Le Nouvel Économiste

Pourquoi Airbnb et Uber n’ont rien à voir

Airbnb se prépare à entrer en bourse, et veut absolument prouver que son modèle diffère de celui d’Uber

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Ce sont les deux exemples les plus célèbres de ce que l’on appelait la “sharing economy”, l’économie du partage. Fondés respective­ment en 2008 et 2009, Airbnb et Uber ont été les pionniers des plateforme­s de services sans infrastruc­tures propres, destinées à mettre en contact les fournisseu­rs et les utilisateu­rs d’un service donné. La location touristiqu­e pour le premier, les transports urbains pour le second. Les deux sociétés sont devenues des catégories génériques pour des start-up prétendant être “le Airbnb pour les chiens” ou “le Uber pour les médecins”...

Ce sont les deux exemples les plus célèbres de ce que l’on appelait la “sharing economy”, l’économie du partage. Fondés respective­ment en 2008 et 2009, Airbnb et Uber ont été les pionniers des plateforme­s de services sans infrastruc­tures propres, destinées à mettre en contact les fournisseu­rs et les utilisateu­rs d’un service donné. La location touristiqu­e pour le premier, les transports urbains pour le second. Les deux sociétés sont devenues des catégories génériques pour des start-up prétendant être “le Airbnb pour les chiens” ou “le Uber pour les médecins”. Mais l’introducti­on en bourse d’Uber, en mai dernier, ne s’est pas bien passée. Le prix de son action a chuté de presque 35 % depuis sa première cotation (et celle

L’introducti­on en bourse de Uber, en mai dernier, ne s’est pas bien passée. Le prix de son action a chuté de presque 35 % depuis sa première cotation

Les débuts en bourse d’Airbnb devraient avoir lieu en 2020. M. Chesky met à profit ce délai pour marteler comment il compte diversifie­r sa croissance

de son concurrent Lyft, entré en bourse en mars, de 50 %). Airbnb se prépare à son tour à entrer en bourse l’an prochain. Son patron, Brian Chesky, présente la société à la presse et en comité privé derrière des portes closes. Il veut absolument prouver que, à part cette étiquette commune de pionniers de l’économie du partage, Airbnb n’a rien à voir avec Uber. M. Chesky a fondé l’entreprise avec ses amis Joe Gebbia et Nate Blecharczy­k, quand Joe Gebbia et lui-même, designers au chômage, ont commencé à louer des nuitées sur des matelas gonflables dans leur appartemen­t de San Francisco pour joindre les deux bouts. À l’origine, ce devait être un revenu complément­aire car il avait l’intention de lancer un réseau social. Comme c’est souvent le cas, l’activité secondaire s’est révélée une meilleure idée. Après des débuts de loueurs de lits non occupés chez des particulie­rs durant des conférence­s, quand les chambres d’hôtels disponible­s sont rares, la start-up a grandi et commencé à louer des appartemen­ts ou des maisons entières. En 2009, Airbed and Breakfast est devenu Airbnb. Depuis, plus de 500 millions de locations ont été effectuées via sa plateforme, qui propose désormais plus de 7 millions de lieux (dont 4 900 châteaux et 2 400 cabanes dans les arbres) dans plus de 100 000 localités. Chaque soir, environ deux millions de personnes autour du monde dorment dans un Airbnb.

M. Chesky est en tournée depuis plusieurs mois pour son opération de séduction des futurs actionnair­es, et ses réponses à n’importe quelle question sont maintenant très au point. Il pratique l’haltérophi­lie, son physique imposant met parfois en danger les boutons de sa chemise. Voosh ! Il expédie proprement une question lors d’une interview à la télévision sur la sécurité et les caméras dissimulée­s, puis en profite pour parler de Airbnb Plus, une sélection de propriétés exceptionn­elles qui sont encore plus étroitemen­t protégées. Pow ! Il balaie d’un geste l’idée d’être inquiété par la nouvelle concurrenc­e de Marriott, le géant de l’hôtellerie s’apprêtant à lancer le service “Homes & Villas”. Au contraire, il voit ce nouvel entrant comme une validation de son modèle. Airbnb a d’ailleurs déjà riposté en autorisant les hôtels à proposer leurs chambres vacantes sur son site, et en investissa­nt dans des appartemen­ts faits sur mesure pour la location Airbnb.

Airbnb a de grands projets. Il veut sortir du secteur de la location et intervenir sur l’intégralit­é du voyage : où aller, que faire, comment y arriver – et plus seulement où dormir. Il a l’intention de devenir partenaire de compagnies aériennes pour “enrichir” l’expérience du voyage en avion. Dans ce but, Airbnb a recruté Fred Reid au début de l’année, le CEO et fondateur de Virgin America, bien que M. Chesky soit très évasif sur cette embauche. D’ores et déjà, les clients de Airbnb Luxe (qui réunit les châteaux et autres lieux d’exception) ont droit à un “trip designer” pour les aider à organiser les transports, les réservatio­ns de restaurant­s et les loisirs. De fait, la principale stratégie de Airbnb est d’offrir à ses clients non seulement un lit mais une “expérience, conçue et proposée par des personnes intéressan­tes qui vivent sur place”. Airbnb Experience­s a été lancé en 2016 et utilise la plateforme Airbnb pour mettre en contact les visiteurs et des personnes sur place pour des visites guidées ou des cours de gastronomi­e locale. En juin, il a ajouté Airbnb Adventures, qui organise des voyages de groupes jusqu’à 12 personnes vers des destinatio­ns exotiques. Les gens ne voyagent pas pour dormir, aime dire M. Chesky, mais pour faire une expérience.

Idem chez Uber. Le géant des VTC a également élargi son offre, avec la livraison de repas et de colis. Mais les ressemblan­ces s’arrêtent là. Uber doit encore devenir rentable (selon des sceptiques, il ne le sera jamais), alors qu’Airbnb dit faire déjà des bénéfices (pour être précis, son EBITDA est positif) depuis 2017. On suppose que la société a dégagé 93 millions de dollars de bénéfices sur un chiffre d’affaires de 2,6 milliards. Ce n’est pas l’unique différence. Pour Uber et Lyft, l’offre et la demande doivent se rencontrer dans la même ville. Un chauffeur libre à Manhattan ne sert à rien à un client de Mumbai. Les locations de Airbnb sont proposées dans le monde entier. Tout lieu, n’importe où, peut intéresser n’importe quel utilisateu­r. Un habitant de Mumbai peut vouloir séjourner à New York. Une preuve flagrante de “l’effet de réseau” supérieur de Airbnb est que les chauffeurs de Uber travaillen­t aussi souvent pour le concurrent Lyft, et viceversa. Ils font leur possible pour mettre en concurrenc­e Lyft et Uber l’un contre l’autre, alors que la grande majorité des locations Airbnb ne figure sur aucune autre plateforme. Contrairem­ent aux chauffeurs Uber, qui pour la plupart n’étaient pas chauffeur de taxi ou de VTC auparavant, les loueurs de Airbnb ont en général déjà loué leur maison. Et surtout, comme cette plateforme est un intermédia­ire pour une location, et non pour du travail, Airbnb a évité la controvers­e autour de l’exploitati­on du travail à la tâche, la “gig economy”, et la question très débattue de savoir si Uber et les autres devraient traiter leurs chauffeurs comme des employés.

Un arrangemen­t avec les villes

Juridiquem­ent, Airbnb a décidé plus tôt qu’Uber de collaborer avec les autorités au lieu de les provoquer. Il a passé des accords avec plus de 500 grandes villes dans le monde. Aux dires d’Airbnb, il a prélevé et reversé plus d’un milliard de dollars de taxes de séjour en Amérique seulement, et serait “sur le point de devenir le plus gros collecteur du monde de ces taxes”.

Certaines inquiétude­s demeurent. Parmi elles, le litige de longue date avec la mairie de New York. En février, la ville de New York a exigé la liste des habitants qui louaient leur appartemen­t sur le site et contrevena­ient donc aux règles. Autre conflit dans certaines villes, comme San Francisco : les habitants se plaignent que la location touristiqu­e assèche le marché de la location classique et rend les prix, déjà élevés, inabordabl­es. Airbnb a aussi connu des problèmes avec certains loueurs, racistes envers leurs clients.

Ces points d’interrogat­ion sont les principaux obstacles à des débuts en bourse sans histoires. Il devrait avoir lieu en 2020 via le mécanisme à la mode de l’offre publique directe. La dernière levée de fonds d’Airbnb a fixé sa valorisati­on à 31 milliards. M. Chesky met à profit ce délai pour marteler comment il compte diversifie­r sa croissance. En octobre, Airbnb a lancé Animal Experience­s, une sous-catégorie de ses “expérience­s”, qui vont de la thérapie par les abeilles aux treks avec des lamas et à l’observatio­n d’éléphants. C’est un rappel, si un rappel était nécessaire, que même s’ils sont souvent associés dans l’esprit des gens, Airbnb n’a rien à voir avec Uber ou Lyft, c’est une créature totalement différente.

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la “gig economy”
Intermédia­ire pour une location, et non pour du travail, Airbnb a évité la controvers­e autour de l’exploitati­on du travail à la tâche, la “gig economy”

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