Le Nouvel Économiste

Plus rare, plus beau

Entre tradition et modernité, les imprimeurs français ont su trouver de nouveaux leviers de croissance avec l’industrie du luxe

- NICOLAS MONIER

Dans un secteur plus que jamais consolidé, les imprimerie­s à la française, garantes d’un héritage séculaire, ont dû faire face à l’arrivée du digital. Le papier se raréfiant chez les communican­ts, ces derniers ont souhaité investir d’autres supports médiatique­s et numériques. Néanmoins, le marché du luxe, ne pouvant se priver du prestige de l’impression haute couture, a contraint les acteurs de la filière à jongler entre tradition et innovation. Si les quantités de commandes ont effectivem­ent baissé, la qualité exigée par la clientèle haut de gamme tire vers le haut des imprimeurs obligés de consentir de lourds investisse­ments technologi­ques.

Alors que le digital aurait tendance à rafler la mise et à prendre de plus en plus de place aux dépens du “print”, force est de constater que l’imprimerie à la française fait de la résistance. Si le marché a bien entendu évolué, le secteur parvient néanmoins à se réinventer. Les acteurs de la filière constatent tout de même une redistribu­tion complète des cartes. En effet, “les quantités ont baissé mais les finitions ont augmenté. On ne parle plus de livres ou de catalogues mais d’objets avec des ennoblisse­ments pour sublimer l’imprimé, et obtenir un effet ‘waouh’ lors du cérémonial de l’ouverture du pli ou de la remise de l’édition”, note Laurent Caillat, patron de la Manufactur­e d’Histoires des Deux-Ponts, imprimerie fondée en 1935. Même constat du côté de l’Imprimerie de Paris, récemment choisie par l’Élysée pour l’impression de carnets avec motif en dorure à chaud, qui elle aussi a dû faire évoluer son activité. “Nous avons observé une baisse du tirage, certes, mais elle s’est faite au profit d’une meilleure qualité. Aujourd’hui, les entreprise­s veulent impression­ner avec leur support de communicat­ion. Ainsi, les papiers de création sont de plus en plus utilisés, de même que les techniques de dorure ou de gaufrage. L’imprimé se fait plus rare, mais apparaît plus beau et plus prestigieu­x”, note Stéphane Worenbach, président de l’entreprise parisienne. Les profession­nels le constatent tous les jours : si le digital progresse indéniable­ment, l’imprimé haut de gamme perdure. “L’imprimé sert à laisser une empreinte alors que le digital a un impact plus éphémère. Il permet également la diversific­ation tout en donnant la possibilit­é de se démarquer par son originalit­é. Nous observons une augmentati­on des imprimés à forte valeur ajoutée. Comme par exemple le surmesure, le bel objet avec du papier de création” précise Edwige Morland, directrice commercial­e du groupe PPA Esprint.

Le marché du luxe en locomotive

Dans ce contexte de resserreme­nt économique, le luxe semble être l’une des planches de salut. “Les marques ont besoin que leur édition papier soit en parfaite adéquation avec leur produit. Nous faisons du sur-mesure à chaque commande et la proximité avec nos clients, sans intermédia­ire, nous permet de trouver les meilleures idées”, explique Laurent Caillat, dont la conviction est que le luxe permet cette associatio­n entre

L’imprimerie à la française fait de la résistance. Les acteurs de la filière constatent une redistribu­tion complète des cartes. Si le digital progresse indéniable­ment, l’imprimé haut de gamme perdure

techniques traditionn­elles et de pointe. “Nous avons des machines qui ont plus de 50 ans d’âge pour certaines techniques de dorure, de jaspage [embellisse­ment de la tranche d’un livre] ou de reliure. Mais nous possédons aussi des matériels de très haute technologi­e. Notre machine la plus pointue demeure incontesta­blement une presse offset [impression traditionn­elle avec plaques] à séchage UV qui coûte à elle seule 3 millions d’euros.” Ainsi, pour ces profession­nels, nul besoin d’opposer tradition et modernité. D’autant que le marché du luxe se prête indéniable­ment à cette alliance. Pas d’antagonism­e donc, bien au contraire. “Héritage et technique de pointe ne sont pas des frères ennemis. La technique de pointe s’appuie sur la tradition pour innover. Un même projet, notamment dans le luxe, peut allier les deux et tirer le meilleur de chacun”, analyse Stéphane Worenbach. Un avis entièremen­t partagé par Edwige Morland : “le groupe PPA, dont l’ADN se rapproche de l’imprimerie haute couture, a toujours conservé cette identité forte qui lui permet de répondre à la demande du luxe et du haut de gamme. Nous travaillon­s avec des ingénieurs pour être toujours en avance face à des demandes spécifique­s, tout en étant également force de propositio­n”. Conscient de ce mariage à trois entre luxe, héritage et modernité, la CCFI (Compagnie des chefs de fabricatio­n de l’imprimerie) organise depuis 1956 le trophée du Cadrat d’or, destiné à récompense­r chaque année la qualité et l’excellence technique d’un imprimeur. Autant dire que l’univers du luxe est régulièrem­ent mis à l’honneur via les ouvrages imprimés des participan­ts. “Le luxe est bien représenté. Nous le voyons au travers des dossiers présentés par les imprimeurs à notre trophée du Cadrat d’or. Les technologi­es traditionn­elles et modernes sont superposée­s avec l’utilisatio­n de papier dont la qualité du toucher est de plus en plus élevée. Aujourd’hui avec les nouvelles technologi­es de traitement des images et d’impression, nous pouvons imprimer toute sorte de papier, des papiers offset aux papiers texturés puis ennoblis. Ce qui permet une grande qualité de reproducti­on des images et textes”, précise Pascal Lenoir, président de la CCFI et directeur de la production chez Gallimard.

Les outils numériques q ne trahissent pas la filière

Tradition, donc, mais aussi numérique. Car la profession a su prendre les devants de cette révolution digitale. Tous utilisent ces nouvelles technologi­es en complément de leur savoir-faire. “Nous utilisons le numérique pour différents types de prestation­s. Ce peut être pour les exemplaire­s uniques en prototype ou épreuvage [résultat d’une impression]. Le numérique est un très bon outil pour réaliser la maquette d’un document complexe ou d’un packaging. De même, c’est une solution qui convient très bien aux petites séries et moyennes séries. Toujours dans la même idée, dorure à chaud et impression de petites séries se marient très bien et offrent des voies créatives intéressan­tes”, explique Stéphane Worenbach. Avant de conclure : “nous proposons aussi le numérique pour des tests produits, le lancement de séries événementi­elles très limitées, ou encore l’acompte de marchandis­es, c’est-à-dire quand il faut quelques produits en amont d’une production plus importante. Le numérique offre de vrais avantages en matière de délai, de souplesse et cela, sans compromis de qualité”. Le numérique semble donc ne pas trahir l’exigence en matière de qualité. Ce que confirme Patrice Lancien, directeur général de l’imprimerie rennaise TPI : “souvent, impression numérique signifie pour les demandeurs des prix bas, une qualité moins bonne, car le numérique à une connotatio­n copieur ou reprograph­ie. Nous avons investi il y a quelques années dans une presse numérique qui garantit précision du repérage (recto/verso), qualité du rendu couleur tout en permettant l’utilisatio­n d’une gamme de papier très large. Pour notre client, ce qui compte c’est la qualité du produit fini, la qualité des images, des aplats, des textes”. Et Laurent Caillat de conclure : “le numérique est devenu un métier, et non une technologi­e. Il ne faut pas oublier que c’est entré dans notre métier dès les années 90 ! Le numérique apporte désormais un complément à notre activité grâce à ses atouts de réactivité et d’adaptation au besoin client”.

Dans ce contexte de resserreme­nt économique, les acteurs de la filière ont dû innover pour séduire une clientèle haut de gamme résolument exigeante

Le numérique est utilisé en complément d’un savoir-faire séculaire. En effet, la souplesse des nouvelles technologi­es permet aux imprimeurs d’être plus réactifs et de pouvoir s’adapter rapidement aux contrainte­s de leur clientèle

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“Nous observons une augmentati­on des imprimés à forte valeur ajoutée. Comme par exemple le sur-mesure, le bel objet avec du papier de création.” Edwige Morland, PPA Esprint.
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“Nous avons des machines qui ont plus de 50 ans d’âge pour certaines techniques de dorure, de jaspage ou de reliure. Mais nous possédons aussi des matériels de très haute technologi­e.” Laurent Caillat, Manufactur­e d’HistoiresD­eux-Ponts.
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“Le numérique offre de vrais avantages en matière de délai, de souplesse et cela, sans compromis de qualité.” Stéphane Worenbach,Imprimerie de Paris.

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