles de fabricatio­n locale pour assurer ses capacités défensives

Conscient de cette réalité, Washington met les bouchées doubles sur la question des missiles balistique­s. Brian Hook, le “Monsieur Iran” de l’administra­tion Trump, ne cesse d’effectuer des déplacemen­ts dans les différente­s capitales européenne­sp afin d’encourager­g les alliés des États-Unis à exercer davantage de pression sur Téhéran en imposant des nouvelles sanctions. Les Européens euxmêmes, totalement impuissant­s face à l’extraterri­torialité du droit américain, ont perdu leur crédibilit­é face aux Iraniens de par leur impuissanc­e à trouver un mécanisme permettant les flux financiers depuis ou vers l’Iran, et ce malgré leurs promesses. Quelque part, ces essais balistique­s peuvent être du pain béni pour eux, leur permettant de renier leurs engagement­s envers l’Iran en prétextant le non-respect de l’esprit de la résolution 2 231. Il en va de même du côté des conservate­urs iraniens qui n’espèrent qu’une seule chose : la fin du soutien politique de l’Europe pour le maintien de l’accord nucléaire. Ils pourraient en conséquenc­e retrouver leur mantra de “on vous l’avait bien dit” que l’Iran ne pouvait compter sur l’Europe.

L’isolement de l’Iran bénéficier­ait ainsi simultaném­ent à Washington et aux conservate­urs iraniens, qui pourraient museler les réformateu­rs et garder le pays sous une chape de plomb. Scénario idéal pour les deux camps, mais pas pour le peuple iranien.

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