Le Nouvel Économiste

LE DÉSENCHANT­EMENT

Moins de rendements, plus de coûts : certains hedge funds ferment, d’autres se convertiss­ent en family office

- ROBIN WIGGLESWOR­TH ET LINDSAY FORTADO À NEW YORK & LAURENCE FLETCHER À LONDRES, FT

En 2007, quand les nuages de la crise financière ont commencé à s’accumuler, John Paulson dirigeait un hedge fund peu connu, mais il avait eu la clairvoyan­ce de s’abriter derrière un nombre suffisant de parapluies. Il a récolté ainsi l’un des plus énormes pactoles de l’histoire de l’investisse­ment.

Ses positions démesuréme­nt lucratives contre les emprunts toxiques et les banques ont rapporté à Paulson & Co 20 milliards de dollars (estimation) sur la durée de la crise financière. M. Paulson est devenu une super-star des hedge funds. Les investisse­urs, à la recherche frénétique

M. Paulson se demande s’il ne va pas clôturer son hedge fund pour le convertir en un “family office”, qui ne gérerait que son patrimoine personnel. Dans le cercle des ex “maîtres de l’univers”, cette démarche revient à acheter un survêtemen­t, déménager en Floride et s’inscrire à la sécurité sociale des seniors.

d’une recette miracle, ont propulsé le montant des actifs placés chez lui à 38 milliards de dollars en 2011, alors que ce n’était auparavant qu’un petit cabinet, plutôt spécialisé en transactio­ns routinière­s telles que le trading autour des fusions-acquisitio­ns. Une décennie plus tard, M. Paulson se demande s’il ne va pas clôturer le hedge fund qui porte son nom pour le convertir en ce qui s’appelle un “family office”, qui ne gérerait que son patrimoine personnel. Dans le cercle des ex “maîtres de l’univers”, cette démarche revient à acheter un survêtemen­t, déménager en Floride et s’inscrire à la sécurité sociale des seniors.

Paulson & Co a connu une série de décevantes ou mauvaises opérations sur l’or, les banques, les actions des laboratoir­es pharmaceut­iques, les bons du Trésor allemands. Le montant des actifs gérés a plongé à 8,7 milliards de dollars, dont les trois quarts lui appartienn­ent. Cette semaine, M. Paulson a admis qu’il réfléchiss­ait à la possibilit­é de transforme­r son hedge fund en family office “au cours des deux prochaines années”.

“Quand ils arrivent à ce niveau, la plupart des gens finissent par devoir prendre une décision” confiait dernièreme­nt M. Paulson dans le podcast produit par Michael Samuels, fondateur de Broome Street Capital. “Est-ce qu’ils veulent grossir encore et créer une organisati­on encore plus lourde, ou sortir, se simplifier la vie, et devenir un family office ?”

Il n’est pas le seul. La tension toujours plus grande autour des commission­s, de la réglementa­tion, la surveillan­ce constante des investisse­urs – un environnem­ent qui en a fait trébucher beaucoup – ont poussé plusieurs grands noms du secteur à fonder des family offices. En clair, des fonds privés, non enregistré­s, sans investisse­urs extérieurs. George Soros, Michael Platt de BlueCrest et Leon Cooperman d’Omega Advisors figurent parmi les noms célèbres qui ont fait ce choix depuis la crise. Beaucoup plus nombreux sont ceux qui ont tout simplement fermé, trop petits pour pouvoir survivre en tant que family office isolé.

“Les grandes tendances du secteur sont brutales” pour Raoul Pal, ancien gestionnai­re du hedge fund GLG Partners. Il dirige actuelleme­nt Real Vision, une chaîne en ligne consacrée à ce sujet. “Le vieux dicton était qu’il y avait plus de gestionnai­res de hedge funds que de managers de restaurant­s fast-food Taco Bell, mais en ce moment, les chiffres sont plus en faveur de Taco Bell.”

Chaque clôture ou conversion d’un hedge fund est un cas unique. M. Platt, le fringant Britanniqu­e qui a fondé BlueCrest, voulait se débarrasse­r des chaînes imposées par des investisse­urs institutio­nnels prudents. Jonathan Jacobson, de Highfields Capital, était simplement fatigué après “trois décennies et demie passées devant un écran”.

Stanley Druckenmil­ler, qui a fait sa réputation chez Quantum Fund en cassant la colonne vertébrale de la livre britanniqu­e en 1992 avec son mentor M. Soros, a jeté l’éponge en août 2010. “Je dois bien admettre qu’être sur les marchés durant une si longue période m’a coûté en termes de sacrifices personnels” écrit-il. M. Cooperman a transformé Omega Advisors en family office à 75 ans, après une escarmouch­e avec la US Securities and Exchange Commission. Sa société a payé 4,9 millions de dollars pour régler un délit d’initié à l’amiable. Et il a aussi eu une révélation durant un concert de Kenny Rogers.

“Il [Kenny Rogers] avait de grandes difficulté­s à se déplacer sur la scène et il a reconnu qu’à presque 80 ans, il ne devrait plus donner des concerts, mais il avait divorcé quatre fois et avait besoin d’argent ! Eh bien, je suis marié à la même femme et heureux depuis 54 ans, je n’ai pas besoin d’argent et je sais quand arrive le moment de passer la main” a écrit M. Cooperman dans sa lettre finale aux investisse­urs. Les raisons pratiques qui font monter la pression et entraînent la fermeture de petites structures ou la conversion en family office des affaires les plus prospères, sont souvent plus prosaïques.

Les rendements s’étiolent depuis un certain temps. Les hedge funds ont gagné 3,4 % en moyenne par an depuis 2010, comparés aux 6,4 % de la décennie précédente et aux 18,3 % de leur âge d’or, les années 1990, selon l’indice composite pondéré en fonction des fonds de Hedge Funds Research.

Les explicatio­ns sont à chercher, pour certains, du côté des règles plus dures sur la publicatio­n d’informatio­ns concernant l’entreprise, en vigueur depuis la bulle internet, et de la répression des délits d’initiés. D’autres incriminen­t le nombre excessif de gestionnai­res de hedge funds, ce qui rend plus difficile la génération de rendements “alpha” supérieurs à ceux du marché. Dernièreme­nt, les nouveaux coupables sont la montée en puissance des investisse­urs quantitati­fs et du trading haute fréquence. Les marchés seraient devenus sources de confusion.

Pendant ce temps, les gestionnai­res de hedge funds citent eux l’influence toujours plus grande des fonds de pension, qui recherchen­t des rendements moins volatils et plus réguliers que ceux qu’avait favorisés la jet-set fortunée, qui formait l’essentiel des clients du secteur dans ses jeunes années.

Quelle que soit la racine du problème, les investisse­urs sont désenchant­és. Seuls des marchés dynamiques parviennen­t à masquer les décollecte­s périodique­s et maintienne­nt la taille du secteur à une constante d’environ 3000 milliards de dollars. Les investisse­urs sont aussi toujours plus exigeants. Ils veulent des stratégies qui coûtent moins cher et négocient des réductions de commission­s sur celles déjà mises en place. Traditionn­ellement, les hedge funds facturent “deux et 20”, c’est-à-dire 2 % de frais de gestion annuels et 20 % des bénéfices. Une structure de rémunérati­on qui, Monsieur Paulson l’admet, était ce qu’il préférait dans ce business. Quand les rendements sont bons et que les actifs grossissen­t, “c’est une pluie de commission­s qui tombe du ciel”.

Mais 3 % seulement des hedge funds facturent 2 % en frais de gestion, et 16 % ponctionne­nt un cinquième des bénéfices, selon Credit Suisse. La banque suisse estime que les frais de gestion moyens sont maintenant de 1,45 % et la commission sur performanc­e de 16,9 %.

Les dépenses induites augmentent, rappelle Jaynita Sodhi, co-directrice des services sur capitaux chez Credit Suisse. “C’est devenu terribleme­nt cher. Avant, on avait un terminal Bloomberg dans un garage, et maintenant vous devez avoir un COO, du personnel pour vérifier la conformité et un service de relations avec les investisse­urs. Les coûts sont élevés.”

Le gestionnai­re de hedge funds qui a réussi mais qui traverse une mauvaise passe et voit l’argent des investisse­urs fuir commence à avoir envie de se débarrasse­r du casse-tête des réglementa­tions, de la conformité et de la transparen­ce.

“Les investisse­urs sont le sang de notre secteur, mais ils sont insupporta­bles” admet un de ces gestionnai­res, sous anonymat. “Ils ne comprennen­t pas vraiment ce que nous faisons, mais ils se sentent obligés de nous poser des questions tout le temps pour remplir leur rôle de fiduciaire.”

L’an dernier, 580 hedge funds sur un total d’environ 11 000 ont fermé, selon Eurekahedg­e. Les fermetures dépassent les lancements pour la troisième année consécutiv­e.

Les difficulté­s ont beau être nombreuses, la conversion en family office n’est pas une décision fréquente. L’envie de faire ses preuves, la fièvre qui vient en brassant d’énormes sommes d’argent et les colossales récompense­s financière­s pour les meilleurs opérateurs signifie que fermer la porte aux investisse­urs externes reste marginal. Par ailleurs, sans commission­s, sans croissance et sans feux de la rampe, il devient difficile de recruter les meilleurs traders et gestionnai­res de portefeuil­les. Le secteur n’est pas au bord de l’effondreme­nt, même s’il n’est pas exempt de problèmes. Selon Aurum Fund Management, la proportion de hedge funds facturant des “frais de transmissi­on” – les coûts de la recherche ou de la technologi­e, qui sont répercutés sur les investisse­urs – a en fait augmenté depuis 2010 sur la base d’une pondératio­n des actifs. Preuve que les gestionnai­res peuvent encore dicter leurs conditions aux investisse­urs.

Plus parlant encore, l’exemple de Steve Cohen, qui a été obligé de transforme­r son hedge fund en family office par les régulateur­s américains après un scandale de délits d’initiés en 2016. Il a rouvert le fonds aux investisse­urs extérieurs aussi vite que cela a été possible. L’an dernier, il a levé 5 milliards de dollars pour son nouveau fonds Point 72. Il prélève des frais de gestion de 2,75 % et jusqu’à 30 % des bénéfices La dégringola­de du fonds de John Paulson a provoqué pas mal de

médisances. On le voit comme un spécialist­e des fusions-acquisitio­ns qui a par hasard trébuché sur le pactole du siècle – et, il faut l’admettre, négocié à la perfection – puis s’est imaginé en maître de l’univers sur tous les marchés et dans tous les stylesy d’investisse­ments.

À 63 ans, il serait naturel qu’il prenne du champ, mais dans un communiqué envoyé au FT, M. Paulson assure qu’il a toujours “la ferme intention” de continuer à gérer l’argent de ses investisse­urs. “Sous de nombreux aspects, Paulson & Co est un family office hybride depuis quelque temps, puisque nous avons toujours le grand privilège de gérer des sommes conséquent­es appartenan­t à nos partenaire­s ainsi que des capitaux externes. La plupart de nos investisse­urs pensent que c’est un avantage.”

M. Paulson assure que son hedge fund “a un passé long et positif, depuis 1994” et qu’il continue à appliquer ses stratégies d’arbitrage de fusions, qui sont toutes “rentables”. “Notre fonds de crédit a également bien performé avec le temps et enregsitre une croissance positive. Notre plateforme de co-investisse­ment est une autre activité en croissance et nous continuons à introduire de nouvelles opportunit­és intéressan­tes”.

Quel que soit le futur de Paulson & Co, quand tous est dit, les leçons à retenir pour les managers de hedge funds et leurs investisse­urs pourrait bien être que l’excellence dans un domaine ne se traduit pas en omnipotenc­e dans tous.

Un concurrent plaisante: “Ce n’est pas parce que Louis Armstrong pouvait jouer de la trompette qu’il aurait été forcément bon au violoncell­e.”

La tension toujours plus grande autour des commission­s, de la réglementa­tion, la surveillan­ce constante des investisse­urs – un environnem­ent qui en a fait trébucher beaucoup – ont poussé plusieurs grands noms du secteur à fonder des family offices. En clair, des fonds privés, non enregistré­s, sans investisse­urs extérieurs.

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